Monde : La M�diterran�e, l’Accord d’association et l’Alg�rie
1re partie


La M�diterran�e a �t�, durant des si�cles, le centre universel de la civilisation, dans lequel Ath�nes, Rome et J�rusalem ont jou� un r�le essentiel dans la formation de l’identit� occidentale. Pour la partie m�ridionale, cette �poque a eu ses gloires – Carthage et Alexandrie – qui rivalisaient, dans toutes les disciplines, les cit�s des c�tes septentrionales. Plus proche de notre �poque, le Moyen-Age repr�sentera une �re de relative tol�rance et de rayonnement scientifique.

Les Andalous (arabo-berb�res) � l’Ouest ou les Persans et les Ottomans � l’Est ont �t� des acteurs de premier ordre de cette brillance m�di�vale qui a port� sur ses fonts baptismaux la Renaissance (Italie) et les Lumi�res (France) europ�ennes. Cette zone fut ainsi une ligne de confrontation et de d�marcation entre le Nord et le Sud qui produit encore ses effets aujourd’hui. Marqu�e par un Nord jud�o-chr�tien s�cularis� et un Sud, presque totalement musulman, qui n’a pas encore fait son aggiornamento, la M�diterran�e est divis�e entre deux rives par la civilisation, les r�gimes politiques et le niveau de vie. La dissociation s�culaire persiste encore par un face-�-face d�s�quilibr� o�, � c�t� d’�changes multiples et quelques racines communes, le mur de m�fiance perdure. La passion soulev�e par l’ouverture des n�gociations entre l’U.E. et la Turquie, pays musulman � Etat la�que, montre � l’�vidence que le marqueur identitaire religieux, pr�sent dans les imaginaires sociaux et les m�moires collectives, est loin de s’estomper dans les repr�sentations symboliques r�ciproques. VERS UNE ZONE DE PAIX ? Une premi�re �tape de s�rieux rapprochements entre les deux rives est op�r�e par la mise en place par l’U.E. et les P.T.M. (pays tiers m�diterran�ens), dans le cadre de la D�claration de Barcelone. La d�claration du m�me nom, proclam�e en novembre 1995, est le premier texte international ambitieux en mati�re de politique m�diterran�enne. Pour la premi�re fois, dans les temps modernes, la M�diterran�e est projet�e comme une zone g�opolitique, � un lac de paix �, plus � m�me de rassembler les nations qui la composent. Le processus de Barcelone, ax� principalement sur trois volets – politique et s�curit� ; �conomique et financier ; social, culturel et humain – s’ins�re dans la mondialisation en cours. La philosophie de l’Accord d’association bas�e primordialement sur l’�conomique – cr�ation d’une zone de libre-�change apr�s une p�riode de transition de 12 ans – n’exclut pas, en filigrane, l’accession des PTM � la d�mocratie. L’esprit incitatif de cette initiative en faveur de la d�mocratisation repose sur la conditionnalit� de l’aide �conomique au respect et � la promotion des droits de l’homme, corollaire de l’Etat de droit. Nombre de projets dans les programmes MEDA et de l’IEDDH (Initiative europ�enne pour la d�mocratie et les droits de l’homme) concourent, par ailleurs, � cr�er ou � dynamiser les soci�t�s civiles des PTM face � des Etats tut�laires ou autocratiques. Le partenariat euro-m�diterran�en est en effet con�u sur le principe d’une Conf�rence permanente, � l’image d’Helsinki en 1975, o� la corbeille des droits de l’homme s’est r�v�l�e efficace face au totalitarisme du bloc sovi�tique. Ce partenariat tente d’asseoir des normes politiques, �conomiques et s�curitaires qui puissent faire bouger les lignes de d�marcation et , cons�quemment, rendre la rive sud de la M�diterran�e attractive � des maind’œuvres pr�caris�es ou exclues, en qu�te permanente de migration vers le nord . Est-ce que le couple �conomie de march�/d�mocratie, sur lequel sont fond�es les valeurs constitutives de l’U.E. va s’acclimater � l’aire islamom�diterran�ene ? Et qu’en est-il de l’Alg�rie qui a sign�, le mois d’avril 2002, � Valence, l’Accord d’association ? L’Alg�rie diff�re et ressemble � plusieurs pays de son aire civilisationnelle . Son cas, � la fois commun et singulier, m�rite examen. LA POSITION INCERTAINE DE L’ALGERIE Bien que privil�giant le tiersmondisme et ses entr�es sur la sc�ne moyen-orientale, la diplomatie alg�rienne est coutumi�re des