Panorama : LETTRE DE PROVINCE
Le qu�teur de post�rit�
Par Boubakeur Hamidechi


Par inclination naturelle, les gens de cour sont toujours impudents dans l’�loge. S’�tonnera-t-on, par cons�quent, d’entendre leurs dithyrambiques tirades, eux dont le m�tier consiste � chanter la grandeur l� o� il n’y a que du clinquant ? Sans doute r�torquera-t-on que leurs exc�s sont r�els, toutefois ceux-l� servent du moins � compenser la mauvaise foi des sceptiques de tous poils.
Ces critiqueurs professionnels qui peuplent les journaux, par exemple. R�put�s pour traquer la malveillance, sont-ils pour autant dignes de la v�rit� ? S�rement pas. Car rien n’est moins cr�dible que les tapageuses campagnes qu’ils orchestrent chaque fois qu’ils prennent pr�texte du calendrier pour c�l�brer le prince. Il est vrai que la servitude leur laisse peu de moyens pour cultiver un quelconque �quant � soi� et la louange r�mun�ratrice vaut bien quelques entorses � la probit�. Recrut�s pour jouer une seule musique, ils ex�cutent celle-ci au garde-�-vous quand la saison s’y pr�te. D�j� qu’ils maquillent l’arithm�tique et n’�voquent que �l’an I� d’une pr�sidence, alors que l’on vient d’en boucler six, renseigne sur la finalit� d’un tel �d�couplage � des mandats et la tonalit� future de l’histoire officielle. Autant dire, � leur place, que le bouteflikisme en tant que style et syst�me de pouvoir n’a �merg� qu’en avril 2004. Pour ce faire, ils ne manqueront pas de sugg�rer que le pr�c�dent quinquennat n’�tait qu’une parenth�se. Une phase de gestation qui a fini par accoucher d’une v�ritable direction nationale sur les d�bris des multiples sph�res d�cisionnelles qui tiraient � hue et � dia. De ce point de vue, la restauration d’une fonction pr�sidentielle d�positaire de la totalit� des pr�rogatives peut, effectivement, �tre dat�e d’� peine une ann�e et pour laquelle le chef de l’Etat est dor�navant exclusivement comptable. M�me circonscrite � une trop br�ve �annuit� le bilan, s’il doit se faire, m�rite quand m�me une certaine retenue dont ne font pas preuve les m�dias officiels. Cette abondance de satisfecit d�clin�s par les communicants proches du pouvoir nuit paradoxalement � l’id�e qu’il s’efforce de donner du changement et du souci de ne plus abuser du �mentir-vrai�. Qu’est-ce � dire, si ce n’est que malgr� la consolidation du r�gime et sa stabilit� en son sommet, le pays demeure toujours sans grandes perspectives, sans ligne d’horizon. Bref, sans moteur de l’esp�rance. Avec une gouvernance tatillonne dont l’on ne sait gu�re si elle est l’�manation d’un choix technocratique ou d’une distribution politique, elle persuadera finalement les observateurs avis�s qu’elle a lamentablement �chou� dans son travail. Avec �galement un Parlement introuvable ent�rinant dans une sorte d’indignit� tous les desiderata de l’ex�cutif. Avec enfin l’effacement des forces sociales que sont les partis et les organisations syndicales, nous avons d�j� une photographie exacte de ce que furent ces fameux douze mois. Une r��lection ravageuse dont la caract�ristique premi�re a �t� une re-activation des proc�s en sorcellerie journalistique, des op�rations d’�puration partisane et la normalisation quasi stalinienne des relais sains de la m�diation. En somme, �le tout-Bouteflika� d’aujourd’hui n’est pas � son avantage quoique l’on s’efforce de dire le contraire. Le nettoyage par le vide politique et son corollaire l’omnipotence de la solitude pr�parent au despotisme rampant, m�me s’il est peu probable que le chef de l’Etat le trouve tout � fait � son go�t. Lui qui cultive la vertu d’un pouvoir fort est justement attendu sur la question des libert�s publiques et la mani�re dont il compte ne pas ali�ner le jugement des organisations internationales plus sourcilleuses qu’auparavant sur la d�fense des droits de l’homme et la d�mocratie. Question donc plut�t d’image personnelle que de culture fonci�re. Mais la courtisanerie, qui, comme on le sait, a la libert� de dire ce que pense le chef, r�fute toute allusion � nos r�gressions politiques. Prompte aux �loges, elle a r�cemment multipli� les standings ovations et les r�v�rences au caract�re �clair� de son action et franchi all�grement les fronti�res de la mesure pour lui donner du �guide�. H�las, m�me les superlatifs ne changent rien � la r�alit� du pays. Les exergues d�ploy�s autour de la r�ussite de �son� Sommet arabe ou bien la qualit� de sa contribution � l’Unesco sont pr�cis�ment un genre � souligner en creux tous les revers et la cacophonie qui sont le lot de la gestion int�rieure. Peut-�tre m�me qu’un tel d�calage entre la visibilit� diplomatique et la frilosit� locale est une constante de son style. Sa marque de fabrique, comme on dit. En effet l’intelligence qu’il met � engranger quelques estimes aupr�s de ses