Actualit�s : VOYAGE AUX FRONTI�RES ALGERO-MAROCAINES
Le GGF traque la contrebande
Reportage r�alis� par Amir G.


Lorsque Maghnia ouvre ses portes pour la toute premi�re fois, il se r�v�le difficile de r�sister au sentiment d’hospitalit� que d�gagent les villes de l’ouest du pays. Une tranquillit� somme toute oisive flotte dans l’air. Les habitants � l'allure nonchalante semblent parfaitement d�sint�ress�s devant une œuvre naturelle qu’ils contemplent depuis toujours.
A moins de justifier d’une perspicacit� singuli�re, deux ou trois jours d’observation sont n�cessaires afin de d�couvrir que la qui�tude plac�e � la vitrine de la ville n’est finalement qu’un mod�le d’exposition. La �d�mesure� susurre m�me que la quasi-totalit� des habitants de Maghnia ont pignon sur la fronti�re. Ceux qui ne sont pas directement vers�s dans la partie op�rationnelle du trafic travaillent dans les r�seaux des guetteurs. Le mouvement des �l�ments des gardes fronti�res est constamment �pi�. Ceci n’emp�che en rien le groupement dirig� par le colonel Bounegab d’arriver � d�jouer les strat�gies les plus �labor�es.
Les maisons des fronti�res
Le long du trac� frontalier qui s�pare l’Alg�rie du Maroc, des p�t�s de maisons s’�rigent en villages. D’un c�t� des limites comme de l’autre, des familles vivent avec l’id�e que le voisin d’en face n’habite pas dans le m�me pays. En r�alit�, ce sont des familles qui appartiennent � un seul et m�me a�rch. Officiellement, les familles en question n’entretiennent aucune relation depuis la fermeture des fronti�res terrestres. La r�alit� est tout autre. Souvent il devient impossible d’emp�cher des individus que seule une cinquantaine de m�tres s�pare d’�changer des civilit�s. Seulement, les �changes vont bien au-del� des simples politesses. Drogues, carburants, denr�es alimentaires et autres spiritueux emploient ce canal pour passer la fronti�re. Cette situation est facilit�e par l’implantation d’habitations bien apr�s le poste de contr�le des gardes fronti�res. La ruse est de mise. Le trafiquant prend le soin de stocker dans sa demeure la marchandise command�e. Celle-ci est consolid�e au jour le jour par de petites quantit�s. Les gendarmes qui connaissent bien ce moyen ne peuvent malheureusement pas intervenir efficacement. M�me si dans un point de contr�le une personne est retrouv�e avec une certaine quantit� de produits, celle-ci peut pr�texter que cela est destin�e � la consommation de sa propre famille. C’est de cette mani�re que les trafiquants parviennent � se constituer une r�serve avant de la faire sortir du pays. L’attribution de terres agricoles � la limite du trac� frontalier assure � certains une impunit� dans l’acheminement du mazout. A d�faut d’une autorisation sp�ciale, les gardes fronti�res ne peuvent op�rer des perquisitions dans les habitations des personnes suspect�es. L’app�t du gain facile a pouss� quelques-uns � affiner leur strat�gie. Au village frontalier Souani, il a �t� recens� pas moins de 56 commer�ants sp�cialis�s dans l’alimentation g�n�rale. 23 d’entre eux sont des grossistes. Un petit d�compte permet de constater que dans cette bourgade de 4500 �mes, qu’il existe 1 commer�ant grossiste pour seulement 2 revendeurs au d�tail. La messe est dite.
Les techniques d’�vasion

