Panorama : PARLONS-EN
Un banditisme moderne
Par Malika BOUSSOUF malikaboussouf@yahoo.fr


Si l’on se fiait aux r�centes affirmations de notre DGSN, en pr�sence de son homologue fran�ais en visite de travail en Alg�rie, le crime organis� commencerait � prendre chez nous les proportions dignes d’un pays moderne, en plein d�veloppement.
Ainsi et selon Mr Ali Tounsi, qui savait sans aucun doute de quoi il parlait, le crit�re de modernit� ne pourrait �tre dissoci� du crime organis� � grande �chelle. Le grand banditisme serait-il donc devenu l’�talon-or pour d�signer l’accession d’un pays au progr�s ? Ne serait-ce pas parce qu’elle aurait pris des proportions inqualifiables chez nous que la corruption serait mise avec autant d’aplomb sur le compte de la modernit� ? Et tant que nous y sommes, puisque celle-ci s�vit en Alg�rie depuis des lustres, pourquoi n’avons-nous pas su �chapper � temps � la barbarie int�griste ? Rappelons-nous quand m�me qu’il y a quelques ann�es � peine, de tristes individus, reconnus aujourd’hui par le pouvoir comme de respectables citoyens, voulaient renvoyer le pays au Moyen-Age. Depuis, l’argent recycl� du terrorisme a �t� revers� dans l’�conomie parall�le et, bien �videmment, plus personne n’en parle. C’est sans doute l� l’une des ran�ons � verser � la modernit�. Mais au fait, un pays moderne ne serait-il pas celui qui avance, progresse entre autres dans les techniques d’investigation et les moyens de faire avancer celles-ci ? Si l’on s’en tenait � la logique d�velopp�e par notre haut responsable, une nation o� la corruption ne fleurirait pas � pas de g�ant pourrait in�vitablement se voir classer parmi les pays en retard sur leur temps. Le crime organis� n’est pourtant pas l’apanage des seules soci�t�s modernes mais aussi et surtout de celles prises en otage par une poign�e d’individus qui s’approprient sans �tat d’�me les richesses d’autrui au m�pris des lois qui r�gissent le pays. Un pays “� la page’’ s’appr�cierait, si l’on suivait toujours le m�me raisonnement, au degr� de d�pravation de ses mœurs, notamment �conomiques, ou � l’ampleur des d�g�ts caus�s par le grand banditisme et la puissance de sa camorra. Il ne se mesurerait pas � ses arts, ses d�couvertes et sa technologie. Soit ! Mais alors et s’il ne tenait qu’� cela, l’Alg�rie devrait avoir depuis longtemps d�j� d�croch� ce label de qualit�. A l’�poque du parti unique d�j�, des responsables locaux transportaient, par wagons entiers, des mat�riaux de construction vers leur ville natale pour y monter leurs palais et y conclure d’autres transactions. Qui ne se souvient du scandale des 26 milliards de dollars cens�s avoir �t� d�tourn�s par des barons du r�gime ? L’affaire rendue publique par un ancien chef de gouvernement mis � l’�cart �tait venue � point nomm� conforter l’opinion nationale dans ce qu’elle ne savait que trop d�j�. Depuis, la mafia politico-financi�re op�re encore plus � d�couvert et celui qui s’�tait aventur� � la combattre en ignorant ce dont elle �tait capable pour pr�server son territoire, feu le pr�sident Boudiaf, y a laiss� la vie. La morale de l’histoire est que l’on ne s’en prend pas � un clan qui se serre aussi fort les coudes sans en payer le prix fort. Aucune institution internationale n’ignore, par ailleurs, que la corruption en Alg�rie commence en haut de la hi�rarchie et qu’elle est m�me, dans la plupart des cas et selon les divers constats, le fait de d�tenteurs de l’autorit�. La preuve vient encore une fois de nous �tre servie par des walis. Celui d’Oran, dont la r�putation avait depuis longtemps largement d�pass� les fronti�res de la ville, a r�v�l� au cours de son proc�s les noms de pr�sum�s complices mais son d�ballage n’a, semble-t-il, eu aucun effet. L’omnipotent wali de Blida que