pairs arabes ou bien � courir les d�bats acad�miques avec des postures de r�cipiendaire disent plus long sur son souci de soigner d’abord une image de personnage. Bien entendu nul ne s’avisera � nier que sa pr�sence dans les forums internationaux contribue � am�liorer la perception �trang�re de notre pays. Mais enfin il y a �galement tant � faire pour mettre en symbiose les Alg�riens avec leurs dirigeants. De l’ext�rieur, le pays demeure peu engageant pour les investisseurs �trangers qui auraient plus d’une raison de bouder la qualit� de notre gouvernance. Cette panne des r�formes que l’on diff�re par absence de volont� politique et de clart� dans les objectifs et qui a fini par lasser les partenaires. Par ailleurs, dans sa relation avec l’opinion nationale, le pouvoir continue � cultiver la m�me suspicion qu’� l’�poque de son premier mandat. Il tient volontairement � l’�cart la presse du pays et s’abstient de toute communication autre que la solennit� des discours. Les partis politiques ne sont gu�re mieux consid�r�s, que l’on ne consulte jamais, m�me ceux de l’alliance dont les leaders sont, au mieux, invit�s � recevoir des directives. Quant aux grands chantiers et cette cagnotte de 50 milliards de dollars en cinq ann�es, l’id�e a d�j� perdu une ann�e en palabres et dans le m�me temps de sa superbe fascination aupr�s des op�rateurs nationaux. Ces derniers n’y voient en elle qu’une op�ration de marketing politique et un montage pour des transferts massifs du pactole auquel les managers alg�riens ne seront pas convi�s. Avec la m�me justesse et le m�me scepticisme, les �conomistes interpr�tent diff�remment les taux de croissance annuels et les autres indicateurs �conomiques que l’on affiche avec satisfaction. Ceux-l� confrontent les bilans de sant� �conomique avec les r�alit�s du terrain. Parmi elles, la courbe du ch�mage, qui ne s’infl�chit pas, contredit tous les discours. Cependant les bons avocats ne manquent pas d’arguments pour plaider la cause globale du r�gime, en faisant leurs choux gras d’un relatif retour � la s�r�nit� sociale. Pays apais� gr�ce � la r�conciliation amnistiante et au rafistolage de la crise de Kabylie ? Allons donc, ce serait pr�ter � des calculs sordidement politiciens des th�rapies qui auraient �chapp� � ses pr�d�cesseurs ! En v�rit� si les p�rils ont recul� cela est d� moins � une quelconque aptitude de dirigeants qu’� la r�sistance morale et physique de la communaut�. Dans cette dynamique du refus de la fatalit�, les mandataires actuels n’auront en fait contribu� qu’� accompagner cette tendance lourde et ancienne. C’est donc pr�sentement un pays en trompe-l’œil o� il y a mati�re � toutes les illusions. Une prosp�rit� renti�re de l’Etat gr�ce � laquelle il peut s’autoriser toutes les promesses et ne pas les tenir, puis l’entretien d’un formalisme pluraliste dont l’expression achev�e est cette alliance de pacotille qui n’est dans la r�alit� que la combinaison d’appareils croupions. Une sorte de mercenariat politique que l’on a plaqu� sur l’espace d�mocratique comme un corset destin� � juguler l’exercice des libert�s publiques. Cet �tat de choses fait �galement partie du bilan m�me s’il n’est actuellement mesurable qu’� travers la mise en veilleuse non inscrite de l’activit� des partis. En un mot comme en mille, l’Alg�rie de 2005 est toujours p�trifi�e dans un immobilisme mortif�re quoi que fasse l’activisme d�sordonn� d’un gouvernement ou que tentent de d�mentir les ex�g�tes pr�pos�s au d�codage des gestes du chef de l’Etat. Parmi tous les exercices et les dissertations qui remplissent les colonnes de la presse du pouvoir il y a tous ces ballons-sondes autour d’une probable amnistie. Focalisant l’int�r�t, elle rameute tous les cercles d’opportunistes dont les capacit�s de nuisance consistent ni plus ni moins � emp�cher le d�bat de se tenir et � d�tourner l’opinion des v�ritables questionnements qui engagent le destin du pays. Le pouvoir s’accommode de leur pr�sence et approuve leur mode op�ratoire comme il a �t� par le pass� peu regardant sur la qualit� de ses relais �lectoraux. Le bouteflikisme, c’est aussi ce compagnonnage trouble d’une faune, quoiqu’il s’en d�fende. Homme et syst�me � la fois, les thurif�raires le c�l�brent par avance au nom d’une volont� inscrite par lui de changer les mœurs politiques et de refonder l’Etat. Mais c’est encore une vue de l’esprit et un fantasme de courtisans qui excellent dans les projections. Car, m�me si le personnage qui l’incarnera n’est d�j� plus un trois quarts de pr�sident , mais bien un dirigeant dans la pl�nitude de ses pouvoirs, il lui faudra quand m�me bien plus que des vell�it�s ponctuelles pour acc�der � la r�f�rence doctrinale et forcer les portes de la post�rit�.
B. H.

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