politiques m�diterran�ennes. Cette attitude lui est dict�e tant par sa g�ographie que par son poids politique. Plusieurs initiatives ont pr�par� l’av�nement de l’Association. D�j� en 1976, un accord de coop�ration est conclu entre l’Alg�rie et la CEE. Il a �t� compl�t� par les protocoles additionnels de juin 1987, cons�cutif � l’adh�sion de l’Espagne et du Portugal en 1986. Pourquoi alors l’Alg�rie est-elle rest�e en retrait de cet Accord, d’autant que nos voisins tunisien et marocain y ont adh�r� rapidement, respectivement en 1996 et 1998 ? Trois causes s’imbriquaient alors pour formuler un refus injustifi� sur le fond. Les pesanteurs politique et id�ologique, m�lange d’�tatisme populiste et d’arabo-islamisme militant, bloquant les transformations �conomiques et le d�bat identitaire, sont un premier �l�ment. S’ajoute ensuite une conjoncture d�favorable. Au moment de la proclamation de la D�claration de Barcelone, l’Etat alg�rien �tait affair� � inaugurer, le mois suivant, un nouveau processus de l�gitimation par la tenue de la premi�re �lection pr�sidentielle pluraliste. Dans le m�me temps, le terrorisme �tait � son paroxysme. Enfin, il y avait un isolement diplomatique qui faisait subir � l’Alg�rie un embargo qui ne disait pas son nom . Les chancelleries � Alger soutenaient l’initiative de Sant’Egidio, qui visait � remettre notamment le FIS dans le jeu politique national (1). C’est le d�but d’une grande campagne de sensibilisation de l’opinion mondiale, connue sous le vocable du “Qui-tuequi ?”, dont l’objectif interm�diaire �tait l’envoi, � Alger, d’une commission d’enqu�te internationale. Anim�e principalement par Amnesty international, Reporters sans fronti�res, Human Right Watch et la F�d�ration internationale des droits de l’homme, ladite campagne avait atteint son apog�e entre fin 1997 et mi-1998. Il n’est pas irr�aliste de penser que, durant cette p�riode de “sale guerre”, l’Etat alg�rien voulait rester � l’�cart de la Conf�rence de Barcelone pour s’�pargner des remarques sur les violations des droits de l’homme que les gouvernements europ�ens, sous pression des associations des droits de l’homme, n’auraient pas manqu� de lui faire. D’ailleurs, une alerte lui a �t� lanc�e a posteriori par le Parlement de Strasbourg, lors de la ratification de l’Accord, le 10 octobre 2002, qui recommande pour une application pratique, entre autres, de proc�der “� la lev�e de l’�tat d’urgence”, “au r�glement de la question des disparus” et, dans la foul�e, “r�affirme la n�cessit� du retrait des militaires du processus d�cisionnel’’. Plus imm�diatement, l’ins�curit� ambiante li�e au terrorisme qui a d�structur� l’Administration du pays ainsi que ses capacit�s productives ont �galement contribu� � retarder le rapprochement. Durant cette p�riode, plus de 400 000 cadres (hauts fonctionnaires, professions lib�rales, cadres de soci�t�, artistes…) ont quitt� le pays. Le retournement favorable de la conjoncture avec la baisse tendancielle du terrorisme (accord de reddition de l’AIS – Arm�e islamique du salut - en septembre 1997), la mise en place d’institutions politiques avec un processus �lectoral, certes frauduleux mais qui est all� jusqu’au bout (�lection pr�sidentielle – d�cembre 1995- ; l�gislatives – mai 97- ; locales – octobre 97), sont un facteur interne de cette am�lioration. L’augmentation substantielle et durable des prix du p�trole � partir du deuxi�me semestre 99, et, enfin, les attentats du 11 septembre 2001, constituent un facteur externe. La combinaison de ces deux �l�ments ont donn� une appr�ciable marge de manœuvre � la diplomatie alg�rienne que n’a pas manqu� d’exploiter le nouveau pr�sident alg�rien, Abdelaziz Bouteflika, �lu, pour la premi�re fois � la Magistrature supr�me, en avril 1999 . L’abandon de l’argument de la sp�cificit� de l’�conomie alg�rienne, qui est r�elle car celle-ci est construite sur la rente p�troli�re, appelle des explications politiques d’ordre interne et externe. L’arriv�e de Bouteflika refl�te, sans doute, aux yeux des membres de l’U.E., une image de pouvoir civil plus accommodante, tandis que, sur le plan interne, le pr�sident fra�chement �lu