Panorama : LETTRE DE PROVINCE
Cascade de proc�s et marasme dans la presse
Par Boubakeur Hamidechi


Lorsqu’ils auront sacrifi� � un rituel dont la vanit� l’a d�finitivement vid� de sens, nos tr�s chers et tr�s co�teux parlementaires ne seront pas plus �difi�s sur le sens de la marche du pays qu’ils ne l’�taient la veille. Pour ce qui concerne Ouyahia appel� � tenir le r�le du plaideur de l’ex�cutif, voil� bien la �ni�me fois que le formalisme constitutionnel le contraint � faire une d�claration de politique g�n�rale et pour la �ni�me fois, par cons�quent, qu’il va faire semblant d’exposer une feuille de route dont il ne sera pas tenu d’en respecter le contenu.
C’est � cela que se r�duit dor�navant la com�die d�mocratique dont on a affubl� ce pays et � travers laquelle s’exporte l’image de marque aupr�s des opinions �trang�res. Car du c�t� de l’indig�nat local il y a bien longtemps que ce travestissement de la r�alit� laisse indiff�rent. Tant sont d�risoires ces gesticulations de tribune et ces motions de confiance par avance acquises sans que celles-ci engagent moralement ceux qui les sollicitent ou ceux qui les octroient. En somme, � chaque changement de gouvernement, l’on se convie mutuellement � un jeu de r�les o� les acteurs, complices dans l’illusion trompeuse, perp�tuent un style de gestion des affaires publiques dont le moins qui se dit � son sujet est qu’il n’a jamais perturb� un gouvernement. Autrement dit, l’on n’a pas encore assist� � la chute d’un gouvernement par cette chambre de la claque. Le sort politique des cabinets se d�cidant plut�t ailleurs qu’� travers la censure des �lus, l’on ne peut qu’�tre dubitatif devant cette mise en sc�ne qui n’est rien d’autre qu’un artifice destin�, au mieux, � justifier l’existence d’un �difice institutionnel dont le caract�re inop�rant est l�gendairement admis. La s�paration des pouvoirs, qui fonde par d�finition l’Etat de droit, est inexistante dans les modalit�s de fonctionnement actuelles, comme en t�moignent toutes les ambigu�t�s relationnelles qui r�gentent l’architecture globale. Un ex�cutif omnipotent donnant des directives � un l�gislatif croupion et pilotant un judiciaire aux ordres en est la parfaite illustration. Par ailleurs le multipartisme d�cr�t� au lendemain d’octobre 1988 n’a fonci�rement pas chang� ce principe de subordination qu’entretenait par tradition l’autocratie avec les d�pendances institutionnelles. Tout au plus il a refa�onn� les fonctions �lectives pour donner l’illusion de la diversit� de la repr�sentation alors que l’on sait que les quotas de maroquins parlementaires se sont chaque fois n�goci�s en dehors des urnes. De la m�me fa�on, la �r�publique des juges� dont on fait grand cas actuellement est toujours du domaine de l’utopie, d�s lors que l’on constate que la machine judiciaire instruit des proc�s surr�alistes contre la libert� d’opinion plus souvent que par le pass� et que la chancellerie ne laisse aucune marge � la conscience des magistrats. A ce sujet il n’est pas injurieux de souligner que dans de nombreuses affaires nos juridictions ont fonctionn� comme des sous-traitants de quelques volont�s politiques. Quant au Parlement charg� en th�orie de l�gif�rer et contr�ler l’ex�cutif, il faudra attendre d’autres l�gislatures compos�es d’�lus moins compromis pour esp�rer voir un gouvernement chuter. La concentration de la d�cision et du contr�le entre les mains d’un seul cercle constitue une donn�e tangible qu’aucune promesse de refondation n’est parvenue � changer. Autant admettre que notre d�mocratie de fa�ade ne vaut gu�re mieux que les r�gimes orientaux fond�s sur des oligarchies, m�me si dans notre contr�e l’on ne manque pas de disserter sur la promotion de l’Etat de droit et que, de temps � autre, le syst�me conc�de quelques espaces aux d�foulements politiques. Ces petites soupapes pour �vacuer les pressions n’�tant qu’un alibi de plus pour s’auto-gratifier du qualificatif de lib�raux. Or la presse, qui est la caisse de r�sonance idoine pour relayer le m�contentement social et dont l’existence �tait souvent r�cup�r�e pour am�liorer l’image du pouvoir, conna�t d�sormais des moments difficiles. Et c’est pr�cis�ment au nom d’un ensemble d’a priori que l’on s’acharne � brider son