Actualit�s : 60e ANNIVERSAIRE DES �V�NEMENTS DU 8 MAI 1945
La plus grande r�pression de l’histoire


“Agression � main arm�e dans la r�gion de S�tif”, titrait la presse coloniale � cette �poque. Du massacre � grande �chelle, les �v�nements du 8 Mai 1945 ont �t� consid�r�s comme un simple fait divers. Mais la r�alit� et l’histoire sont tout autres...
Les manifestations du 8 Mai 1945 par lesquelles on voulait rendre hommage aux Alg�riens tomb�s dans la guerre anti-hitl�rienne ne provoqu�rent que la haine, la violence et la r�pression coloniale. Ayant lutt�, aux c�t�s des Fran�ais libres, contre le nazisme, les peuples colonis�s croyaient que la paix leur am�nerait, si ce n’est l’ind�pendance, du moins une plus large autonomie ou, plus prosa�quement, des droits politiques plus �largis. Ils durent d�chanter. Ainsi, dans l’Alg�rie de grand papa, la participation de dizaines de milliers de recrues musulmanes � la lib�ration de la m�tropole ne signifiait pas qu’on d�roge�t au sacro-saint principe de la s�paration des “races”. Ils avaient beau avoir vers� leur sang � Monte Cassino ou dans les Vosges, les Arabes, aux yeux des colons, n’�taient que des sujets devant rester dans un �tat de soumission. Ceux qui os�rent s’�lever contre le maintien du statu quo le pay�rent tr�s cher : 45 000 martyrs.
Le pr�lude
En avril 1945, les arm�es hitl�riennes s’effondrent. Les alli�s se r�unissent � San Francisco pour fonder ce qui sera l’Organisation des Nations unies. Un grand vent d’unit�, qui souffle aussi sur le Maghreb, soul�ve le monde arabe depuis la naissance, le mois pr�c�dent, � Heliopolis, dans la banlieue du Caire, de la Ligue arabe. La Syrie et le Liban, o� la rivalit� francoanglaise prend un tour particuli�rement aigu, figurent, avec Ceylan, la Birmanie, l’Indon�sie, parmi les pays qui vont acc�der � l’ind�pendance. En Alg�rie, une large faction de l’opinion publique musulmane pense que les promesses d’�mancipation des peuples contenues dans la Charte des Nations unies vont �tre rapidement tenues. Sur le plan politique, ces sentiments sont exprim�s par un mouvement de masse de 500 000 adh�rents, les Amis du manifeste et de la libert� (AML), constitu� le 14 mars 1944 � S�tif par Ferhat Abbas, par Messali Hadj, qui vit depuis le 14 avril 1941 sous le r�gime de la libert� surveill�e � Reibell (Chellala) puis exil� en avril 1945 � Brazzaville, et par les ul�mas. Un congr�s tenu au d�but de 1945 a r�alis� la fusion th�orique du parti de Ferhat Abbas et de celui du PPA, le Parti populaire alg�rien, interdit et clandestin de Messali Hadj. Les partisans de Ferhat Abbas et ceux de Messali Hadj sont d’accord sur un objectif fondamental : la revendication essentielle du “Manifeste” de 1943, qui r�clame “un Etat alg�rien dot� d’une Constitution propre �labor�e par une Assembl�e alg�rienne constituante �lue au suffrage universel par tous les habitants de l’Alg�rie”, doit �tre reli�e aux principes de la Charte des Nations unies qui s’�labore � San Francisco et notamment � l’article 73, qui s’engage � “tenir compte des aspirations des populations et � les aider dans le d�veloppement progressif de leurs libres institutions politiques”. Il s’agit, en somme, pour les AML, d’internationaliser le probl�me alg�rien et de faire conna�tre � l’opinion et aux gouvernements alli�s, notamment britannique et am�ricain, la cause du nationalisme alg�rien. De quelle mani�re ? Une directive aux militants l’explique : il faut profiter de tous les rassemblements populaires pour lancer les slogans de l’ind�pendance et de la “Constituante alg�rienne” et pour brandir devant les foules l’embl�me national, le drapeau vert et blanc de l’�mir Abdelkader.
Le mardi noir

