Panorama : LES MOTS DU JEUDI
Pleure � mon pays bien-aim�
Par Ma�mar FARAH http://farahblog.ift.cx


Encore un ! Encore un vieillard, crasseux et �reint�, pataugeant dans la salet� et qui l�ve avec peine sa t�te pour vous p�n�trer d’un regard o� il y a toute la mis�re du monde. Il n’a plus la force de tendre sa main meurtrie et d�charn�e pour vous demander l’aum�ne. Plus loin, sous le m�me et morne b�timent du th��tre, d’autres vieux, d’autres femmes, avec ou sans b�b�s.

Ils sont l�, du matin au soir, offrant la v�ritable image de cette soci�t� alg�rienne, heureuse dans les sondages et les images de la t�l�vision, mais r�ellement, profond�ment malheureuse dans la r�alit�. L�, � l’ext�rieur de cette salle aux lambris dor�s, aux riches tapisseries et aux lumi�res festives, � quelques m�tres de cette sc�ne o� la vie se livre en spectacle, des hommes et des femmes peuplent un autre d�cor, dans les rues et les boulevards de l’indiff�rence. Indiff�rence des responsables beaucoup plus pr�occup�s par la construction de leurs palaces, leurs voyages � l’�tranger, les cours du petit ou de la petite � Paris ou � Londres, les comptes en dinars ou en devises et tant d’autres joyeuset�s qui nous transportent � des ann�es lumi�re de ces vieux � la recherche d’un bout de pain ! Indiff�rence d’une soci�t�, toute heureuse de d�couvrir le pr�t bancaire pour faire du pousse-pousse en voitures neuves, comme dans un man�ge d’enfants ; toute heureuse de pouvoir sortir � la lumi�re du jour apr�s les ann�es noires du terrorisme qu’elle oublie que la vraie vie n’est pas la vie � l’air libre seulement ! Que la vraie vie n’est pas uniquement l’absence de couvre-feu et des nuits sans salves ! Ces femmes et ces hommes peuplent tous les quartiers de la ville. Dans pratiquement toutes les rues. Je ne fais pas cent m�tres sans rencontrer quelques-uns d’entre eux, �paves humaines tra�nant dans les corridors de ces cit�s ill�gitimes, gonfl�es par le souffle de l'insensibilit�, terriblement froides malgr� les chauds rayons du soleil printanier ! Musulmans, dites-vous ? Je ne le crois pas ! Je ne crois pas que votre pas alerte pour rejoindre la mosqu�e vous emp�che de voir le spectacle d�solant de ces mendiants dont le nombre bat tous les records ! Je crois plut�t que le Coran qui est cens� habiter votre cœur devrait vous conduire — vous obliger ! — � vous arr�ter quelques instants pour vous rapprocher de ces �tres d�munis, d�laiss�s par l’Etat et les collectivit�s locales, afin de les secourir ! Et si vous �tes de ceux qui sont durement touch�s par la crise et que vous n’avez pas de sous � leur proposer, offrez-leur quelques paroles de r�confort, un sourire. Ils en ont tant besoin, car ils n’ont plus rien, ni personne. Ils se sentent abandonn�s par tout le monde et ce petit geste, le fait de vous pencher sur ce vieillard malodorant et presque aveugle, ne vous co�te rien mais il est tellement important pour lui. Nous n’irons pas jusqu’� vous demander d’�tre de parfaits musulmans ! Non, ce serait trop vous exiger ! Votre deuxi�me logement pourrait abriter pour quelque temps cette femme et ses enfants qui semblent surgir d’un livre de Victor Hugo ! Vous pourrez �courter votre mois de vacances et donner l’�quivalent de ce que vous r�cup�rerez � ces gens sans toit ! Vous pourrez r�duire l�g�rement votre train de vie pour soulager cette d�tresse humaine qui habille tristement nos avenues jadis riantes. Mais, vous ne pouvez pas le faire parce que la cupidit� a conquis votre cœur pour vous �loigner de votre soci�t� et de ses probl�mes. Vous �tes trop propre pour vous m�ler � la populace, trop riche pour c�toyer la pauvret�, trop press� pour vous attarder quelques secondes sur le chemin de votre commerce, de votre usine ou de vos bureaux ! Vous �tes trop pris par les dossiers de l’Etat, du p�trole, des affaires, de la diplomatie, de vos comptes en Suisse, de votre ligne, de vos soir�es, de vos ma�tresses ou amants pour accorder de l’importance � ces futilit�s ! Vous ressemblez aux Am�ricains riches : vous n’allez jamais dans ces quartiers malodorants o� l’on peut vous agresser l�chement, l� o� circulent drogue, alcool et prostitution (pas les poules de luxe, bien s�r !). Vous ne descendez pas de votre voiture parce que vous risquez de plonger par inadvertance vos souliers