Panorama : ICI MIEUX QUE L�-BAS
�Nostalgie� � Marignane
Par Arezki Metref
arezkimetref@yahoo.fr


Je t'�cris face � un cordon de police. De l'autre c�t� de la rue, derri�re les pandores, il y a la fa�ade grise de la mairie de Marignane, avec ses grandes fen�tres derri�re lesquelles des yeux anthropom�triques prom�nent leur acuit� enregistreuse sur les manifestants. Nous sommes le 6 juillet et il est 18h30 � la montre de ma voisine de gauche. Celle-ci a des cheveux noirs d'�b�ne qui descendent en cascade sur ses �paules.
Sur sa poitrine, je n'arrive pas � lire correctement les lettres trac�es sur l'autocollant rouge : LCR ? Oui, c'est �a : LCR. Il y a d'autres autocollants sur d'autres poitrines : CGT, Ligue de droits de l'homme, Sud, Mrap, Aix-Solidarit�, les Verts, Parti communiste, Ras l'front. Un paquet d'associations ont sign� l'appel � cette manifestation de protestation contre la st�le � la gloire des �fusill�s et combattants tomb�s pour que vive l'Alg�rie fran�aise� que, � l'appel de l'Adimad (Association amicale pour la d�fense des int�r�ts moraux et mat�riels des anciens d�tenus et exil�s politiques de l'Alg�rie fran�aise), des bloqu�s du pass� ont tent� de d�voiler au cimeti�re Saint-Laurent de Marignane. Ils le font un 6 juillet car c'est l'anniversaire de l'ex�cution de Roger Degueldre, chef des commandos Delta de l'OAS. Un manifestant, qui �tait l� ce matin, raconte. Ils �taient 400, venus de toute la France. Des b�rets rouges, des b�rets verts et m�me des skinheads. Tout ce beau monde entonna le chant des Africains en bombardant de projectiles et, lorsque la proximit� le permit, de coups de poing et de pied, la petite dizaine de manifestants anti-OAS, les policiers et les journalistes, comme pour se rappeler le bon vieux temps de la castagne. Un cameraman de TF1 a �t� amoch�. Les nostalgiques de l'OAS ont ensuite copieusement insult� le gouvernement et le ministre de l'Int�rieur. Le pr�fet de la r�gion Provence-Alpes-C�te-d'Azur(Paca), Christian Fr�mont, a interdit l'inauguration de la st�le. Saisi en proc�dure d'urgence, le tribunal administratif de Marseille juge la requ�te �mal fond�e�. L'interdiction est, par cons�quent, maintenue. Ce qui donne l'occasion � Fran�ois Holleindre, pr�sident du Cercle national des combattants, vice-pr�sident du Front national, ma�tre des c�r�monies, de dire que �si le gouvernement n'avait pas trahi l'arm�e, l'OAS n'aurait pas exist�. Mais revenons � la manif de fin d'apr�m. De l'autre c�t� de la route, derri�re le cordon, il y a aussi ce vieil homme au b�ret viss� de guingois sur une t�te de l'emploi et des m�dailles pendouillant piteusement � une vareuse : la caricature du Delta coulant une retraite am�re dans une ville o� tu n'a pas int�r�t � te dire anti-colonialiste. Si tu ne remarques que lui, ce concentr� de haine, c'est qu'il a tout fait pour. Il est dress� l� comme une provocation, la �ni�me. Heureusement qu'il y a les autres, ceux qui consid�rent cette st�le comme une insulte � la m�moire, un outrage. On ne trouve pas de mots assez forts pour qualifier � la fois l'impudence de cette glorification des assassins et la possibilit� qui a �t� laiss�e aux nostalgiques de la terre br�l�e de la dresser. Le maire de Marignane, Daniel Simonpieri, en c�dant une concession au cimeti�re, signe un consentement. Normal pour ce maire et conseiller g�n�ral qui rejoint tout juste le groupe UMP (le parti de Chirac et de Sarkozy) au Conseil g�n�ral de la Paca, apr�s avoir roul� sa bosse au Front national (FN), puis au Mouvement national pour la R�publique (MNR) de Bruno M�gret. Mais revenons � la manif. Il y a l� Madeleine Ould-Ouadia, Thierry Basset et Safia Hamout�ne, dont les p�res ont �t� assassin�s, en m�me temps que Mouloud Feraoun et Max Marchand, le 15 mars 1962. Ils �taient � une r�union des centres sociaux �ducatifs � Ch�teau- Royal, � El-Biar. Un commando OAS d�boule et les assassine l�chement. Avec ceux de Jean-Marie Bastien-Thiry, auteur d'un attentat manqu� contre le g�n�ral de Gaulle au Petit Clamart le 22 ao�t 1962, de Claude Piegts et Albert Dovecare, coupables de l'assassinat ordonn� par Degueldre d'un commissaire central d'Alger, Roger Gavoury, le 31 mai 1961, le nom de Degueldre, ainsi que 113 autres noms de la m�me �toffe, sont grav�s dans la st�le. Les quatre noms mis en exergue sur la st�le sont ceux des �fusill�s�. Ils ont �t�, tous les quatre, condamn�s � mort par la Cour militaire de justice et fusill�s au Fort d'Ivry, dans la banlieue sud de Paris, entre 1962 et 1963. Il y a aussi une femme pleine