ind�pendance de ton. La diffamation, en tant qu’�cart vis-�-vis de l’�thique, permet la multiplication des actes d’accusation � l’encontre des journalistes puis leur condamnation. L’orchestration d’une campagne de �moralisation� de cette profession ne peut �tre dissoci�e d’une strat�gie plus globale visant � soustraire de la sph�re publique ce qui reste des libert�s politiques. La probabilit� de voir, � court terme, ce verrouillage aboutir � l’auto-dissolution des partis et � la �normalisation� de l’�crit de presse n’est pas �trang�re aux intentions du r�gime. Elle en serait m�me sa plus grande pr�occupation afin de pr�parer l’opinion � souscrire sans d�bats � tous les projets r�f�rendaires qu’il voudra faire passer. De l’amnistie � la r�vision constitutionnelle autorisant, entre autres, un troisi�me mandat, il y a par cons�quent suffisamment de raisons pour mettre en coupe r�gl�e et le champ politique et la communication. Le chef du gouvernement, de par ses missions de grand intendant, n’est certes pas habilit� � faire �tat de ces projections �minemment politiques, cependant son influence � travers notamment ses directives internes contribueront � laminer petit � petit la presse gr�ce � la multiplication des proc�s et �galement les formations politiques, � la r�sistance vacillante, par l’app�t du collaborationnisme. En d�finitive nous nous acheminons vers une r�duction drastique de l’activit� partisane et la st�rilisation de la presse. Quand bien m�me certaines formes seraient pr�serv�es, par exemple un Parlement faussement pluraliste et une presse soporifiquement critique, la bulle qui enveloppera les libert�s finira bien par les �touffer. Ainsi au nom de l’ordre, dont l’Etat �tait d�ficitaire, l’on voudra convaincre la communaut� nationale que nos �checs et nos drames n’ont d’autres sources que les libert�s d�brid�es octroy�es dans la foul�e d’octobre 88. Malgr� le caract�re sp�cieux de l’argument, l’�loge d’un pouvoir fortement r�pressif risque d’emporter l’adh�sion de larges strates de la soci�t� ayant discr�dit� le r�le des partis les comparant, souvent � raison, � des officines de carri�ristes. Il est vrai que la culture militante de la plupart d’entre eux laissait � d�sirer et qu’elle fut prise souvent en d�faut. C’est dire que, si les partis ont perdu en sympathie dans l’opinion, le pouvoir ne va plus h�siter � leur assener le coup de pied de l’�ne et travailler � conforter cette tendance en leur imputant clairement les causes de la crise. De la m�me mani�re, il entretient autour de la presse non–officielle une campagne de d�nigrement faite de diabolisation des publications auxquelles il reproche la d�sinformation et la ti�deur patriotique. Rien que cela ... Les proc�s en sorcellerie m�diatique qui empruntent � la probit� intellectuelle la justification de ces condamnations n’ont qu’un seul objectif : dissoudre une corporation indocile et dont les partispris politiques lui sont devenus intol�rables. Presse et partis sont dans l’œil du cyclone d’un pouvoir qui refuse de s’accommoder de leur pr�sence sauf s’ils renoncent au discours politiquement incorrect. Les journaux bien plus que les courants d’opinion sont d�stabilis�s par le harc�lement judiciaire dont il faut craindre qu’il ne finisse par provoquer dans les r�dactions la r�apparition de l’autocensure. Cette derni�re qui s’apparente � la mutilation intellectuelle sera exig�e des �diteurs comme la contrepartie pour la survie de leur titre. Il s’en trouvera m�me des propagandistes officiels pour lui tresser des �loges au nom de la responsabilit� �thique et du professionnalisme. Le chef du gouvernement, qui ne manque pas une occasion pour d�cliner des contre-v�rit�s � ce sujet, passera �videmment sous silence la cascade de condamnations qui avilissent les journalistes et les exposent � l’embastillement. Le dimanche 22 mai il s’exercera � rappeler la magnanimit� du pouvoir qui ignore, dira-t-il, le d�lit d’opinion. Et les d�put�s dans leur confort de faire-valoir approuveront un si tonitruant mensonge et b�niront la totalit� de ses vœux pieux. C’est donc cela la com�die du pouvoir ou la th��tralit� des postures valant tous les devoirs de v�rit�
B. H.

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