Panorama : A FONDS PERDUS
Les nouveaux migrants
Par Ammar Belhimer


L'image de la vieille �migration h�rit�e de l'�re coloniale tient pour l'essentiel aux cit�s ghettos, aux discriminations diverses et � quelques cooptations forc�es pour donner bonne conscience aux chantres d'une greffe/int�gration souvent avort�e. Nouveaux profils socioprofessionnels et nouvelles destinations caract�risent une �migration qui s'installe dans la dur�e dans les pays d'accueil. Il s'agit de dipl�m�s sup�rieurs, de professionnels hautement qualifi�s et d'�tudiants poursuivant des �tudes � leurs frais.
Au transfert des mati�res premi�res et des capitaux succ�de, de nos jours, une fuite organis�e des cerveaux et des �lites qui s'apparente � un transfert inverse de technologie et p�nalise lourdement les secteurs de la formation, de la recherche et de la production des pays �metteurs qui peinent � op�rer une transition �conomique vers des mod�les � fort contenu technologique. Le co�t de formation d'un chercheur alg�rien est de 150.000 euros auxquels il convient d'ajouter le manque � gagner fiscal suscit� par le d�part des actifs les plus qualifi�s. Les profils dominants des nouveaux migrants sont l'informatique, la m�decine et la technologie, la culture et les arts, les sports de performance. Le gouvernement fran�ais demande depuis 1998 � l'administration pr�fectorale de faciliter la r�gularisation d'informaticiens �trangers. Elle a d�livr� aux Alg�riens 1.600 titres de s�jour en 2000 et 4.000 en 2001 pour le seul secteur informatique. 300 informaticiens alg�riens ont �galement b�n�fici� du dispositif de la "green card" allemande en ao�t 2002 � un dispositif par lequel le gouvernement allemand s'�tait propos� d'offrir 20 000 cartes de s�jour pour cinq ans � des informaticiens indiens g�n�ralement expatri�s vers les Etats- Unis. Sur les 10.000 m�decins immigr�s recens�s en France, 7.000 sont alg�riens dont 2.000 sont install�s en r�gion parisienne o� exercent �galement 70 professeurs de m�decine affect�s � des postes d�valoris�s. Plus de 3.000 chercheurs scientifiques alg�riens y sont �galement install�s. Selon le ministre de la Jeunesse et des Sports, M. Yahia Guidoum, "plus de 160 entra�neurs travaillent � l'�tranger et font le bonheur des �quipes �trang�res, alors que dans leur pays, ils sont ignor�s". Le propos vaut �galement pour la musique, la litt�rature, le th��tre, le cin�ma, et j'en passe. Les femmes ne sont pas en reste des nouvelles migrations. Pour plusieurs raisons : d'abord parce que les jeunes instruits qui �migrent aujourd'hui sont accompagn�s de leurs familles ou se font rejoindre par elles peu de temps apr�s leur installation; ensuite parce que les femmes s'affranchissent d'autant plus vite et mieux des anciennes tutelles que leur niveau d'instruction est �lev�. Elles repr�sentent 42% de la communaut� alg�rienne install�e en France et prennent une place de plus en plus grande parmi les nouveaux migrants : sur les 2500 Alg�riens install�s au Qu�bec (Canada) en 2000, 1008 sont des femmes. Outre les femmes, les �tudiants songent, eux aussi, � larguer les amarres. Une majorit� d'entre eux ne r�vent aujourd'hui que de visa. Les jeunes Alg�riens qui poursuivent leurs �tudes dans le cadre de projets individuels �chappant � la tutelle de l'Etat sont de plus en plus nombreux : la France a d�livr� 1.381 visas de longs s�jours pour �tudes en 2000, contre 715 en 1998. Comme on peut le constater, il n'y a ici ni partenariat, ni enrichissement mutuel mais politiques unilat�rales et s�lectives de quotas et de contingentements o� seul compte l'int�r�t des pays d'accueil. Le recrutement des �lites et des cadres n'arr�te pas de vider le pays d'origine et de servir les �conomies des pays d'accueil qui expriment le besoin d'une force de travail jeune et qualifi�e pour prendre en charge l'appareil productif et assurer au syst�me de retraite les conditions de sa fiabilit� et de sa coh�rence. Nous nous situons au c�ur de la question du capital humain. Une question devenue incontournable depuis que l'�conomiste am�ricain Gary Becker s'est vu attribuer le prix Nobel d'�conomie en 1992 pour avoir approfondi (dans le prolongement d'un autre prix Nobel, Th�odore W. Schultz) l'approche sur le capital humain et soulign� que la formation est un investissement � part enti�re, exactement comme l'achat d'une machine. Selon Gary Becker, pour tout un chacun, le choix de faire ou non des �tudes, leur dur�e, la sp�cialit�, sont le fruit d'un calcul co�tsavantages en fonction de ses capacit�s. Chacun investit jusqu'au point o� l'investissement cesse d'�tre rentable, c'est-�dire quand les gains qu'il peut en esp�rer ult�rieurement cessent d'�tre sup�rieurs � la d�pense de formation (le temps pass�, le revenu auquel celui qui se forme renonce...). A une �chelle globale, la notion de "capital humain" recouvre une grande vari�t� d'�l�ments, aussi bien des "savoirs"et des "savoir-faire" que des "savoir-�tre". Il s'agit l� d'un triptyque vital dans le contexte de la mondialisation : - en mati�re de savoir, la connaissance et la compr�hension des d�couvertes scientifiques les plus r�centes facilitent l'appropriation, l'assimilation et la mise en �uvre rapide et efficace de nouveaux outils et de nouvelles techniques ; - en mati�re de savoir-faire, un background culturel et historique large, notamment la ma�trise des langues et des cultures �trang�res, facilite les affaires, notamment pour tout ce qui touche au commerce international ; - en mati�re de savoir-�tre, la ponctualit�, la discipline, le culte et le respect du contrat, la cr�ativit�, l'autonomie, l'esprit d'initiative, le sens des responsabilit�s r�sultent d'un apprentissage social et culturel acquis au terme de longs s�jours financ�s par les Etats, les familles ou les citoyens des pays �metteurs. Comme pour les entreprises, l'Etat a besoin d'une politique qui transforme le savoir-faire des citoyens install�s sur son territoire en capital physique qu'il pourra immobiliser. Il ne suffit pas aux pouvoirs alg�riens en place d'incriminer les politiques des pays d'accueil pour se d�douaner � bons frais. Comment sortir de la gadoue lorsque, faute de m�ritocratie spartiate et d'�chelle de valeurs, reconnue et partag�e, favorisant le travail et l'instruction, seules la d�brouillardise, la ruse, la concussion et la corruption r�gissent les nouveaux rapports ? Comment peut-on retenir ou faire revenir ces �lites porteuses de savoir, de savoir-faire et de savoir-�tre dans une soci�t� o� le dipl�m� est la ris�e de son fils parce qu'il ne pourra jamais se payer la 4x4 du p�re de son camarade de classe analphab�te et trabendiste ? "Bougi takoul errougi" est aujourd'hui l'expression consacr�e des jeunes ados issus des couches moyennes qui s'entassent dans les cit�s-dortoirs destin�es � couvrir leurs besoins basiques en sommeil et en procr�ation. Deux exp�riences m�ritent d'�tre m�dit�es ou r��dit�es pour inverser le mouvement pour peu que la volont� politique existe : celle de la diaspora (en r�f�rence � l'Inde) et celle du retour (en r�f�rence � la Chine). L'Inde tire profit de la fuite de ses cerveaux vers les Etats- Unis (en 2001, les Nations unies estimaient � 2 milliards de dollars par an la subvention d�guis�e consentie par l'Inde aux Etats-Unis) parce que cette fuite ne provoque pas de p�nurie de main-d'�uvre qualifi�e. Son syst�me scolaire et universitaire produit plus de dipl�m�s qu'elle ne parvient � en employer. 120 milliards de dollars de transferts priv�s, de donations et de d�p�ts bancaires ont �t� effectu�s par les expatri�s indiens des Etats-Unis entre 1975 et 2000. L'autre voie, celle du retour, est emprunt�e par les Chinois. 140 000 jeunes Chinois partis �tudier aux Etats-Unis ont regagn� leur pays d'origine entre 1996 et 2000 pour cr�er 3 000 entreprises. Ils sont attir�s par les investissements massifs consentis depuis le d�but des ann�es 90 pour d�velopper des infrastructures de qualit�, notamment dans cinq zones �conomiques sp�ciales situ�es sur le littoral, par de prestigieux instituts de recherche techniques et par une fiscalit� accommodante. L'accent est mis sur les nouvelles et hautes technologies. De quoi tirer l'ensemble de l'�conomie car, pour un emploi cr�� dans les nouvelles technologies, il s'en cr�e cinq autres moins qualifi�s dans l'�conomie traditionnelle. Pour l'instant, notre pays ne se situe ni dans la premi�re ni dans la seconde configuration, parce que nombre de gros int�r�ts encore dominants �uvrent � �loigner des �lites bien encombrantes � leurs yeux.
A. B.

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