Panorama : A FONDS PERDUS
Un capitalisme de copinage
Par Ammar Belhimer


Le pr�sident de la R�publique a dress� un s�v�re r�quisitoire � l’endroit des banques et, incidemment, de leurs gestionnaires, jeudi dernier. Il d�plorait notamment qu’aux lieu et place des r�formes promises depuis 1999, date de son premier mandat, il ne trouve, six ans plus tard, que �de la gabegie�, ou encore �une v�ritable manne financi�re qui stagne�.
Il y voit l� un frein � la croissance et aux progr�s qu’il attend de la mobilisation des 55 milliards de dollars pr�vue au titre du nouveau Programme quinquennal 2005-2009. En effet, la r�gle g�n�rale veut que tous les facteurs qui alimentent habituellement la croissance (la consommation des m�nages, l'investissement des entreprises, les d�penses de l'Etat et le commerce ext�rieur) sont tributaires du cr�dit mais, contrairement aux fantasmes entretenus par les �conomistes lib�raux, il ne suffit pas que les exclus de la machine �conomique, survivant gr�ce � leurs activit�s informelles, puissent acc�der au cr�dit pour que s'engage un cercle vertueux d'accumulation. Cette r�serve d’�cole �tant admise, il devient possible de se poser la question de savoir : o� trouver l'argent quand on veut se d�velopper et investir, consommer � cr�dit, acqu�rir des �quipements ou exporter des produits ? Les circuits de financement locaux refusent encore de livrer tous leurs secrets. Cependant, une certitude demeure : ils continuent � faillir � leur mission premi�re. Les banques sont suppos�es garantir le financement de l'�conomie en octroyant des cr�dits aux particuliers et aux entreprises. Elles y parviennent en proc�dant � la transformation des �ch�ances : elles pr�tent souvent pour plusieurs ann�es de l'argent qui n'est g�n�ralement d�pos� chez elles que pour quelque temps sur des comptes courants ou d’�pargne. Par le biais du cr�dit, elles r�alisent l'avance mon�taire dont les entreprises ont besoin pour investir sans pour cela d�pendre de l'�pargne pr�alable. Le cr�dit donne ainsi l'impulsion au circuit �conomique. Qu’en est-il dans la pratique ? Les conditions d’acc�s au cr�dit sont cependant plus que draconiennes, discr�tionnaires, et le parcours du combattant qui le jalonne ne dispense pas de sa chert� : les banques pratiquent �des taux d’int�r�ts de 5%, 6%, 7% et 8% alors que chez la Banque Centrale, le taux est de 0,75% �, rel�ve encore le pr�sident de la R�publique. Pour �tre plus pr�cis, les statistiques officielles du minist�re des Finances indiquent un taux de r�escompte de 4% et des taux d�biteurs de 6,5% au minimum et de 9% au maximum � fin septembre 2004. Comme les banques sont seules � disposer du droit de faire du cr�dit, les entreprises recourent � d'autres moyens pour se financer. Elles peuvent en effet collecter des fonds directement par la voie du financement desinterm�di�, avec tout ce qu’il comporte comme risques pour ces �cr�anciers de proximit�, les d�tenteurs de �matelas� de liquidit�s (c’est d’ailleurs l’expression en usage dans le milieu), all�ch�s par les taux sp�culatifs qu’ils empochent � �ch�ances br�ves, souvent trimestrielles ou semestrielles, avec pour seule garantie un acte notari�. L'autofinancement devient la source principale du financement des entreprises. Les taux de profit �lev�s que procurent �les niches� pour les plus fut�s, les monopoles de fait et les diverses protections politiques — la proximit� des �lites politiques et financi�res s’articulant autour de ce qui s‘apparente � un �capitalisme de copinage� — assurent aux seules �entreprises bien n�es� la possibilit� de financer leur croissance. Lorsqu’elles ne sont pas �instruites�, les banques pr�f�rent les pr�ts de court terme aux placements industriels de longue dur�e, op�rant par l� un v�ritable �crime de l�se-croissance industrielle� , un �d�sengagement industriel�, dans un contexte paradoxal de regain de l'investissement priv�. �Au moment o� je parle, il y a au minimum 10 milliards de dollars dans les banques qui attendent ceux qui veulent travailler avec cet argent�, avait aussi rappel� M. Bouteflka jeudi. Il embo�te le pas du ministre des Finances pour qui �l’interm�diation bancaire n’existe pas�. On ne peut reprocher au premier magistrat du pays de se pr�occuper de la question. L’apport du cr�dit � l'�conomie suscite partout l'int�r�t des politiques pour les banques. Une des motivations avou�es de l’amendement de la loi sur la monnaie et le cr�dit �tait la volont� de ma�triser l'arme du cr�dit pour la mettre au service d'une politique volontariste de d�veloppement industriel. En