d'�nergie, aux yeux p�tillants derri�re des lunettes en amande, et � la faconde m�diterran�enne. Elle s'appelle Dominique S. Elle aura cinquante ans le 15 juillet et ne t'en laissera pas placer une. Ce n'est pas une manifestante comme les autres, non ! Elle est n�e � El Harrach, o� son p�re �tait gardien de prison et o� elle grandit dans un �immeuble populo, cours de France�. Elle a six ans � l'ind�pendance, quand ce paquebot pris � la h�te poussa le cri du d�part. Elle se souvient de l'arriv�e � Marseille, qu'elle regarde avec les yeux d'une enfant d�racin�e, arrach�e avec la motte de terre de ce qui �tait son monde, tout son monde. Puis, sa famille qui trouvait d�j� Marseille trop nordique, est envoy�e � Orl�ans. Quand il a appris sa nouvelle affectation, le p�re entre dans une librairie de Marseille et ach�te une carte de France. Il n'arrive d�cid�ment pas � y situer cet Orl�ans de malheur. Orl�ans ? Son march� couvert, ses pav�s verglac�s et ses autochtones qui ne �marchent pas comme les gens de chez nous !� Dominique pousse dans cette grisaille en souffrant du mal de l'Alg�rie, mais ce mal n'est pas le m�me que celui de ses parents. Son grand-p�re �tait carr�ment OAS, son p�re n'�tait pas loin d'en �tre, le cercle de famille baigne dans la �nostalg�rie� d'un pays qui lui a �t� injustement enlev� par ces sauvages d'Arabes. Brouilles familiales. Dominique a l'exacte opinion inverse de sa famille. Ils sont ultras, elle est ind�pendantiste. Ils ont un fonds de racisme antialg�rien, elle est carr�ment proalg�rienne. Elle sera la seule de sa famille � retourner en Alg�rie. Et la voil� � Marignane, contenue avec la foule des manifestants anti-OAS, par le m�me cordon de police, regardant cette vieille caricature de casseur de bougnoule comme on regarde un grand-p�re qui a mal tourn�. Il y a tous les autres. Combien ? 200 � 300 personnes au pif et selon un manifestant. Le policier, en face, te dira qu'il y a classiquement cinq fois moins de monde mais je puis t'assurer que les 200 � 300 y sont ! C'est le moment de prendre la parole. Mouloud Aouinit, le pr�sident du Mrap, a la voix chevrotante de col�re : �Cette st�le est une apologie du crime contre la nation, contre la justice, contre la d�mocratie.� Il ajoute : �Nous demandons au gouvernement la lev�e de cette st�le de la honte.� Gilles Manceron, vice-pr�sident de la Ligue des droits de l'homme, fait remarquer qu'un �vent mauvais souffle sur ce pays�. Si l'inauguration de la st�le de Marignane n'a pas eu lieu, dans d'autres villes cela s'est fait. Des st�les pareilles ont �t� �lev�es � Toulon (1980), Th�oule-sur-mer (2002), Valras- Plage (1990), Perpignan et B�ziers (2003) ainsi qu'� Nice. L'�miettement de la r�sistance, sous la pression du lobbying d'associations �qui parlent au nom des pieds-noirs mais ne les repr�sentent pas�, dit encore Gilles Manceron, rend cette d�gringolade possible. Il appelle � �une insurrection des consciences� en rappelant que le rapport � la colonisation n'est pas seulement �une question d'histoire et de pass�, il a des cons�quences sur notre vie sociale�. L'entreprise de r�habilitation du colonialisme, avec des accents r�visionnistes, a connu un moment fort avec la fameuse loi du 23 f�vrier 2005. A partir de l�, le climat pour tout le reste devient propice. Le haut fait d'armes de l'OAS ? Avoir assassin�, en une semaine en 1962, 250 ouvriers alg�riens du port et des femmes de m�nage. Des civils d�sarm�s ! Mais il y a de la r�sistance ! Des manifestants anti-OAS comme ceux de Marignane, il y en a partout en France. La maire communiste de Lourvoil, dans le nord de la France, Annick Matthigello, a interdit un d�p�t de gerbe � la m�moire de Degueldre, dont c'est la ville natale. Mais revenons � la manif. Le dernier orateur vient d'�teindre le micro. Le cordon de police se distend. La vieille caricature s'est �vanouie. On enroule les banderoles �Non � la st�le de la honte !� Comme � chaque fin de manif, il y a un petit air m�lancolique qui plane dans le ciel de Provence. Les caf�s, autour de la mairie, sont bond�s. La place est maintenant vide. Dominique S., qui s'est tue pendant que les orateurs parlaient, reprend le crachoir. Elle raconte encore l'Alg�rie, la sienne, pas celle de ses parents, et par cette fracture-l� s'est engouffr� tout le drame de l'injustice. �Je me suis r�volt�e contre eux�, dit-elle. Elle exprime cette �insurrection des consciences� qui pr�vient les grands d�rapages qui m�nent, eux, droit aux trag�dies.
A. M.

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