Panorama : A FONDS PERDUS
Le micro-cr�dit ne fait pas l’accumulation


La cr�ation d'entreprises peut-elle, par le d�blocage du verrou du financement, apporter une r�ponse aux lancinantes questions sociales du ch�mage, de la paup�risation et de l’exclusion ? Les mesures de plus en plus incitatives prises en faveur de la formule indiquent que les d�cideurs alg�riens en sont convaincus. Outre la modicit� des apports personnels (entre 5 et 10 % seulement) et le rel�vement du plafond du cr�dit � 10 millions de dinars, il n’est plus exig� du jeune promoteur d’hypoth�quer des biens immobiliers personnels ou familiaux.
Les locaux et �choppes d�gag�s par les structures d�sormais vacantes des ex-EDGA et Aswak autorisent la domiciliation de centaines de projets. D’ailleurs, le r�cent amendement du code de commerce va dans le m�me sens : aux termes de l’art. 187 bis, un bailleur peut louer un local pour la p�riode de son choix et le r�cup�rer � l’issue du terme �chu sans payer d’indemnit� d’�viction. Finis donc les 23 mois ! L’engouement pour le micro-cr�dit est �vident et les ressources largement disponibles. Il a permis de d�gager 110 milliards de dinars dont 40 d’apport personnel pour concr�tiser 306.000 dossiers �ligibles. La collecte d'une �pargne de proximit� dans les zones urbaines et rurales o� r�sident des populations � faible revenu ressort avec �vidence de cet apport. Les performances de l’Ansej dont la notori�t� n’a jamais �t� aussi unanimement reconnue depuis sa cr�ation il y a neuf ans et l’arriv�e � sa t�te de M. Mebarek ont de quoi faire p�lir la Grameen Bank, une institution financi�re de renomm�e internationale fond�e par Muhammad Yunus, un universitaire bangladais form� aux Etats-Unis et revenu au pays r�solu � am�liorer le sort d’une paysannerie pauvre gravement d�laiss�e par les �quipes dirigeantes. Suite � un projet exp�rimental men� en 1976 sous l'�gide de l'universit� de Chittagong, dans le sud-est du pays, la Grameen Bank s'est d�velopp�e progressivement dans tout le Bangladesh avant d’inspirer de multiples exp�riences � travers de monde entier. Elle b�n�ficie en cela de l’attention unanime des �conomistes les plus �minents. Dans une �tude sur les m�thodes de pr�ts de la Grameen Bank, l'�conomiste am�ricain, prix Nobel d’�conomie en 2001, Joseph Stiglitz, estime que le syst�me est b�n�fique pour les emprunteurs et qu’il assure in�luctablement une augmentation de leurs revenus et une am�lioration de leurs conditions de vie. A ses yeux, la cl� du syst�me que sont les membres des petits collectifs sont incit�s � contr�ler et � interf�rer dans le comportement de leurs partenaires. Il en a �t� conclu que la responsabilit� solidaire des jeunes promoteurs est une bonne assise pour le respect de leurs engagements � l’endroit de leurs partenaires, qu’il s’agisse des organismes de cr�dit ou des autres fournisseurs. Deux autres chercheurs am�ricains, Timothy Besley et Stephen Coate, sont partis de ce r�sultat et ont �tudi� le comportement des emprunteurs � l'aide de la th�orie des jeux qui consiste donc � analyser les choix rationnels dans un univers d'interactions et d’interd�pendance. Ces travaux attestent de la volont� et de la capacit� des jeunes promoteurs � tenir leurs engagements. Partout, la machine du micro-cr�dit s’emballe et rien ne semble pouvoir l’arr�ter. Ainsi devrait-elle profiter � cent millions de personnes en 2005, sur la base du mod�le de la Grameen Bank du Bangladesh, si l'objectif fix� en f�vrier 1997 lors du premier sommet du micro-cr�dit de Washington est respect�. Ce rendez-vous marque l’int�r�t de la communaut� internationale pour le syst�me comme solution, m�me partielle, au sous-d�veloppement � court et � moyen terme. Depuis cette date d’autres manifestations l’ont confirm� : deuxi�me sommet du micro-cr�dit � New York, en juin 1998 ; r�union tripartite r�unissant les dirigeants des principales microbanques, les autorit�s financi�res nationales et les dirigeants d'institutions financi�res internationales, sur la microfinance, organis�e � Lyon du 9 au 12 novembre 1998 par la Conf�rence des Nations unies sur le commerce et le