C’�tait un mardi jour de march�, un soleil de printemps se levait sur une ville tr�s anim�e o�, depuis la veille, il n’�tait question que de la manifestation pr�vue pour le matin. La victoire des alli�s a permis aux Alg�riens d’organiser un d�fil� pour d�poser une gerbe de fleurs au monument aux morts. Le sacrifice des Alg�riens morts dans la lutte contre le fascisme doit apporter � l’Alg�rie plus de libert� et de d�mocratie. Tel �tait l’esprit qui animait la population ce jour-l� � S�tif. 8h30. A la mosqu�e du faubourg de la gare, militants, paysans et citadins commencent � affluer. C’�tait le point de rendez-vous. Et le cort�ge se formait, en t�te les Scouts musulmans alg�riens, derri�re eux trois musulmans portaient la gerbe de fleurs qui devait �tre d�pos�e au monument. Un cort�ge de 15 000 personnes environ s’�branle, entour� de groupes d’enfants, par la rue Jean-Jaur�s (avenue du 1er-Novembre-1954 actuellement), puis la rue Cl�menceau (avenue du 8- Mai-45). Sur les trottoirs, �tait mass�e la foule musulmane encadr�e par des militants. L’enthousiasme populaire montait peu � peu. Les youyous des femmes se faisaient entendre. En cette matin�e de la victoire, il semblait que la libert� �tait l�, toute proche. Alors que les premiers manifestants sont arriv�s � la hauteur de la librairie Mesquida, les derniers pi�tinent encore devant la mosqu�e, distante de 600 m�tres environ. Beaucoup chantent le chant patriotique que les Scouts musulmans ont compos� l’ann�e pr�c�dente, qu’ils ont fait conna�tre au camp de Tlemcen et qui est devenu rapidement populaire : “Min djibalina tala� saout al ahrar iounadina lil istiqlal”.
Le drame

Arriv�s � la hauteur du Caf� de France, les scouts entonnent un nouveau chant nationaliste : “Hayou ifriqiya !” (Saluez l’Afrique), lorsque le commissaire de la PJ, Lucien Olivieri et les inspecteurs Lafont et Haas entrent dans le cort�ge et somment les responsables des AML, qu’ils trouvent devant eux, de faire dispara�tre les pancartes et le drapeau alg�rien. Ceux-ci refusent. Une bousculade s’ensuit. Le commissaire Olivieri, de la police judiciaire, s’approcha du jeune Saal Bouzid et voulut lui arracher le drapeau alg�rien, mais Bouzid n’abdiqua pas et tint bon. Le commissaire de police usa de son arme et fit feu, tuant le jeune Saal Bouzid, premier martyr de ces �v�nements sanglants. En entendant le coup de feu, plusieurs policiers surgirent en tirant sur la foule. De nombreux manifestants se sauvent sous les arcades et dans les rues voisines. Les dirigeants restent sur le terrain, entourant les porteurs de gerbes, et tandis que les morts et les bless�s sont enlev�s, le cort�ge se reforme dans le calme, un peu plus loin, � hauteur de la rue Sillegue (avenue Ben Boula�d). La minute de silence aura lieu au monument aux morts, puis les dirigeants exhortent la population au calme, � ne pas c�der � la provocation. Mais l’�preuve de force est � peine entam�e. Autour du monument aux morts, gendarmes et gardes mobiles font irruption. Les balles sifflent en l’air, quelques bless�s tombent. A la faveur de la panique provoqu�e par la fusillade, les Vichystes �pur�s ont pris leur revanche. Le maire de la ville, Delucca est tu�, r�put� pour ses id�es lib�rales, il avait tent� de s’interposer entre les manifestants et les forces de l’ordre. Sit�t connus, les �v�nements de S�tif, les troubles gagn�rent les localit�s voisines : P�rigotville (A�n-Kebira), Mansouria, Chevreul (B�ni- Aziz), Saint-Arnaud (El- Eulma), Kherrata, et la circonscription de Guelma. Partout circula la m�me phrase : “Les Europ�ens tuent les n�tres � S�tif”. Des arrestations et des ex�cutions sommaires d’Alg�riens inaugurent une v�ritable Saint- Barthel�my. Le m�me jour, � Guelma, la manifestation pacifique organis�e par les militants nationalistes, drapeaux alg�rien et des alli�s en t�te, est arr�t�e par le sous-pr�fet Achiary. La police tire sur le cort�ge : quatre morts alg�riens (aucun Europ�en). Achiary d�cr�te le couvre-feu et fait armer la milice des colons. Cette milice se livre � un v�ritable pogrom contre la population musulmane.
R�pression � la mesure de l’horreur du massacre

