Panorama : ICI MIEUX
Souk arabe
Par Arezki Metref arezkimetref@yahoo.fr


Il est fort � craindre qu'il ne reste du Sommet arabe abrit� par Alger que les d�g�ts collat�raux. Des d�g�ts pas aussi d�g�ts que �a, pour une fois. Je parie une d�mocratie achet�e cl�s en main avec les p�trodollars de l'all�geance yankee que, dans une g�n�ration encore, les petits Alg�rois se souviendront avec nostalgie de la v�loce d�termination avec laquelle on a nettoy�, r�cur�, assaini, embelli, fleuri, verdoy�, pomponn�e, toilett�, poudr�, parfum� au Sanibon la ville des quatre pestilences.
Quasiment en une nuit flottant dans les fragrances du jasmin recouvr� l'espace d'un spasme de bien-�tre, Alger a jet� ses hardes de vieille mendiante s�duite par des goujats, et abandonn�e, pour les fringues d�griff�es de vraie capitale. Le Sommet arabe nous aura rappel� cette v�rit� hygi�nique intemporelle : quand on veut descendre la poubelle, on peut ! Contemplant avec un sinc�re �bahissement le miracle de la transformation de son arr�t habituel, qui est pass� de l'�tat de d�potoir d�sesp�r� de s'en sortir un jour � celui d'abribus majeur et vaccin�, une dame s'est mise � souhaiter de vive voix qu'on accueill�t un sommet arabe toutes les semaines, un peu � la mani�re d'un souk hebdomadaire. Si ces bonnes habitudes sont gard�es, nul doute que ce serait l'occasion de rappeler aux autorit�s comp�tentes qu'une ville, comme la citoyennet�, comme les droits de l'homme, comme le souffle, �a s'entretient, et chaque jour. Autre motif de se r�jouir collat�ralement : il a fallu atteindre ce sommet pour que j'apprenne, sans doute comme vous, que les tulipes sem�es sur les sites visibles des limousines royales, princi�res ou pr�sidentielles arabes, ne sont pas import�es de Hollande, ce qui aurait �t� une honte absolue, un vice r�dhibitoire. Elles viennent de chez nous. �C'est nous qu'on les fabrique�, assure mon copain jardinier � l'essai au Jardin d'Essai. Occasion unique de savoir que l'Edeval (Entreprise de d�veloppement des espaces verts) existe et cultive 30 esp�ces de plantes dont la tulipe, qu'elle a introduite en Alg�rie. Alors, qu'on se le dise, la tulipe, elle ne vient pas d'ailleurs. Voil� donc au moins deux motifs essentiels qui prouvent que le Sommet a �t� un succ�s. Car le reste, ce n'est pas terrible terrible, faut dire. C'est du moins ce que j'en d�duis en lisant la presse. La plupart des �ditorialistes, des commentateurs, des satiristes, des caricaturistes, des analystes, des prospectivistes et des fait-tout semblent d'accord sur le scoop suivant et sur sa cons�quence naturelle et imm�diate. Le monde arabe va mal, c'est le scoop. Quant � sa cons�quence naturelle et imm�diate, elle se traduit par l'in�vitable malaise qui plane sur tout sommet arabe. A mes estimables confr�res enflamm�s par la m�har�e fantastique de leur plume tremp�e dans la po�sie courtoise, je voudrais commettre l'h�r�sie de demander quand le monde arabe s'est-il bien port� ? A quelle heure, quel jour, quelle ann�e, quel si�cle, quel mill�naire ? A quel endroit le monde arabe a-t-il un jour montr� sa bonne sant�, voire la banale coordination de ses gestes ? Pour regretter que le monde arabe se porte mal, encore e�t-il fallu qu'il se soit bien port� un jour. J'ai lu mieux. Ou pire. Abdelaziz Belkhadem, ministre des Affaires �trang�res, commentant l'absence des chefs qui ont boud� le Sommet, prof�ra cette sentence qui sera l�gu�e � la post�rit� comme un poncif : �Les absents ont toujours tort�. Il ajoute que cet engagement qu'ils n'ont pas honor� concerne �l'ensemble de la Nation arabe�, avec un N majuscule � nation. Tout ministre des Affaires �trang�res qu'il est, il ne parle pas pour beaucoup d'Alg�riens, et certainement pas pour moi. Ce n'est pas que je me revendique berb�re au point de r�cuser cette incorporation d'office � la �Nation arabe�, non. L'ennui est que je ne sais pas trop ce que c'est, la Nation arabe. Un ensemble h�t�roclite de pays, certains fabriqu�s de toutes pi�ces par le colonisateur britannique ou fran�ais, arbitrairement r�unis dans une aire linguistique o� la langue arabe n'est pas