Panorama : A FONDS PERDUS
La ville dans tous ses (mauvais) �tats
Par Ammar Belhimer


M.Abderrachid Boukerzaza, le ministre d�l�gu� � la Ville, n’est pas Jean-Louis Borloo. Loin de l�. Il n’est cependant pas moins pertinent dans le propos et efficace dans l’action. Il nous livre dans la derni�re �dition d’ El Khabar Al- Ousbou’i un �tat des lieux sans complaisance de la ville et ce qu’il se propose d’entreprendre pour la sortir de la situation �catastrophique� dans laquelle elle se trouve. Les chiffres qu’il avance sont effrayants.
L’Alg�rie comptera 42 millions d’habitants, dont 32 millions d’urbains, en 2025. 80% de sa population resteront concentr�s dans le nord. La bande littorale qui repr�sente 9% de la superficie globale accueille 40% de la population. Le reste est r�parti entre le Tell (25%), les Hauts-Plateaux (25%) et le Sud (10%). Or, ce dernier couvre 87 % du territoire. Le d�veloppement urbain s’articule toujours et anarchiquement autour du tissu existant. Si bien que les villes dites �nouvelles� ne sont que des extensions anarchiques de la cit�-m�re et font office de �cit�s dortoirs�. Aussi, 57.800 constructions illicites et bidonvilles abritent 2,1 millions d’habitants. Pas moins de 57.800 habitations pr�caires ont �t� d�molies depuis 1999 ; elles ne sont pas pour autant �radiqu�es. M. Boukerzaza annonce la promulgation prochaine d’une loi de la ville qui ambitionne de faire des villes nouvelles (14 sont programm�es d’ici 2005) des p�les �conomiques, attractifs pour les investisseurs et r�gis comme des entreprises dans lesquelles s’exerce un partenariat contractualis� entre l’Etat, les collectivit�s locales et les citoyens. Il faut dire qu’il �tait bien temps d’y penser. Il reste � conna�tre son effectivit� dans un contexte de laxisme, de laisser- aller ou de d�mission g�n�rale. Son coll�gue du gouvernement en charge de la Solidarit�, M. Ould Abbas, est moins convaincant lorsqu’il annonce un financement public des am�nit�s locales et des comportements civiques. Il se propose de financer la cr�ation de 4.440 micro-entreprises de 50.000 employ�s dans 220 communes pour collecter, transporter et trier les ordures m�nag�res, traiter les eaux us�es, implanter et g�rer les d�potoirs collectifs, entretenir, assainir, g�rer et s�curiser immeubles et quartiers. En somme une v�ritable police urbaine dont on ne conna�t pas encore le co�t et le mode de financement. Il s’agit l� d’une p�le copie de ce qui se passe ailleurs. En France, les emplois-ville, d�finis comme des "emplois d'utilit� sociale" dans le Pacte de relance de la ville, sont r�serv�s aux jeunes en difficult� et aux jeunes de 18 � 25 ans disposant d'un dipl�me inf�rieur ou �quivalent au bac (qui r�sident dans les grands ensembles et les quartiers d'habitat d�grad�), eux aussi fortement victimes du ch�mage. Dispositif qui, par ailleurs, n’alt�re en rien les strictes obligations des diff�rents intervenants. Chez nous, la d�marche comporte un hiatus entre l'avantage collectif ou diffus de ces am�nit�s et leur co�t qui est loin d’�tre individualis� et donc loin de responsabiliser le citoyen ou les structures l�galement comp�tentes. La vente des biens de l’Etat entam�e sous le premier mandat de Chadli Bendjedid a fini par constituer un immense domaine de copropri�t� toujours livr� � lui-m�me. Une sorte de terre sans ma�tre. A l’exception des parties privatives, tout ce qui est mitoyen ou commun est dans un �tat de d�labrement g�n�ral. Et ce ne sont pas les textes qui manquent. Du syndic � l’administrateur des biens, en passant par �le copropri�taire diligent �, la loi a tout pr�vu pour que la copropri�t� ne soit pas � l’abandon. L�galement, il p�se sur tout propri�taire ou copropri�taire une obligation g�n�rale de ne causer aucun dommage ou inconv�nient aux voisins et riverains, obligation n�e des n�cessit�s de la coexistence sociale, du support mutuel, plus globalement de l’amendement de �l’insularit� individualiste�. Puisque le syst�me mis en place est d’inspiration fran�aise, autant en faire bon usage. D�s 1849, le juge fran�ais retenait le principe g�n�ral que �le droit de propri�t� est limit� par l’obligation mat�rielle et l�gale de ne causer � la propri�t� d’autrui aucun dommage�. Les seules