
Actualités : Le journaliste algérien est un patriote Par Hassane Zerrouky, journaliste-éditorialiste au Matin
A s’en tenir à l’entretien accordé à La Gazette de la presse francophone
par le président Bouteflika, il n’y a apparemment rien à redire sur ses
réponses concernant la nécessité d’une presse indépendante, libre et
pluraliste. "Je suis convaincu, a-t-il énoncé, qu’une presse indépendante,
pluraliste et libre est indispensable si l’on veut instaurer un régime
démocratique et s’installer dans un système économique libéral". Il relève
également le fait qu’il existe des journalistes qui "vont au-delà de ce qui
est acceptable au nom de la liberté d’expression" et qu’il est "tout à fait
légitime de faire appliquer la loi qui réprime de tels abus, aussi bien
lorsqu’ils touchent des personnes privées que lorsqu’il s’agit du pouvoir
lui-même". Plus loin, il fait état de l’existence d’une presse qui soutient
son action et une autre "d’opposition" qui critique sa politique, indiquant
qu’il n’y a pas lieu d’inscrire les relations avec la presse "dans le cadre
d’un antagonisme qui ne peut exister (selon lui) entre le pouvoir et celui
que veulent exercer les médias". Et que la liberté d’expression, telle que
perçue par le chef de l’Etat, reste conditionnée par "la responsabilité des
journalistes qui sont tenus d’exercer leur profession conformément à un code
de déontologie qui les astreint à un contrôle d’eux-mêmes et par leur
profession". Mieux, il estime que le cadre juridique régissant l’exercice de
la presse "est aussi libéral, sinon plus que celui qui existe dans d’autres
pays, y compris dans les pays développés...". La réalité, malheureusement,
est tout autre.
Des faits qui ternissent l’image du pays
Sur la condamnation de Mohamed Benchicou, évoquée par le chef de l’Etat, il
n’y a pas lieu de s’attarder car tout a été dit sur cette affaire.
Concernant la FIJ (Fédération internationale des droits de l’homme) ou RSF
(Reporters sans frontières), il est normal du point de vue du droit
international, auquel a souscrit l’Algérie, qu’elles dénoncent les
condamnations et les harcèlements judiciaires à l’endroit des journalistes.
En effet, rien n’est plus nuisible à l’image du pays que ces journalistes
qui comparaissent chaque mardi devant la justice et contre lesquels sont
requis de lourdes amendes et de lourdes peines de prison. Est-ce cela
l’image d’un Etat fort ? Non, bien sûr, car de tels actes autorisent tous
les commentaires y compris celui de qualifier l’Algérie de pays doté d’un
régime autoritaire et répressif qui veut bâillonner la liberté d’expression.
D’autant qu’aux yeux de n’importe quel observateur étranger, la presse
algérienne a payé le prix fort durant la décennie noire pour la défense de
ce pays et mérite un tout autre traitement. En fait, la question de l’injure
et de la diffamation pour lesquels de nombreux journalistes sont condamnés
relève du civil et non du pénal, surtout en l’absence d’une définition
juridique précise de ces notions dans l’actuel code pénal. En effet, la
marge est bien mince entre une critique des institutions, des politiques
suivies et des hommes qui en assument la responsabilité et ce qu’on entend
par diffamation et injure. Se faire l’écho d’une contestation populaire,
d’une grève d’universitaires ou d’étudiants, informer que des terres
agricoles sont cédées à des spéculateurs immobiliers, s’opposer à la
privatisation de secteurs stratégiques de l’économie, révéler des affaires
connues de tous, dénoncer des actes de torture à l’endroit de citoyens,
voire de privation de libertés à l’endroit d’autres pour avoir dénoncé les
agissements de certaines autorités locales, est-ce de la diffamation ?
Est-ce de l’injure ? Faudra-t-il condamner la quasi-totalité des
journalistes pour que le pouvoir consente à annuler les amendements apportés
au code pénal et qu’il dépénalise les délits de presse conformément aux
conventions internationales que l’Algérie a signées ? A l’évidence, c’est
toute la question de la liberté d’expression qui est posée.
Dès lors qu’entend-on par liberté d’expression et d’information ?
Comme la plupart de mes confrères, je suis de ceux qui font leur la
définition de l’ancien directeur de la rédaction du Monde, Edwy Plenel, à
savoir: "un authentique patriote doit toujours être prêt à défendre son pays
contre son propre gouvernement" quand il estime que ce dernier mène une
politique qui laisse le plus grand nombre en marge du développement et du
progrès social ou quand ce gouvernement mène une politique bafouant les
droits élémentaires du citoyen! Défendre son pays, oui, telle est la ligne
de conduite de la quasi-totalité des journalistes algériens quelles que
soient leurs sensibilités politiques ! Je suis de ceux qui s’inscrivent en
faux contre une information uniforme, plate, conformiste, normalisée, qui
n’aide ni le pays, ni la société, ni les gouvernants à avancer. La presse
est et doit rester un outil démocratique car la démocratie dans un pays
comme le nôtre n’est pas à l’abri des tentations autoritaires. Elle doit
être défendue au quotidien. D’autant que tout pouvoir, qu’il soit de droite
ou de gauche, nationaliste ou progressiste, est toujours tenté à faire
admettre sa vérité quand bien même elle irait à l’encontre des réalités y
compris en usant de procédés non démocratiques. Affirmer cela ne signifie
nullement que le journaliste n’est pas à l’abri de l’approximation, de
l’erreur, voire de la manipulation. Il est également un citoyen comme les
autres, mais avec cette particularité qu’il doit déceler les pièges de
l’information, aller au-delà de l’actualité immédiate et expliquer sans
éditorialiser son article. Tous les journalistes ne partagent pas forcément
cette vision des choses ou bien il n’y aurait pas de pluralisme de la
presse. Toutefois, accepter les règles du jeu démocratique, c’est accepter
sans condition la liberté d’expression. Le journalisme responsable dont
parle le chef de l’État doit être celui-là et non pas un journalisme
consistant à épouser la politique du pouvoir. Sinon, autant jouer cartes sur
table et énoncer que l’Algérie s’est trompée de route, qu’elle n’a que faire
du pluralisme politique et des libertés. Retour à la case départ, aux belles
années du parti et de la pensée uniques. H. Z.
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