d�veloppement (Cnuced). L'engouement pour la microfinance solidaire tient largement au fait qu'elle accompagne le discours ultra-lib�ral, qui voit dans la multiplication des micro-entreprises ind�pendantes une alternative durable aux r�gles protectrices du salariat, un outil de lutte contre l'exclusion et un moyen commode de faire partager l’id�ologie de la flexibilit� du travail. Les entrepreneurs informels, libres cr�ateurs de leur auto-emploi et de micro-entreprises participent �galement de ce mythe. Il ne faut cependant pas pousser l’appr�hension id�ologique plus loin : le micro-cr�dit est un instrument de d�veloppement nouveau qui n'est, par nature, ni de droite, ni de gauche, ni antimarch�, ni promarch� ; il tient tout autant de la solidarit� que de la libert� d'entreprendre. Le nouveau march� que repr�sentent les pauvres pour les banques demeure pourtant marqu� par des risques plus �lev�s et les contribuables continueront � financer, par leurs subventions, le co�t de l'accompagnement des dossiers �manant de cette client�le particuli�re, en l'absence d'�tude approfondie de l'impact de ce type de pr�ts en mati�re de cr�ation d'entreprises durables, de trajectoires des cr�ateurs et d'�volution de leur niveau de vie. Un tel risque vaut n�anmoins la peine d’�tre pris car un vrai processus de d�veloppement repose toujours sur l'articulation entre des acteurs priv�s soucieux de s'enrichir et un Etat d�veloppeur qui cr�e un cadre favorable � l'accumulation de richesses en �levant le niveau g�n�ral d'instruction, en d�veloppant les infrastructures, en assurant la s�curit� des personnes et des biens qui incite � investir � moyen terme. Les plus sceptiques au micro-cr�dit soutiennent qu’il ne peut pas �tre autre chose que de l'�conomie de survie, qu’il ne participe pas de l'accumulation, qu’il ne cr�e que de l'auto-emploi dans un contexte o� la seule fa�on de s'en sortir est de cr�er sa propre activit�. Il ne faut alors rien en attendre de plus. Lorsque la possibilit� d'accumuler se pr�sente, les promoteurs pr�f�rent diversifier leurs sources de revenus plut�t que d'investir dans la m�me activit� : un menuisier qui travaille depuis quinze ans sur la m�me machine pr�f�re acheter un taxi pour son fils ou financer le salon de coiffure de sa femme plut�t que d'acheter une nouvelle machine pour d�velopper son activit� principale. Il adopte en fait un comportement rationnel : il limite les risques en multipliant ses sources de revenus. Le syst�me a toutefois un avantage : les r�seaux sociaux sont souvent � la base de l'apprentissage, des circuits d'approvisionnement, des client�les, des coups de pouce financiers et de la main-d'œuvre aussi, laquelle est tr�s flexible. L’enjeu historique r�side cependant dans l’accumulation du savoir et du capital. De ce point de vue, le passage de la micro-entreprise � la petite entreprise n'est pas �vident car cela demande de changer de strat�gie de revenu : passer de plusieurs sources de revenus � une seule. L'entrepreneur ne recherche pas la croissance syst�matique car celle-ci mettrait en danger son mode de fonctionnement bas� sur un strict contr�le de son activit�. D'o� des strat�gies de recrutement privil�giant des embauches issues du groupe familial ou sur recommandation. Un changement d'�chelle contraint �galement � �largir le march� et � trouver de nouveaux clients. Une t�che difficile qui requiert des comp�tence plus fines. Au total, de nombreux freins emp�chent une r�elle accumulation dans le secteur et le changement d'�chelle de ses nombreuses activit�s ; de m�me qu’aucune success story ne vient d�mentir cette affirmation. La preuve : dans le tissu des petites entreprises qui pars�ment l’espace industriel, rares sont celles qui sont issues de la micro-entreprise ; elles ont �t� cr��es soit par des anciens fonctionnaires, soit par des anciens salari�s issus d'entreprises d�j� existantes datant de la p�riode du socialisme sp�cifique. En somme, le passage de la micro � la petite entreprise est rarissime. De m�me que la plus belle femme ne peut donner que ce qu’elle a.
A. B.

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