se saisit de cet Accord pour modifier les �quilibres au sein de l’appareil d’Etat, particuli�rement les rapports ambivalents et complexes entre la Pr�sidence de la R�publique et l’ANP (Arm�e nationale populaire). Fait sans pr�c�dent dans les annales diplomatiques communautaires, la ratification de l’Accord par le Parlement europ�en entre l’Alg�rie et l’U.E., a donn� lieu � la mise en exergue de 25 points relatifs � la politique des droits de l’homme et de bonne gouvernance (dont ceux cit�s plus haut), consid�r�s comme �l�ments essentiels de l’Association. Ceci n’a pas emp�ch� l’Alg�rie d’adh�rer � l’Accord d’association malgr� la r�pression du soul�vement de la Kabylie (avril 2001), noy� dans le sang avec 126 manifestants tu�s par la gendarmerie. QU’EN EST-IL SUR LE TERRAIN ? Trois ans apr�s la signature de l’Accord d’association et neuf ans apr�s l’�ligibilit� de l’Alg�rie aux programmes MEDA I (1996-1999) et MEDA II (2000-2006), que peut-on constater ? La simultan�it� et l’intrication des diff�rents programmes et r�formes (r�ajustement structurel du FMI –1994/1998- travaux pr�paratoires d’adh�sion � l’OMC) (2) rendent difficilement visibles et quantifiables les effets n�gatifs ou positifs de la Conf�rence de Barcelone. L’on peut constater en revanche que les retards accumul�s pendant longtemps pour adh�rer � cet Accord se sont r�v�l�s n�fastes pour l’Alg�rie. C’est effectivement, sous la contrainte et l’urgence, que le Parlement alg�rien a adopt�, en ao�t 2001, une loi de finances compl�mentaire, entr�e en vigueur en janvier 2002, qui a soulev� l’ire du principal syndicat, l’UGTA, et de quelques patrons du secteur priv�, regroup�s au sein du Forum des chefs d’entreprises. (3) En effet, la baisse des tarifs douaniers ne comprend plus que trois taux - 5% pour les mati�res premi�res ; 15 % pour les produits semifinis et 30 % pour les produits finis. Cette r�duction des taxes est jug�pr�judiciable pour le dynamisme du secteur priv�, lui �tant ainsi une partie de sa protection. Les recettes du Tr�sor en ont subi naturellement le contrecoup. Le d�sarmement douanier partiel a certainement donn� lieu � un manque � gagner difficile � estimer eu �gard � l’indisponibilit� des statistiques ou de leur manque de fiabilit�. Cette tonalit� n�gative �tait plut�t attendue. D’ailleurs, � regarder de pr�s les exp�riences tunisienne et marocaine, on constate le m�me effet durant les quatre premi�res ann�es, compens� ensuite par les rentr�es fiscales des Investissements directs �trangers (IDE). A l’heure actuelle, ces investissements ne sont pas l�gion m�me si l’indice de risque est tomb� sur toutes les tablettes des organismes publics de r�assurance. Le manque d’�tude concr�te sur l’impact de l’Accord, en particulier dans l’industrie, en terme de march�, d�note les errements en la mati�re. L’Alg�rie paye ch�rement ses retards dans la mise � niveau des secteurs bancaire, administratif et foncier (cadastre). A cet �gard, une enqu�te command�e par la Commission europ�enne aupr�s d’investisseurs potentiels du continent fait �tat d’un chiffre alarmant : 62 % d’entre eux d�clarent avoir �t� “d��us” ou “tr�s d��us” par les autorit�s alg�riennes. L’ins�curit� juridique est un autre obstacle qui inhibe les temp�raments les plus optimistes. A c�t� de cela, le volume d’affaires g�n�r� par les transactions commerciales a augment� de fa�on cons�quente. De l’avis d’initi�s et d’analystes, ce ph�nom�ne est le r�sultat de l’embellie financi�re due � la rentr�e massive de devises, cons�quence de la hausse des prix du p�trole. Les r�serves de change de l’Etat alg�rien sont �valu�es � 43 milliards de $US. Il est clair que l’investissement effectu� n’est pas de nature productive. (4) Dans le m�me temps, les atermoiements manifest�s par le pouvoir alg�rien durant les ann�es 1990 ont fait de notre pays un “mauvais absorbeur” des aides li�es au programme MEDA. En 2000 avec 6% d’aides �capt�es �, l’Alg�rie venait derri�re l’ensemble des PTM � l’exception de la Syrie, du Liban et des territoires occup�s. Avec respectivement 14% et 31%, nos voisins maghr�bins, la Tunisie et le Maroc nous devan�aient largement. Les