Les femmes et les enfants ne sont pas �pargn�s. Ces derniers sont mis � contribution afin d’entraver l’action des unit�s des gardes fronti�res. A l’aide de ce moyen, les commanditaires tentent de jouer sur la fibre sensible des gendarmes. Si les femmes sont utilis�es parce qu’elles inspirent une certaine confiance, les enfants sont, quant � eux, exploit�s pour assurer une impunit� certaine. En effet, m�me s’ils sont autoris�s � user de leurs armes, apr�s une sommation, (souverainet� nationale oblige), les gendarmes confient qu’ils s’abstiennent de le faire quand ils constatent que la cible est un innocent ch�rubin. La strat�gie utilis�e par les contrebandiers est bien �labor�e. La premi�re �tape consiste � implanter un dispositif d’�claireurs qui renseigne sur le positionnement et le mouvement des �l�ments du Groupement des gardes fronti�res (GGF). Les outils de t�l�communications portable sont in�vitables. Pour ce faire, les trafiquants utilisent sciemment le r�seau de t�l�phonie mobile marocains dit Jawal. Celui-ci couvre les parties limitrophes de l’Alg�rie. Au moindre mouvement des GGF, une alerte est donn�e. L’Alerte est synonyme d’annulation imm�diate des op�rations. Mais quand tout va �bien� d’autres mesures de pr�caution sont respect�es. Quand une passation est d�cid�e, les trafiquants prennent toujours le soin d’envoyer, � intervalle r�gulier, deux � trois boucs �missaires. Si l’un de ces derniers est appr�hend�, le quatri�me, qui transporte la bonne marchandise, rebrousse chemin. L’op�ration est renouvel�e autant de fois que n�cessaire afin de garantir le transit effectif de la marchandise.
La mort au tournant
Si la mission des gardes fronti�res est investie de pr�rogatives sp�ciales, les �l�ments du GGF savent que les personnes qu’ils traquent sont des criminels de la pire esp�ce. Ces individus peuvent tuer toute personne qui tente de se mettre au travers de leur chemin. Les gendarmes sont les premiers � s’exposer au risque. Quelques-uns n’ont eu la vie sauve qu’en �vitant de justesse le v�hicule fon�ant sur eux. Un chef d’unit� raconte que lors d’une arrestation, des malfrats ont m�me tent� de poignarder des gardes frontaliers. C’est � l’issue d’un corps-�-corps des plus violents que la situation a pu �tre ma�tris�e. Les intimidations ne sont pas �trang�res � la r�gion. Quelques membres GGF sont fil�s quand ils sont en permission. Si � certains on se limite d’intimer de ne plus g�ner le d�roulement des affaires, d’autres n’ont eu la vie sauve que gr�ce � la bonne �toile de la sainte patronne de la ville. Mais fatalement les drames ne manquent pas d’arriver. C’est notamment le cas d’un douanier retrouv� assassin�. L’on raconte que tout Maghnia est au courant que celui-ci a �t� tu� par des r�seaux de contrebandiers.
Les larmes du Marocain
15h00. Poste de surveillance Tlem�ani. Les t�l�phones portables, jusque-l� muets, se remettent � sonner. Un SMS d’un op�rateur t�l�phonique marocain nous souhaite la bienvenue. Au loin, une sentinelle avec un drapeau marocain scrute nos mouvements. Le poste Tlem�ani est l’un des plus actifs. Le jour m�me, deux trafiquants marocains avaient �t� appr�hend�s avec une quantit� de mazout. D’une allure insalubre, debout devant leur moto charg�e de jerrycans, ces derniers ont visiblement �t� effray�s � notre vue. Aux premiers salamalecs, leurs visages se sont d�rid�s. Hassen, 28 ans, raconte : �Je suis de Oujda, �a fait seulement 20 jours que j’ai commenc� � travailler aux fronti�res. Au Maroc, il n’y a pas de travail. Les seuls d�bouch�s encore possibles sont l’hachiche wella essfara (la drogue ou le vol). Si je fais ce travail c’est parce que je ne trouve rien d’autre � faire. Pour �tre honn�te, je n’ai jamais eu l’id�e de p�n�trer dans le territoire alg�rien. J’achetais le mazout dans une ferme marocaine, mais cette fois nous nous sommes perdus en chemin. C’est du carburant alg�rien que j’ach�te � 80 dirhams le litre et que je revends � 90. C’est ainsi que je gagne un peu d’argent pour faire vivre ma famille�. Hassen s’arr�te de parler. Ses yeux rougissant, il s’accroupit. Il met sa t�te entre ses mains et se retourne l�g�rement vers le mur et �clate en sanglots. A la question de savoir pourquoi il pleurait Hassen explique : �Je suis pein� de voir que je suis mieux trait� par les Alg�riens que par mes concitoyens marocains. Depuis que j’ai �t� arr�t� on m’a trait� en tant qu’�tre humain et avec respect Les gendarmes m’ont m�me donn� � boire et � manger. Chez nous, �a ne se passe pas comme �a. Je ne savais pas que les Alg�riens �taient aussi bons. Quand il m’arrive de tomber entre les mains des M’khazniya (gardes frontaliers marocains), c’est la catastrophe. Le passage � tabac est incontournable. Les insultes pleuvent. On vous jette dans une cellule o� m�me un animal refuserait de p�n�trer. Ceci dit, tout peut s’arranger si l’on glisse 10 dirhams. D’ailleurs, c’est la taxe que nous imposent les M’khazniya pour fermer les yeux sur notre passage. Quand ils veulent s’approprier notre marchandise ils le font sans �tat d’�me. Le pire arrive quand nous n’avons pas de quoi payer cette d�me�
En attendant la r�ouverture des fronti�res terrestres

Sur un panneau de sens interdit, est accroch�e une plaque sur laquelle est inscrit �Fronti�res ferm�es� Nous somme au poste frontalier Akid-Lotfi. Un lieu d�sert qui, autrefois, enregistrait une activit� dense. Au loin, une barri�re ferm�e indique la limit� A ne pas d�passer. C�te � c�te, l’embl�me national et celui du royaume flottent dans l’air. Intrigu� par notre pr�sence, un officier marocain nous suit des yeux. A petits pas, il s’avance jusqu'� nous. Wach rakou, bkhir ? (comment allez-vous ? Bien ?), interrogions-nous. Quelque peu crisp�, le policier marocain r�pond avec la politesse des bonnes gens du Moughrib. �Alors vous �tes pr�ts ? Vous avez commenc� � repeindre les murs ?�, demandions-nous sur un ton de plaisanterie afin de d�tendre l’atmosph�re. Tout sourire, le Marocain r�pond par l’affirmative. Apr�s un temps de silence, il rench�rit : �Tout est entre les mains de Dieu, s’il veut que les fronti�res soient rouvertes eh bien elles le seront. A la question de savoir si des gens se sont pr�sent�s � leur poste le jour de l’annonce de la lev�e du visa, l’officier r�pond : �Oui beaucoup m�me sont arriv�s avec leur passeport � la main, mais on leur a expliqu� que les fronti�res terrestres n’�taient pas encore concern�es par cette mesure. En s’�changeant des �bonne chance et au revoir�, nous quittons le poste Akid-Lotfi pour Alger. Une halte par le mausol�e de Lala-Maghnia se fait obligatoire. Les autochtones racontent qu’aucune personne ne peut repartir saine de la ville, si un centime glan� frauduleusement � Maghnia se cache dans ses poches. Le nombre d’accidents mortels enregistr�s aux alentours de Maghnia pousserait beaucoup � croire aux l�gendes.
A. G.

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