Panorama : ICI MIEUX QUE L�-BAS
�tre beau et d�put� � la fois
Par Arezki Metref [email protected]


J'ai encore �t� la proie d'un m�chant cauchemar. Voici les faits : J'ai �t� mis dans un taxi-brousse d�glingu� qui cahota longtemps dans une jungle qui ressemblait �trangement � un pays familier. Dans le taxi-brousse, il y avait toutes sortes de gens, que je ne connaissais pas.

Un homme en costume Sonitex, ras� de frais, chaussant de vraies fausses Ray Ban, posait en permanence sur moi son œil anthropom�trique de flic en faction dans une gu�rite de ma t�te. Il �tait l� pour surveiller la moindre s�dition neuronale, le moindre battement de cils du cerveau torve qui me tient lieu de boussole. Il veillait, en fait, sur le bon fonctionnement patriotique de mes synapses parfois sollicit�es, il est vrai, par la perdition. Il tenait quelque chose � mi-chemin entre la seringue et l'�prouvette. Au bout d'un moment, j'ai compris que ce gadget, sorti des laboratoires de la police des id�es, �tait l'invention g�niale d'un jeune scientifique de ce pays familier dont tout le monde parlait. L'objet servait � une �valuation-minute de la dose de r�fraction au patriotisme tarif� qui pouvait polluer mon cr�ne. L'instrument de pr�cision mesurait les id�es non point par l'analyse des mots n�cessaires � leur formulation mais — et c'est en quoi la chose �tait r�volutionnaire ! — dans leur gen�se chimique. Tu ne peux pas tricher, mon vieux ! Tu ne peux pas te payer de mots, laisser entendre que ce n'est pas ce que tu voulais dire. Non, un d�put� et un d�put� font deux d�put�s, avec cette seringue �prouvette. Et plus de deux d�put�s, �a fait une Assembl�e nationale d�mocratiquement �lue, repr�sentative, propre, honn�te et tout et tout. Il y avait aussi dans ce taxi-brousse de la rel�gation un visage que je remets � pr�sent. C'est cette gazana au chignon extralucide, surtout au moment de percevoir ses �moluments, rencontr�e lors d'un pr�c�dent cauchemar. Elle avait le don de lire dans les pr�l�vements de la seringue �prouvette comme dans du marc de caf� du commerce ou dans les lignes de la main d'un chef d'un des groupes parlementaires de la coalition. Elle devinait tout, et � l'avance, cette dame ! On croirait qu'elle petit-deje�nait avec des oracles ou prenait le th� avec les prospectivistes de la m�t�o. Au commencement, je ne savais pas pourquoi j'�tais dans ce taxi-brousse et surtout vers quelle destination ce dernier s'acheminait si lugubrement. C'est elle, la dame qui lit l'avenir dans les pr�l�vements, qui m'expliqua gentiment que j'ai �t� condamn�, en m�me temps que tous les autres passagers du taxi-brousse, � errer dans le vide tant qu'il subsistera le moindre soup�on d'indocilit� chimique � l'�gard de la m�re-patrie et de ses bien-aim�s dirigeants et repr�sentants. Elle et le flic �taient missionn�s pour nous accompagner dans notre expiation. J'ai beau feindre de ne pas comprendre, j'ai beau faire l'�ne, la preuve �tait aussi indiscutable que le r�sultat d'une �lection dans le pays familier. Ma candeur ne passait pas. A l'aide de leur instrumentent aussi sophistiqu� que le discours d'ouverture d'une session parlementaire de la �cinqui�me l�gislature�, le flic et la gazana ont �tabli sans conteste que la phrase anti-nationale suivante commen�ait � se former syllabe apr�s syllabe conspiratrices, sournoisement, � travers les arcanes de mon cerveau pervers. La phrase, surprise en latence, qui touche � la dignit� du pays familier � travers ses nobles repr�sentants, est la suivante : �Lorsque, dans l'avenir lointain, les historiens se pencheront sur