tol�rances qu’il ait admises s’arr�tent aux �inconv�nients normaux� du voisinage (qui ne peuvent �exc�der la mesure de ce qui est supportable �). Il s’agit alors d’inconv�nients anormaux et excessifs qui ne peuvent �tre tol�r�s m�me en fonction du droit du premier occupant. Ont �t� consid�r�s comme �tant anormaux par la jurisprudence fran�aise des inconv�nients multiples, comme les vapeurs (parce qu’elles provoquent la formation d’une couche de glace sur la route), les fum�es et les poussi�res, les odeurs, les vibrations, les bruits, les lumi�res, les toxiques et dangers de contagion et m�me les racines et les ronces envahissant le fond voisin. La responsabilit� d�coulant des troubles du voisinage est dite �causale�, car en principe on doit rester chez soi et r�sulte d’un �quilibre sage et honn�te entre deux r�gles : d’abord, la r�gle selon laquelle on doit supporter patiemment des inconv�nients tol�rables et normaux ; ensuite, la r�gle selon laquelle on ne doit pas infliger de troubles anormaux, exceptionnels et excessifs au voisin. Le l�gislateur alg�rien œuvre dans le m�me esprit. L’article 691 du code civil alg�rien dispose :�Le propri�taire ne doit pas exercer son droit d’une mani�re abusive au d�triment de la propri�t� du voisin. Le voisin ne peut exercer de recours pour les inconv�nients ordinaires du voisinage. Toutefois, il peut demander la suppression de ces inconv�nients s’ils d�passent la limite ordinaire. Le juge tient compte pour cela de l’usage, de la nature des immeubles, de leur situation respective et de leur destination�. La pratique semble contredire syst�matiquement cet �nonc�. Les conflits li�s � l’exercice de la cohabitation n’aboutissent devant le juge que s’il y a mort d’homme. En France, les pouvoirs publics se sont int�ress�s aux �copropri�t�s en difficult�, �galement appel�es �copropri�t�s d�grad�es� (1,8 pour cent de logements en copropri�t� sont dans ce cas en France et bien davantage chez nous) pour instituer une double proc�dure qui n’alt�re en rien les responsabilit�s des uns et des autres et dont on pourrait utilement s’en inspirer. Primo, ils ont mis en place une proc�dure d’inspiration judiciaire qui organise un r�gime de gestion exceptionnel et unique. Elle permet au pr�sident du tribunal de grande instance de d�signer un administrateur provisoire charg� de r�tablir le fonctionnement normal de la copropri�t�. Le dispositif l�gal n� de la loi du 21 juillet 1994 relative � l’habitat est destin� � traiter les d�faillances financi�res des syndicats. Le juge peut �galement d�cider de la division des copropri�t�s trop vastes. Il s’agit de scinder les difficult�s pour isoler les probl�mes et les traiter plus humainement. La loi lui permet alors de suspendre la poursuite de certains cr�anciers du syndicat pour une p�riode d’un an au maximum. Le pr�sident peut �tre saisi soit par les copropri�taires repr�sentant 15% au moins des voix du syndicat, soit par le syndic lui-m�me sans qu’il ait � demander l’autorisation de l’assembl�e g�n�rale, soit par le procureur de la R�publique �sur requ�te indiquant les faits de nature � motiver cette demande �. Secundo, les pouvoirs public fran�ais ont mi en place une proc�dure compl�mentaire d’inspiration administrative d’aide et d’intervention r�sultant de la cr�ation d’un plan de sauvegarde des copropri�t�s en difficult�. C’est la loi du 13 d�cembre 2000 relative � la solidarit� et au renouvellement urbain qui soumet le traitement de la copropri�t� aux r�gles administratives par la relance de �plans de sauvegarde� qui font passer le traitement de la copropri�t� en difficult� dans la sph�re publique. Le �plan de sauvegarde� approuv� par arr�t� du pr�fet peut alors transformer le copropri�taire en simple locataire puisque la loi autorise les organismes HLM � r�aliser des op�rations de portage (transfert de charges) de copropri�t�s en difficult�. Ils peuvent ainsi acqu�rir des lots en difficult� en vue de leur revente apr�s y avoir effectu� des travaux. Il y a l� un proc�d� dissuasif certainement plus rentable que toute formule de substitution de responsabilit�s. Un exemple � m�diter loin de tout mim�tisme primaire ou des �p�les copies�.
A. M.

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