A 13 heures, le couvre-feu est instaur� et l’�tat de si�ge d�cr�t� � 20 heures. L’arm�e, la police et la gendarmerie sillonnent les quartiers arabes. La loi martiale est proclam�e et des armes sont distribu�es aux Europ�ens. La r�pression, conduite par l’arm�e fran�aise, mais aussi par des milices europ�ennes d�cha�n�es, sera d’une incroyable violence,.ex�cutions sommaires, massacres de civils, bombardements de mechtas en bordure de mer par des b�timents de guerre. La r�pression, men�e par le g�n�ral Duval, mobilise la marine et l’aviation. Un d�cha�nement de violence inou� s’abat sur les populations alg�riennes. Certains Europ�ens s’�taient d�j� constitu�s en “milices de d�fense”. Au soir du 9 mai, de telles milices se multiplient dans tout le Constantinois et quelques-unes enr�lent des prisonniers de guerre allemands et italiens travaillant dans les fermes. Ces groupes exercent, contre les Alg�riens, des vengeances sanglantes. La l�gion �trang�re et les tirailleurs s�n�galais sont mobilis�s pour pr�ter main-forte aux gendarmes. Tout arabe non porteur de brassard est abattu. Les suspects et leurs familles sont arr�t�s et fusill�s. Des l�gionnaires se livrent � des massacres et des viols dans les villages. Dans tout le Constantinois, des groupes de miliciens sillonnant la campagne en voiture, font la “chasse � l’arabe”. A S�tif, ce sont les hommes de la bande Grima, avec Fontaneau, Carbonnel, Colombo, Barral, Page, Filon, Mezucca... A Saint-Arnaud (El-Eulma) ce sont Sacoman, Pradeille, Fabre, Rechtenwald etc. A Guelma, le sous-pr�fet Achiary fait ramasser les Alg�riens par camions, fusille des centaines d’hommes et d’autres sont jet�s dans les fours � chaux d’H�liopolis et de Mellesimo. La marine est engag�e et le croiseur “Duguay-Trouin” bombarde depuis le Golfe de Bougie, les douars des communes mixtes de Timimoun et d’oued Marsa. Les Alg�riens captur�s au cours des op�rations d’infanterie sont emprisonn�s et parfois ex�cut�s. Le comble de l’horreur est atteint lorsque les automitrailleuses font leur apparition dans les villages et qu’elles tirent � distance sur les populations qui fuient vers les montagnes. Les blind�s sont relay�s par les militaires arriv�s en convois sur les lieux. Le peuple fut massacr� sans sommation et sans piti�... Les gorges de Kherrata s’emplissaient de cadavres. Des gens �taient balanc�s morts ou vifs dans des crevasses profondes. La L�gion �trang�re grave en face du premier tunnel, dans les grottes : “L�gion �trang�re : 1945”. Cette inscription rappelle l’horreur de la r�pression. Les prisonniers �taient �gorg�s et jet�s dans le ravin � partir du pont qui porte le nom de Hanouz, assassin� � cet endroit avec ses trois enfants. L’arm�e organise des c�r�monies de soumission o� tous les hommes doivent se prosterner devant le drapeau fran�ais et r�p�ter en chœur : “Nous sommes des chiens et Ferhat Abbas est un chien”. Certains, apr�s ces c�r�monies, �taient embarqu�s et assassin�s. Les op�rations r�pressives de l’arm�e sont s�v�res et les villages o� l’insurrection a �t� la mieux organis�e et la plus dure paient un prix particuli�rement lourd. C’est cependant � S�tif, Guelma et Kherrata que la r�pression est la plus meurtri�re : des dizaines de milliers de morts. L’�crivain Kateb Yacine �tait coll�gien (avait seize ans) � l’�poque, t�moin oculaire des �v�nements de S�tif, avait �crit dans son roman Nedjma : “Je t�moigne que la manifestation du 8-Mai �tait pacifique. En organisant une manifestation qui se voulait pacifique, on a �t� pris par surprise. Les dirigeants n’avaient pas pr�vu de r�actions. Cela s’est termin� par des dizaines de milliers de victimes. On voyait des cadavres partout, dans toutes les rues. La r�pression �tait aveugle, c’�tait un grand massacre. J’ai vu les S�n�galais qui tuaient, violaient, volaient bien s�r, apr�s l’�tat de si�ge, l‘arm�e commandait”.
Bilan de ces massacres

A l’heure des bilans, un communiqu� officiel du gouvernement g�n�ral d�clare que les op�rations de r�tablissement de l’ordre ont fait 1.150 tu�s du c�t� alg�rien. L’�tat-major du colonel Bourdila, commandant la subdivision de S�tif, avance officieusement le chiffre de 7.500 victimes, qui est doubl� par la commission d’enqu�te pr�sid�e par le g�n�ral Tubert envoy�e sur les lieux par le gouverneur g�n�ral Chataigneau. Le consul am�ricain � Alger avance quant � lui le chiffre de 40.000 � 45.000 victimes alg�riennes. Il y eut aussi la r�pression judiciaire, 7.400 arrestations, 151 condamnations � mort. La barbarie qui s’est d�ploy�e � la suite des manifestations du 8-Mai 1945 � S�tif et � Guelma marque un tournant dans l’histoire de la lutte nationaliste. Le foss� entre Alg�riens et Europ�ens ne sera plus jamais combl�. Dans l’imm�diat, la r�pression s’abat encore un peu plus sur la direction du mouvement nationaliste. Pour les militants du PPA, le colonialisme a montr� son vrai visage. Le temps de la “R�volution par la loi” est r�volu et doit faire place � la “R�volution par les armes”. Pour de nombreux militants nationalistes, le 8 Mai 1945 symbolise la prise de conscience que l’engagement dans la lutte arm�e reste la seule planche de salut. On peut observer, en 1954, que si l’insurrection a commenc� dans l’Aur�s et s’est �tendue � la Grande Kabylie, c’est dans le quadrilat�re Bougie- S�tif-Souk Ahras-B�ne qu’elle s’est le plus profond�ment implant�e. Ce quadrilat�re, c’est le territoire de la wilaya 1. La zone o� la semaine sanglante du 9 au 16 mai 1945 a fait le plus de victimes. La guerre d’Alg�rie a commenc�, en v�rit�, en mai 1945.
Imed Sellami

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