taux ont augment� en 2001 (14%) et 2003 (28%). Ce n’est donc que maintenant que l’Alg�rie est entr�e en quelque sorte dans la normalit�. Etant donn� la structure �conomique alg�rienne, tourn�e vers l’exploitation et l’exportation des hydrocarbures, l’Accord ne pouvait conduire qu’� des concessions unilat�rales. Quand bien m�me l’aspect le plus imm�diatement visible sur le terrain est d’ordre �conomique, l’Alg�rie a davantage privil�gi� la dimension politique. EVOLUTION DIPLOMATIQUE ET SECURITAIRE La difficult� d’appr�hender les effets �conomiques du partenariat n’emp�che pas d’apercevoir des �volutions politiques, surtout au niveau diplomatique. Il r�gne depuis peu, � Alger, un esprit de d�gel dans les relations internationales qui contrastent avec le tour de vis sur le plan national. La question est de savoir alors s’il existe une vision globale des autorit�s alg�riennes qui a conduit � cette d�crispation ou si cet �tat d’esprit est � mettre sur le compte de Barcelone. L� encore, il est difficile de privil�gier une th�se par rapport � l’autre d’autant plus que l’�volution du monde avec une pr�sence am�ricaine accrue dans la r�gion subsaharienne – Plan Pan Sahel —, et au Maghreb (accord de libre-�change entre le Maroc et les U.S.A et signature d’un autre accord – militaire — qui conf�re au Royaume ch�rifien le r�le d’alli� strat�gique des Etats-Unis en dehors de l’Otan.) a sans doute contribu� � ce d�gel. Le d�sir de l’Alg�rie de mettre un terme � son isolement diplomatique de la d�cennie 90 a �galement jou� en faveur d’un infl�chissement de la position alg�rienne sur nombre de dossiers, � l’exception de l’affaire du Sahara Occidental. La perceptibilit� de l’orientation de la politique �trang�re se juge � l’aune de certaines initiatives inimaginables il y a quelque temps. L’Alg�rie a cr�� un pr�c�dent en participant � deux sommets de la Francophonie et ouvert de nouvelles perspectives en annon�ant son adh�sion prochaine � cette organisation internationale. Plus ambitieux est le trait� d’amiti� entre l’Alg�rie et la France qui sera sign� courant 2005. L’Alg�rie semble red�couvrir une “m�diterran�it�’’ qu’elle a longtemps marginalis�e ou ni�e pour des raisons id�ologiques et identitaires. Pas � pas, le pays met le cap de la politique ext�rieure sur la M�diterran�e occidentale ainsi qu’en t�moigne la r�activation du groupe des 5+5 (Maghreb et Arc latin europ�en). Comme dans un effet de vases communicants, le pragmatisme diplomatique alg�rien s’annonce moins arabiste et, �ventuellement, plus m�diterran�en. Ainsi, parall�lement � cette donne, la nouvelle posture s’�nonce par des prises de positions inhabituelles sur la sc�ne proche orientale. A titre d’illustration, l’Alg�rie s’est abstenue � deux reprises � l’ONU, lors du vote de r�solutions du Conseil de s�curit�, l’une relative au retrait des troupes �trang�res (syriennes) du Liban et l’autre condamnant l’action du gouvernement soudanais (arabe) dans la trag�die du Darfour. Cons�quemment � cette nouvelle orientation, la conception de la pratique s�curitaire �volue �galement � la mesure de la diplomatie. Pour la premi�re fois, le secr�taire g�n�ral de l’OTAN, Jaap De Hoop Scheffer, a effectu�, jeudi 25 novembre 04, une visite � Alger destin�e � relancer le “Dialogue m�diterran�en’’. Cette instance de l’Alliance est un programme de coop�ration mis en place il y a une d�cennie avec sept pays (Alg�rie, Egypte, Isra�l, Jordanie, Maroc, Mauritanie et Tunisie). La reprise du dialogue est r�elle, confort�e par la participation de l’Alg�rie au Sommet de Bruxelles du 08 d�cembre 2004 avec l’ensemble de la diplomatie de l’OTAN et des pays du “Dialogue m�diterran�en’’. Par ailleurs, des manœuvres combin�es entre les marines de l’OTAN et leur homologue alg�rienne ont d�j� eu lieu par deux fois tandis qu’une troisi�me est annonc�e pour bient�t au large d’Alger. L’int�gration de l’Alg�rie au “Dialogue m�diterran�en” d�s l’an 2000, lui conf�re un r�le �minent dans la lutte anti-terroriste � l’�chelle internationale qui sanctionne l’exp�rience acquise au plan interne.
T.M.
A suivre

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