Corruptions : De la notion d'effectivit� des lois

Face � la multiplication des affaires de corruption, de nombreux pays ont adopt� des lois sp�cifiques destin�es � la lutte contre le ph�nom�ne. L’�laboration et l’application de ces lois posent des probl�mes. La question de l’effectivit� des lois se pose avec acuit�. Il ne suffit pas en effet d’�laborer une loi et de la faire voter, encore faut-il en assurer une application �quitable et effective conform�ment � la philosophie qui sous-tend la notion d’Etat de droit.
Le dispositif l�gal contre la corruption doit �tre compris comme l’ensemble des textes ayant pour vocation sp�cifique de pr�venir et de r�primer la corruption, mais aussi la r�glementation destin�e � assurer la transparence, voire les textes qui consacrent la d�mocratie et garantissent les droits fondamentaux des citoyens. Dans nombre de pays, les affaires de grande corruption impliquant des autorit�s du pouvoir ex�cutif, des �lus, des hauts fonctionnaires et des patrons de grandes entreprises se sont multipli�es ces derni�res d�cennies. Cette situation qui minait la d�mocratie et mena�ait la stabilit� des institutions a amen� les gouvernements � faire voter des lois sp�cifiques contre la corruption. C’est souvent � la suite d’alternances politiques que des lois sp�ciales de lutte contre la corruption ont �t� �dict�es et parfois abusivement utilis�es � des fins de r�glements de comptes politiques. Paradoxalement, l’adoption de lois anticorruption n’emp�che pas les initiateurs desdites lois de faire voter des lois d’amnistie taill�es sur mesure pour s’assurer une retraite politique paisible. S’il suffisait de lois r�pressives pour venir � bout de la corruption, celle-ci n’existerait plus. Il est imp�ratif d’assurer l’effectivit� des lois et leur application par des institutions judiciaires fiables. La volont� politique du pouvoir ex�cutif et la culture d’int�grit� de la magistrature sont indispensables � cet effet. Sans une v�ritable volont� politique, les lois anti-corruption restent lettre morte. Il est par ailleurs illusoire d’esp�rer d’une justice elle-m�me gangren�e par la corruption qu’elle puisse s�vir avec efficacit� contre ce ph�nom�ne. Il existe un large consensus sur la priorit� � donner � la pr�vention. En effet, une politique exclusivement r�pressive est insuffisante. En outre, le recours syst�matique � la r�pression traduirait en partie l’�chec de la pr�vention. Les poursuites judiciaires sont n�anmoins incontournables et participent �galement � la pr�vention, l’effet dissuasif. Les r�formes l�gislatives doivent donc tout autant s’attacher � la pr�vention qu’� la r�pression des actes de corruption. Le dispositif l�gal pour combattre la corruption ne peut pas �tre consid�r� uniquement sous l’angle p�nal mais doit inclure toutes les th�matiques suivantes : l’acc�s � l’information ; les conflits d’int�r�ts ; les march�s publics ; la libert� d’expression ; la libert� de la presse ; la protection de ceux qui d�noncent la corruption et de ceux qui portent plainte ; les conditions permettant � la soci�t� civile de se mobiliser ; les �lections d�mocratiques ; la lutte contre l’enrichissement illicite ; le contr�le de la l�galit� des d�cisions et des actes de l’administration par le juge ; la s�paration des pouvoirs, notamment l’ind�pendance des juges, etc.