naturellement adopt�e mais impos�e par le yatagan, tu parles d'une Nation ! Une monarchie familiale qui a donn� son nom � un royaume et ce royaume au ma�tre am�ricain, des royaut�s adventices g�rant leurs comptes � l'ombre des derricks, quelques dictatures sp�cifiques n'ayant rien d'autre � offrir � l'humanit� que l'orgueil de breveter le silence, le despotisme en partage, des dynasties r�publicaines de parti unique. Que peux-tu faire avec cette panoplie ? Rien, r�pond l'histoire. La Nation arabe, ce n'est bien s�r pas une entit� politique, du moins pas encore. Cela induit cette question pernicieuse : est-il possible qu'elle le devienne, compte tenu de toutes les occasions rat�es ? Question subsidiaire pernicieuse : qui a int�r�t � ce que le monde arabe, qui dort sur un lit de p�trole, devienne une entit� politique, compte tenu de tous ces fils de marionnettistes qui relient chacune de ses capitales � ces puissances occidentales qui agitent les doigts pour faire faire les mouvements souhait�s aux poup�es ? L'unit� du monde arabe est une fiction que tout le monde appr�cie. Les sommets de la Ligue arabe sont les �pisodes o� cette fiction tente en vain de devenir r�alit�. R�guli�rement, ce que Jacques Berque d�crit comme une �surabondance d'affectivit�, une �agitation constante entre l'enthousiasme et le pessimisme, cette esp�ce de tourbillon qui emporte et brasse amertumes et esp�rances, calculs et passions� parcourt comme un frisson le monde arabe qui se r�veille, l'espace d'un mirage, pour croire que le moment est arriv�, que le grand soir est l�, que le temps est venu d'effacer instantan�ment un demi-mill�naire de d�cadence pour red�marrer du bon pied et se remettre � conqu�rir au fil de l'�p�e. Et tout aussi r�guli�rement, on s'aper�oit que ce n'est qu'un r�ve d�mont� par la r�alit� de la dictature, du sous-d�veloppement, des archa�smes, de la rudesse. Ce r�ve fugace est d�voy� par le �primat — tant�t f�cond, tant�t st�rile — du sentiment sur le fait, du signe sur la chose ; ou tout au contraire le recours � un r�alisme qui ne serait pas si court s'il n'�tait, dans beaucoup de cas, d�saveu sardonique de soi-m�me�. Avec cet h�ritage, le constat d'Ibn Khaldoun �nonc� sous forme de mal�diction condamnant �les Arabes � n'�tre d'accord que sur le seul fait de n'�tre jamais d'accord� et les remous du monde moderne, comment un sommet arabe peut-il �tre le lieu de confrontation de la conscience des situations d'aujourd'hui et l'appr�ciation par eux-m�mes des ressorts des membres de la Ligue arabe ? Bien des aspects de ce Sommet montrent la difficile appr�ciation des situations et la persistance de l'incantation comme mani�re de s'affirmer. Ce n'est m�me pas les d�lires du guide libyen, dont le pouvoir a la long�vit� des proph�tes en exercice, qualifiant de �stupides� les partisans de la d�mocratie dans le monde arabe et d'�idiots� Palestiniens et Isra�liens qui inclinent � un tel bilan. Le seul fait de savoir que les responsables arabes, globalement et dans le d�tail arriv�s et rest�s au pouvoir par des moyens autres que d�mocratiques, se soucient verbalement de d�mocratiser leur pays sans songer un seul instant qu'ils constituent eux-m�mes le frein capital � ce processus en dit long sur le brouillage du r�el qui leur tient lieu de jugement politique ou sur des capacit�s strat�giques � survivre. Aujourd'hui, le Sommet le sait, la �d�mocratie� arrive du ciel sous forme de bombes. Et puis cette �d�mocratie� tomb�e de haut s'embourbe dans le chaos, comme o� vous savez. A l'heure o� l'Union europ�enne devient une force, il est compr�hensible que la Ligue arabe se dise : �(…) et nous, alors ?� Et nous, alors ? Nous ? On fabrique des tulipes pour ne pas avoir � les importer de Hollande parce que les tiges sont trop fragiles pour supporter le voyage et on retape les abribus le temps d'un arr�t de la caravane arabe dans notre pays. Et on m�dite sur ceci : si une cour de justice arabe est cr��e, comme il en est question, � la justice de quel pays arabe empruntera-t-elle sa justice ? R�ponse au prochain sommet.
A. M.

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