le parlementarisme en Alg�rie, il est fort � craindre qu'ils ne trouveront que ceci, qui en sera rest� : nos d�put�s se seront distingu�s par une seule et unique chose, c'est l'endurance et la combativit� qu'ils mettent invariablement � discuter du statut de d�put�. Quand le salaire et les conditions d'exercice du m�tier de d�put� sont en discussion, l'h�mycicle est toujours plein comme un œuf. Pas question de perdre une miette de ce d�bat qui implique le destin du peuple en entier � travers ses repr�sentants �lus�. Voil� la phrase telle qu'elle aurait �t� �crite si le flic et la gazana ne l'avaient pas d�busqu�e � l'�tat larvaire. Devant le c�nacle des sages de la Nation, r�unis pour non point pour me flageller mais pour me convaincre de m'auto-flageller, je ne pouvais que reconna�tre combien ce fut mauvais de penser comme j'ai failli le faire. Mais le c�nacle des sages de la nation ne l'a pas entendu de cette oreille-l�. Au regard des pr�l�vements policiers et extralucides, je devais �tre condamn� � l'errance dans un taxi-brousse, ce qui est d�j� mieux qu'� pied, et �tre accompagn� d'anges gardiens, ce qui est pr�f�rable que d'�tre tout seul car, contrairement � ce que pr�tend un d�put� fra�chement coalis�, mieux vaut �tre accompagn� que mal seul. Cette sentence, dans mon cauchemar, a r�veill� des choses �tranges. Soudain, on s'est mis � entendre parler du Parlement, qui porte bien dans le pays familier son nom mais dans cet anagramme qui fait passer le �ment� avant le �parle�, d'assembl�e, de d�put�s, de chambre basse comme une cour, haute comme un dessein. Je lis qu'un d�put� du Front de lib�ration nationale, qui est l'�quipe revenue en t�te du championnat politique au pays familier, a demand� � un ministre �nergique et de bonne mine, de pr�senter ses excuses en pl�ni�re. Avant de d�couvrir que la triste et, somme toute, petite raison � cette escarmouche entre un d�put� buteur du FLN et ses copains d'un c�t�, et un ministre privativement p�troleur de la m�me �quipe de l'autre, �tait une malheureuse et compl�tement irrationnelle imputation de l'augmentation du prix du carburant par le ministre aux d�put�s, je croyais que cette invitation � pr�senter des excuses avait des motifs autrement plus graves. Je pensais que les d�put�s demandaient au ministre de venir s'excuser devant eux de mener une politique que m�me le Fonds mon�taire international, sur lequel on s'appuie pour tron�onner l'�conomie nationale en copeaux distribu�s aux copains et aux coquins, d�sapprouve. M�me s'il est vrai que ce que bricole le gouvernement ne les regarde pas car � chacun son boulot, on aurait compris n�anmoins que les d�put�s r�agissent � cette observation du FMI. Au moins pour faire semblant. A c�t� d'autres motifs d'�pingler l'Alg�rie, le FMI constate, entre autres, que le Parlement �n'est pas inform� sur les d�penses projet�es, sur celles effectives, encore moins sur les dotations effectu�es sur ces comptes�. Il s'agit de comptes sp�ciaux, non enregistr�s dans le budget annuel. Ils �taient estim�s � 60 en 2001. Quoique cette absence de transparence soit permanente depuis 1985 (aucune loi de r�glement budg�taire n'a �t� soumise au Parlement depuis cette date), j'aurais �t� un d�put� d'aujourd'hui, j'aurais peut-�tre — je dis bien peut-�tre — eu le nif de demander au ministre de venir s'excuser de ne pas dire comment il utilise les 45 milliards de dollars de r�serves de change. Il m'aurait r�torqu� soit : � En quoi �a te regarde � et j'aurais �t� d'accord avec lui. Je suis d�put�, pas plus. Ces affaires de gros sous, en quoi �a me regarde, en