dans ces mares pollu�es o� pataugent les gosses des d�munis ! Vous �tes de votre �poque, d’un autre style et votre passage dans ce pays n’est qu’une �tape pour amasser de l’argent, une �tape, rien de plus. Vous n’avez rien � voir avec cette mis�re rampante qui transforme notre cit� en d�potoir. Et je vous donne raison, car vous �tes trop beau, trop propre pour vous laisser souiller par ces obsc�nit�s. Je n’ai jamais vu autant de salet� depuis l’ind�pendance du pays. Les cages d’escalier du centre-ville croulent sous le poids de l’�ge et les quelques repl�trages lanc�s � la veille de l’�lection pr�sidentielle n’ont permis que l’enrichissement de quelques artisans proches de quelques �lus ou de quelques associations proches de la petite et de la grande famille… Rien n’est fait dans les normes : le bazar grimpe vers le cœur de la cit� et les vitrines modernes et rutilantes reculent devant ce n’importe quoi, moche comme tout, d’o� pendent espadrilles et accoutrements, rendant impossible la circulation sur les trottoirs. C’est alors que la foule se d�verse sur la chauss�e, emp�chant � leur tour les voitures d’avancer normalement ! En Inde, la vache, animal sacr�, peut bloquer la circulation. Chez nous, c’est plus vache encore car, en principe, il n’y pas d’animaux dans nos rues et encore mois d’animaux sacr�s ! Sacr�e pagaille ! Dans les quartiers dits r�sidentiels, livr�s � ces nouveaux riches — qui veulent rapidement oublier leurs douars d’origine et vont jusqu’� couper tout lien avec leurs familles afin de ne pas choquer les beauxparents —, on b�tit n’importe quoi et n’importe comment. Vite, une ou deux villas. Trois terrains. Quelques appartements. Vite, vite. Ils sont press�s les nouveaux partisans, les nouveaux membres de l’association des malfaiteurs, ceux qui font de la politique juste pour supporter le puissant du moment, juste pour b�n�ficier de quelques largesses, juste pour amasser le magot, avant de foutre le camp vers des cieux plus cl�ments ! Car les voleurs qui volent tout auraient pu faire quelque chose pour ce pays s’ils ont la certitude d’y vivre � la fin de leur mission de rapine. Oui, apr�s tout, demain, quand ils n’auront plus les moyens de voler, quand ils seront de simples citoyens vivant de la rente, ils pourraient b�n�ficier d’un environnement moderne, propre, agr�able pour leurs vieux jours ! Mais comme ils visent cette Madame La�kri (France) qu’ils ont chass�e il y a quelques d�cennies, vous comprendrez qu’ils s’en fichent de tout cela. Demain, d�s que les affaires s’arr�teront, ils iront l�-bas grossir les rangs des propri�taires d’h�tels, bars et restaurants ! Alors, ne leur demandez pas d’avoir du cœur. Ils ont un gros billet d’euro � la place. Ne leur demandez pas d’avoir des yeux pour regarder la mis�re qui les entoure ; ils sont aveugl�s par l’avidit� depuis bien longtemps. Ne leur demandez pas d’entendre les g�missements, les pleurs de ces Alg�riens trop honn�tes pour voler, trop droits pour se courber, trop justes pour tricher. Ils ont choisi leur camp pour �chapper au bulldozer des privatisations sauvages en cours, v�ritable tsunami qui risque d’emporter les derni�res illusions de ceux qui s’accrochent encore aux discours optimistes de nos dirigeants ! Encore un ! Encore un vieillard, couch� sur un carton fatigu� et qui g�mit de douleurs ! Les responsables et la foule sont trop occup�s ou trop press�s pour voir ces sc�nes de d�solation. Il vous regarde pourtant et son œil vous poursuivra l� o� vous irez. M. F.

P.S. 1 : Je voulais dire un mot de compassion � la famille du moudjahid de la r�volution et b�tisseur infatigable de l’Alg�rie post-ind�pendance, feu Mohammed Tahar Ma�meri qui s’est �teint la semaine derni�re. Puisse son inlassable action pour l’Alg�rie moderne et r�publicaine servir d’exemple aux g�n�rations futures.

P.S. 2 : Il est impossible d’oublier Mohamed Benchicou, journaliste alg�rien qui croupit en prison pour ses �crits. RSF demandait au Sommet arabe d’intervenir publiquement pour la lib�ration de notre consœur Florence Aubenas, otage d’un groupe arm� en Irak. Bonne initiative et qui serait plus �quitable encore si RSF demandait aussi � un sommet europ�en d’intervenir publiquement pour la lib�ration de Mohamed Benchicou !

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