l’on disait pourtant proche du pr�sident de la R�publique a �t� contraint de d�missionner. Son fils a �t� arr�t� pour de graves malversations. Il aurait abus� des fonctions de son papa en d�tournant des biens publics. Il faut qu’ils aient vraiment abus� de leur pouvoir et que cela soit devenu franchement trop flagrant pour que la complaisance � leur �gard ait �t� revue � la baisse et que l’on se soit r�sign� � les “l�cher’’. Dans l’affaire de la BCIA et le “scandale des traites avalis�es”, 68 personnes auraient caus� un pr�judice de 132 milliards de dinars � la Banque ext�rieure d’Alg�rie. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour ma�triser des criminels qui n’op�rent pas en clandestins ? Personne n’aurait donc la comp�tence id�ale pour flairer l’arnaque et tirer la sonnette d’alarme avant que les d�g�ts ne soient aussi colossaux ? Et dire que l’on ose parler de progr�s, de grande avanc�e vers l’�conomie de march� et que l’on pr�tend ma�triser de mieux en mieux la d�marche � m�me de nous imposer parmi les grands ! Les affaires r�v�l�es ces derni�res semaines repr�sentent, on s’en doute bien, une goutte d’eau dans un oc�an et c’est parce que chaque nouvel �pisode leur renvoie une forte odeur de r�glement de comptes que les Alg�riens ne se font plus d’illusions et n’accordent aucun cr�dit � ce qu’ils qualifient d’agitations circonstancielles. On a parl� de d�tournement de deniers publics, d’escroquerie, de faux et usage de faux, de dilapidation, de falsification de sceaux de l’Etat et d’association de malfaiteurs. Tout �tait r�uni pour faire plonger quelques-uns de ceux qui se sont sucr�s comme dans le foncier agricole mais le gros poisson ne sera, lui, jamais inqui�t�. Et c’est notamment pour des raisons comme celles-ci que plus personne n’accorde de cr�dit aux sanctions promises de fa�on r�currente par les hautes instances du pays. Il n’est pas nouveau qu’� chaque mandat pr�sidentiel le nouvel �lu � la magistrature supr�me promette de ch�tier les contrevenants en tous genres. Le fait qu’il se ravise presque aussit�t ne nous est pas non plus �tranger. Nous voil� pr�sentement pourvus d’un pr�sident qui se plaint des difficult�s � r�aliser ses objectifs et jure ses grands dieux que “l’Etat s�vira contre toute violation de la loi et contre toute atteinte aux deniers publics”. Des engagements destin�s � convaincre les Alg�riens d’une volont� de se d�marquer de ses pr�d�cesseurs et de mettre le hol� aux pratiques scandaleuses h�las trop bien ancr�es et � tous les niveaux institutionnels. Ce ne sont pourtant toujours que les petites pointures qui paient la facture et jamais au grand jamais l’institution judiciaire ne s’est aventur�e � poursuivre un baron du r�gime. Jamais une mesure implacable n’a �t� prise pour d�courager la convoitise ou menacer du pire ceux qui enfreignent le r�glement et saignent le pays. Il n’y a, en v�rit�, pas grand-chose � craindre si l’acte, aussi hautement d�lictueux qu’il soit, n’attire pas outrageusement l’attention d’autrui. Et si satisfaire aux injonctions d’instances internationales s’av�re parfois in�vitable , la non-application des sanctions reste, quant � elle, le meilleur moyen de survivre � des groupes maffieux qui n’aiment pas trop que l’on menace leurs int�r�ts. En revanche, les campagnes d’assainissement sont, elles, tout � fait conseill�es. Pour donner le change et laisser croire que l’on travaille � laver plus blanc que blanc, on s’arrange pour en commettre une de temps � autre. Quand il faut des coupables, n’importe quel fonctionnaire sans “protection” peut faire l’affaire ; le temps que les grondements int�rieurs s’apaisent et que les regards ext�rieurs se trouvent un autre pays � tancer.
M. B.

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