effet. Je me serais peut-�tre — encore une fois : peut-�tre ? — cach� derri�re le FMI lui-m�me. M�me la locomotive de la machine lib�rale, dirais-je peut-�tre avec la vaillance que tu me connais, conseille d'aller �aux r�formes structurelles de fa�on ordonn�e, transparente �. Le bazar, �a suffit J'ajouterais peut-�tre, parce que je suis un �lu de la nation et que je repr�sente le peuple, qu'il faut mettre cette manne au service de la croissance, car sans elle, point de d�veloppement, ce qui veut dire point d'am�lioration de la situation et des conditions de vie de la population. Et si le ministre se f�che de l'impertinence de mes propos, je jurerais que je ne fais que plagier des passages entiers du rapport du FMI qui ne saurait que nous vouloir du bien. Mais pas plus que le buteur du FLN qui exige les exquises excuses � qui a l'outrecuidance d'accabler l'h�micycle de se b�nir aux carburants au point de rench�rir la chorba, je ne peux dire tout cela. Ce n'est pas mon boulot. Mon mandat de d�put� est clair : je fais du lyrisme cependant que le FMI conseille, pour sortir de ce mauvais pas, de privatiser les banques publiques. Et, � d�faut de trouver le truc de g�nie pour r�duire le foss� qui se creuse entre le bazar et le peuple de fa�on si chaotique que m�me le FMI s'en �meut, je d�clamerais, dans le m�me chorus que le pr�sident Sa�dani, qu'il �est temps que se manifeste le g�nie alg�rien dans un effort de r�conciliation nationale pour que triomphe la paix dans nos cours�. Quant � la paix des portefeuilles, Dieu y prouvera. Approuver la loi sur les hydrocarbures qui d�leste le pays du peu de souverainet� qui lui reste et reconduire les infamies du code de la famille dans une autre appellation, c'est �un rendez-vous avec l'histoire que nous avons en tant que repr�sentation nationale�. En fait, en tant que d�put�, je devrais faire de la radio ou de l'�coute t�l�phonique ma seule comp�tence est d'enregistrer. Et d'applaudir. Le flic et la gazana,  qui ont pu reconstituer � partir de leurs pr�l�vements tous ces mots qui �taient en train de se former � mon insu dans la petite cervelle, ont admis que ce n'�tait pas surr�aliste de penser ce que je pense car c'est-ce que pensent tous ceux qui pensent et m�me ceux qui ne pensent pas dans le pays familier. Mais ils m'ont demand� de nuancer : bien s�r les d�put�s ne sont pas en tant que personnes en cause dans leur int�grit�. Mais ils participent de ce syst�me de cooptation dans l'univers de privil�gi�s en �change de l'entretien d'un parlementarisme de fa�ade. Et quand un d�put� ose dire vraiment ce qui cloche, il y a des taxis-brousse pour le mener en bateau. J'aurais aim� �tre d�put� une fois, rien qu'une fois pour ne plus voir ce flic et cette gazana au chignon extralucide et je vous jure que si je demande des excuses � un ministre ce serait parce qu'il m'aura accus� d'avoir bu tout le carburant de la cave. J'aurais aim� �tre d�put� juste le temps de ne plus voir ce flic avec son �pouvantable �prouvette et cette gazana au chignon extralucide.

P.S. d'ici : Ainsi, le po�te Djamel Amrani s'en est all�. Il �tait toujours l�, riv� � cette rive, fid�le � sa ville au point o� l'on �tait enclin � croire qu'il sera toujours l�, qu'il n'est pas possible qu'il s'en aille. Il avait surv�cu � tant de choses qu'il ne pouvait plus rien lui arriver. Mais lui aussi, qui a tant vu, tant dit, tant tu, il a fini par tirer sa r�v�rence � la d�r�liction du monde. Il reste sa po�sie et le souvenir du tourment le plus exub�rant qui ait jamais �t�.

A. M.





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