Panorama : PARLONS-EN
Lettre � un prisonnier
Par Malika BOUSSOUF [email protected]


Aucune raison fondamentale ne justifiait que ce droit te soit refus�. Pourtant, ce que l’on consent ailleurs, y compris � des criminels de guerre, vient, encore une fois, de t’�tre d�ni� par les autorit�s de ton pays. Ainsi, le juge charg�, mercredi dernier, de statuer sur la demande de mise en libert� provisoire introduite aupr�s de la cour par tes avocats ne t’a pas accord� ce droit ; droit r�clam� par tes proches afin que tu puisses b�n�ficier de soins plus appropri�s � ton �tat de sant� qui se d�grade, nous le savons, au fil des jours.
Inqui�t� par l’aggravation de ton �tat physique, le m�decin de la prison o� tu es, est-il encore besoin de le rappeler, arbitrairement d�tenu a recommand� dans un rapport remis � qui de droit que le prisonnier Benchicou soit pris en charge � l’ext�rieur de la prison dont il affirme qu’elle n’est pas �quip�e pour dispenser les soins sp�cialis�s destin�s sinon � stopper du moins � ralentir les d�g�ts occasionn�s par la maladie dont tu souffres. Une pathologie qui, elle non plus, semble d�cid�e � ne pas faire de cadeau, au d�sormais plus c�l�bre prisonnier alg�rien que tu es devenu alors que tu n’en demandais pas tant. Pas de prise en charge urgente, donc, pas de sp�cialiste pour t’examiner ; il faut croire que des experts d’un autre genre en ont jug� autrement… La th�orie avanc�e par les pouvoirs publics restera � jamais ind�fendable dans la mesure o� la premi�re institution ayant pour mission de constater les d�lits �conomiques aux fronti�res, de ou vers l’�tranger, celle-l� m�me charg�e de r�primer ces m�mes d�lits au nom du minist�re des Finances, autrement- dit l’administration douani�re, a reconnu explicitement qu’elle n’avait pas engag� de poursuites, parce qu’il y avait absence d’infraction en la mati�re. Il sera difficile � Bouteflika de trouver plus politique que ton proc�s et rien de ce que pourra dire ou faire ce dernier n’aura de valeur ou de retentissement tant que continueront de croupir dans les ge�les de la R�publique des d�tenus d’opinion, notamment de ta trempe. La requ�te introduite par tes d�fenseurs en f�vrier dernier pour raison de sant� n’aura donc pas �t� entendue. Le m�decin et le directeur de la prison d’El-Harrach en ont inform� les autorit�s judiciaires, mais tu devras encore attendre la r�ponse ad�quate puisque celle du 20 avril dernier ne l’�tait pas ; il appara�t clairement que ni le m�decin ni le responsable de la structure p�nitentiaire qui abrite le mal qui te ronge ne semblent avoir voix au chapitre lorsqu’il s’agit de plaider la cause du redoutable “d�linquant” que tu es. En attendant que, y compris fondu dans une masse de prisonniers anonymes, tu cesses de hanter les nuits d’une nomenklatura au pouvoir, Bouteflika, lui, ne pourra pas offrir l’image d’homme de concorde qu’il voudrait se faire reconna�tre. Il ne pourra pas non plus, m�me fort d’un pl�biscite � 85%, convaincre grand monde de ses projets pacificateurs tant qu’il s’ent�tera � faire garder le dossier Benchicou sous le boisseau ou encore � ignorer les aspirations de tout un peuple � plus de libert�. Il n’y a pas pire revanche que pourrait infliger le sort � un �tre humain que celle de le maintenir prisonnier d’une apparence dont il r�ve de se d�barrasser mais qui s’ent�te � lui coller � la peau parce qu’elle est la sienne et que sa vraie nature la veut ainsi. M�me la satisfaction d’une obsession, comme celle de corriger une presse alg�rienne indocile ou, � d�faut, de la mettre au pas, ne n�cessitait pas que l’on se d�men�t autant pour n’y arriver qu’en partie ou que l’on �gar�t en chemin ces qualit�s majeures chez un chef d’Etat : le self-control et la s�r�nit�. Quelle gloriole peut-on, en effet, tirer � punir de fa�on aussi disproportionn�e, aussi s�v�re un journaliste que l’on ne pourra, quoi que l’on s’ing�nie � faire, jamais d�poss�der de son talent ? Quand de surcro�t ce m�me journaliste est malade et interdit de soins, l’acharnement que l’on met � l’humilier n’aboutit � rien sinon � faire admettre � tous que le geste est encore plus pitoyable que l’offense. Mais oui, le chef de l’Etat pourra clamer, � en perdre haleine, dans les forums internationaux qu’il est un homme de r�conciliation et d’harmonie, la r�alit� le rattrapera toujours. On ne peut pas pr�ner en m�me temps une chose et travailler � son contraire. On ne peut pas faire la promotion d’une loi sur le pardon et se montrer dans l’incapacit� d’en faire la d�monstration en traitant sans une once de cl�mence un homme de ta valeur min� par la maladie mais, Dieu merci, pas encore bris�. Seuls les grands hommes �pris r�ellement d’amour savent faire montre de grandeur d’�me. La sentence � l’�gard de ceux qui t’infligent le traitement que l’on sait est, quant � elle, sans appel. Tu n’as pas �t� emprisonn� pour un d�lit de droit commun mais tu n’es pas reconnu comme d�tenu d’opinion alors que la promesse de payer pour tes �crits t’avait pourtant �t� clairement formul�e par un ministre tr�s �cout� au palais d’El Mouradia. Cela n’arrangerait effectivement pas les affaires du pr�sident qui court encore le monde � la recherche d’une hypoth�tique nomination au prix Nobel de la paix que l’on te sache incarc�r� pour un crime de l�se-majest�. Il faut croire que soit il court mal, d�s lors que, sous pr�texte de reprendre du souffle, il s’arr�te souvent en chemin le temps de croiser indirectement le fer avec toi. Soit il fait d’une affaire comme la tienne, modeste directeur de journal, puni, lui aussi, pour ses opinions, une affaire personnelle tout en laissant, �videmment, aux autres le soin de t’en faire payer l’addition et surtout d’endosser la responsabilit� de l’infamie. Celui que l’on encouragerait � traiter les Alg�riens en sujets aurait, diton, la dent dure. Ses rancœurs ne seraient pas apais�es, selon l’un de tes avocats. Le but de ton maintien en prison comme un vulgaire malfrat aurait pour but de terroriser le reste de la profession. Cela a quelque peu l’air de marcher m�me si pour certains des confr�res se d�sint�resser de toi, ne pas �voquer ton cas ou le faire du bout de la plume rel�verait aussi de la libert� d’expression et donc de la d�mocratie. “A l’exception de ses avocats et de la Ligue des droits de l’homme, personne ne r�clame plus la lib�ration de Benchicou”, se d�solait, il y a quelques jours, un hebdomadaire fran�ais. Faux ! aurions-nous envie de murmurer timidement. Pour ma part, je joins ma voix � celle de ton �pouse et de tes nombreux amis pour dire : “Notre premi�re victoire est d’avoir fait �chouer le projet des autorit�s alg�riennes de faire oublier Mohamed Benchicou.”
M. B.



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http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2005/04/27/article.php?sid=22384&cid=8