r�gle g�n�rale, les petits projets n’int�ressent gu�re le banquier car le co�t des op�rations est jug� �lev�. Les conditions d'acc�s au cr�dit se durcissent alors pour les tr�s petites entreprises et les garanties qui leur sont exig�es sont plus restrictives. C’est pourquoi, l'Etat cherche r�guli�rement � orienter le cr�dit vers telle ou telle activit� par sa bonification. Il peut d�cider d'offrir des cr�dits � des taux inf�rieurs aux taux du march� pour relancer la consommation, l‘autoconstruction ou la cr�ation d'entreprises par des jeunes ch�meurs dans le cadre de l’ANSEJ ou par des personnes plu �g�es sans ressources (les moins de 50 ans) par le canal de la CNAC. Son intervention est n�cessairement limit�e et forc�ment subventionn�e, comme l’atteste le micro-cr�dit au profit des micro-entreprises. Les banques se chargent de la distribution de ces cr�dits et l'Etat leur rembourse la diff�rence. Pour le reste, hors de ce circuit, le discours du banquier sur le commun des investisseurs est connu : manque de garanties, absence de dispositifs de recouvrement en cas de d�faillance, etc. En limitant les d�penses des m�nages et des entreprises, la faible distribution des cr�dits bancaires freine la relance �conomique. A d�faut de march� financier, les banques pr�f�rent placer leurs liquidit�s � la Banque d’Alg�rie : �Il n’est pas normal que les surliquidit�s bancaires soient log�es au niveau de la Banque d’Alg�rie, � un taux de 0,75%, alors qu’il est plus rentable pour les banques de les placer sur le march�, � des taux de 3 � 4% �, rappelait encore le pr�sident de la R�publique. C’est la raison pour laquelle il les implore de retrouver leur fonction premi�re : financer l'activit� �conomique. Ce qui commande leur �modernisation� et leur �comp�titivit� �. Comment compte-t-il y parvenir ? Sa prescription tient � une sollicitation : �J’attends des dirigeants des banques qu’ils acc�l�rent la r�forme bancaire pour offrir � notre �conomie un cadre propice � la croissance et � l’investissement.� Ce faisant, il rejoint le constat du directeur du Fonds mon�taire international qui, lors de son passage � Alger le 2 mars dernier, situait �le cœur des r�formes� dans un �syst�me bancaire sain�. A cet effet, M. Rodrigo de Rato avait prescrit de �renforcer la supervision bancaire et de privatiser plusieurs banques publiques, de fa�on � acc�l�rer le transfert des pratiques bancaires modernes � ce secteur �. Une autre fa�on de dire que le mode de cooptation des cadres n’assure ni comp�tence, ni expertise, et qu’il faille chercher ces belles et nobles vertus loin des consid�rations politiciennes en vigueur dans les conseils nocturnes et ferm�s du microcosme alg�rois qui veille � ses propres int�r�ts et � ceux de la nation. Et une autre fa�on de dire qu’il �tait peut-�tre inutile, voire maladroit et infructueux, d’amender la loi 90-10 du 14 avril 1990 relative � la monnaie et au cr�dit, notamment dans ses dispositions instituant l’autonomie de la Banque centrale. �Tidets ijarhan khir lekdav isafrahan � (la v�rit� qui blesse est pr�f�rable au mensonge qui contente ou r�jouit), dit un proverbe kabyle. Suivant une approche �conventionnelle � �tablie, c’est l’effet attendu de l’ind�pendance de la Banque centrale sur les performances �conomiques qui incite � couper le lien ombilical la rattachant au pouvoir politique. Tout gouvernement ou pouvoir politique est r�put� laxiste pour des raisons multiples. Qu’il le fasse par client�lisme, naturellement s�lectif, ou qu’il soit l�gitimement soucieux d’�tre reconduit, dans les deux cas il aura tendance � recourir � une politique discr�tionnaire pour relancer l’activit� et au seigneuriage pour financer les d�ficits publics. C’est pourquoi, il est partout recommand� d’�viter le pi�ge en isolant la conduite de l’action mon�taire des al�as de la conjoncture politique et des �ch�anciers �lectoraux. Divers travaux concluent de fa�on absolument convergente que l’autonomie r�elle des banques centrales exerce un effet positif sur la croissance des pays en d�veloppement, sur l’inflation moyenne et sa variabilit�, ainsi que sur la stabilit� des prix. Les m�mes travaux attestent que cette autonomie se mesure � l’aune des indicateurs d’autonomie formelle (legal index) qui touche aux dispositions l�gales, qu’on souhaite stables, et d’autonomie r�elle (practice index) mesur�e bien plus que par le statut l�gal de la Banque centrale : elle renvoie � la tradition, � la personnalit� du gouverneur et des autres responsables de la banque.
A. B.

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