De la qualit� du syst�me judiciaire
Dans tous les pays, la corruption constitue un d�lit et � ce titre elle est passible de sanctions p�nales. Cependant, force est de constater que la l�gislation p�nale traditionnelle en mati�re de corruption s’est r�v�l�e peu efficace du fait des limites qu’imposent certains principes g�n�raux de droit. Ces limites sont d’autant plus contraignantes que la corruption a la particularit� de constituer un d�lit particulier impliquant des protagonistes qui ont objectivement int�r�t � prot�ger le secret de leur transaction d’autant plus que le corrupteur et le corrompu sont passibles de sanctions p�nales. Le principe de la pr�somption d’innocence et l’obligation faite au parquet d’apporter les preuves de la culpabilit� sont les principes g�n�raux majeurs susceptibles de constituer des facteurs limitants. Il convient d’ajouter que le juge d’instruction doit instruire � charge et � d�charge. En d’autres termes, son information doit tendre aussi bien � asseoir l’accusation qu’� �tablir, le cas �ch�ant, l’innocence de l’inculp�. Il appara�t que les m�canismes juridiques traditionnels destin�s � la lutte contre la corruption souffrent d’obsolescence manifeste. Certaines r�formes juridiques se sont donc av�r�es n�cessaires pour tenir compte des difficult�s sp�cifiques de poursuite des actes de corruption. Si ces r�formes sont n�cessaires, elles ne sauront suffire. En effet, hormis la qualit� intrins�que des textes, leur application effective et �quitable par des juridictions ind�pendantes compos�es de magistrats comp�tents et int�gres constitue l’indicateur le plus significatif de l’efficience des reformes dans le domaine juridique. Le pr�requis fondamental est li� � la qualit� du syst�me judiciaire tant il est �vident que quelle que soit la qualit� des r�formes de la l�gislation celle-ci ne serait d’aucune utilit� si la justice charg�e de son application n’est pas ind�pendante de toutes les forces de pression ou si un nombre significatif de magistrats sont incomp�tents, craintifs, irresponsables ou corrompus. Aussi est-il indispensable de proc�der pr�alablement aux r�formes, � une �valuation objective et rigoureuse du syst�me judiciaire afin d’�tre en mesure d’apporter les correctifs appropri�s et, partant, cr�er un contexte favorable de r�formes. Ces r�formes qu’imposent les difficult�s sp�cifiques de poursuite des actes de corruption portent notamment sur le droit de la preuve.
Du couple corrupteur-corrompu
En dehors des situations o� la corruption propos�e n’est pas accept�e, il s’agit essentiellement d’un pacte entre un corrupteur et un corrompu. Ces personnes veillent � garder occulte cet accord ill�gal. A l’oppos� de la plupart des crimes, les actes de corruption ne font pas de victimes apparentes. Tous les protagonistes en sont les b�n�ficiaires et ont int�r�t � pr�server le secret. La preuve de l’infraction est donc difficile � rapporter, ce qui n’est pas sans influence sur l’extension de telles pratiques. On peut encourager les parties impliqu�es dans une infraction � se d�voiler et � fournir des preuves pour obtenir en contrepartie une immunit� de poursuite. En Europe centrale et orientale, une disposition en vigueur depuis des ann�es stipule que le corrupteur qui se d�nonce dans un d�lai d’environ 24 heures �chappera � toute poursuite. Il semble toutefois que cette disposition n’ait pas eu les effets escompt�s. Aux Etats-Unis, une personne impliqu�e dans un d�lit boursier b�n�ficie automatiquement de l’impunit� si elle d�nonce la premi�re ce d�lit. Ceci introduit un �l�ment de risque dans la relation de corruption au lieu que chacun d�pende du silence des autres, tous ont un pouvoir absolu sur les autres. Si on a souvent des pr�somptions, les preuves mat�rielles d’actes de corruption font parfois d�faut. Le douanier qui roule dans une grosse cylindr�e dernier mod�le �veille sans doute � juste titre les soup�ons, tout comme le chef de gouvernement qui a v�cu toute sa vie d’un modeste traitement de fonctionnaire et qui m�ne grand train, bien au-del� de ce que ses propres revenus pourraient lui permettre. L’extravagance du train de vie des corrupteurs et des corrompus, et l’�talage ostentatoire de leur richesse constituent des indices qui peuvent fonder une pr�somption mais qui ne permettent de diligenter des poursuites sur le fondement des textes traditionnels qui sanctionnent la corruption. Le d�lit d’enrichissement illicite a �t� institu� dans certains pays pour sanctionner certaines cat�gories de personnes dont le niveau de vie est sans commune mesure avec leurs revenus l�gaux. Ce d�lit peut permettre de prononcer une condamnation sur la base de l’impossibilit� pour la personne mise en cause de prouver l’origine licite de son patrimoine. Les puristes du droit n’ont pas manqu� de consid�rer que les poursuites sur la base du d�lit d’enrichissement illicite ne sont pas compatibles avec les principes g�n�raux de la pr�somption d’innocence, d’une part, et reposent sur l’inversion de la charge de la preuve, d’autre part. Cette critique n’est pas mal fond�e mais une question fondamentale est de savoir si la d�fense obstin�e de certains principes traditionnels doit pr�valoir sur la d�fense des int�r�ts fondamentaux de la soci�t� face � un ph�nom�ne dont la persistance est susceptible de miner l’�quilibre social. Il est toutefois imp�ratif que les lois contre la corruption — et toutes les autres — soient conformes aux normes fondamentales en mati�re de droits humains, telles qu’elles sont exprim�es dans les constitutions nationales et les instruments internationaux.
D. H.

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