Actualit�s : ASSENSI OU LA F�TE PATRONALE D'AZROU-N'THOUR : BIVOUAC SUR LE MONT SACRE
Souvenirs d�un week-end d��t� sur un sommet du Djurdjura


Reportage de Sa�d A�t-M�barek
Assensi d�Azrou-N�thour est un p�lerinage festif qu�organisent cycliquement � pareille �poque estivale, et � tour de r�le, trois villages de la commune d�Illilt�ne, dans la da�ra d�Iferhoun�ne, Zoubga, A�t-Addella et Takhlijt- Ath-Atsou. Synth�se d�une excursion champ�tre, d�un bivouac diurne et nocturne de plusieurs heures sur l�une des nombreuses pro�minences rocheuses que compte le Djurdjura, Assensi est une c�l�bration profane et sacr�e � la gloire d�un mont, un rocher sacralis� par la tradition.

Aussi, le voyage et le s�jour effectu�s sur le pic sacr� d�Azrou-N�thour sont une fa�on d�aller � la rencontre du temps perdu, de la m�moire qui se d�couvre � travers la c�l�bration de ce genre de lieu et de paysages ainsi que des rites qui leur sont li�s. Car �la p�rennit� de certains paysages, la survivance de certaines m�urs et coutumes, dit un auteur, r�v�lent beaucoup de l��me d�une communaut�.

Aller � Azrou-N�thour est de ces voyages d�o� l�on revient troubl� et fascin� par le spectacle de puissance alli�e au charme naturel et sauvage du lieu. Il y a, surtout, cette lancinante et obscure impression qu�inspire le myst�re, le t�moignage de respect quasi religieux qui entourent la c�l�bration estivale qu�il accueille en son sein. Azrou-N�thour �tait, dit la petite histoire, un lieu d�ermitage et de r�clusion volontairement choisi par un groupe de tolba pour s�adonner � leurs pri�res et � l�adoration de Dieu. Un chapelet d�anecdotes, de l�gendes, sur fond de r�cits hagiographiques, tient lieu de rep�res biographiques et historiques et alimente l�aura de puissant thaumaturge, pourvoyeur de gr�ce et de miracles accord�s � Azrou N�thour, d�nomination qui veut dire litt�ralement le rocher de la deuxi�me pri�re du jour. Ce qui est probable, c�est la vocation de lieu d�estivage, de migration des troupeaux qui, en �t�, montent des maigres p�turages mitoyens des villages vers ceux de la montagne, conf�r�e au plateau prolongeant vers le sud la grande pyramide rocheuse. Azrou-N�thour et tout le p�rim�tre montagneux qui l�entoure, allant de Tizi-Ldjama� jusqu�au c�l�bre col de Tirourda ,peut �tre aussi une destination de r�ve pour un tourisme climatique, une halte pour les inconditionnels de la nature et autres amateurs de vill�giature et de solitude cosmique. Le d�cor chaotique et f�erique, � la fois, fascine par son panache qui est un m�lange d��clat sauvage, et de hauteur parcourue par une coul�e rocailleuse et une maigre v�g�tation, avec, �a et l�, quelques c�dres rabougris, gen�vriers et ch�nes-li�ges. Le rocher que le r�dacteur d'un guide touristique de l��poque coloniale comparait au fameux pic du Midi de la France est un long c�ne culminant � 1900 m�tres d�altitude. L�oratoire qui couronne son sommet o� fut �rig� un simulacre de mausol�e domine un impressionnant ab�me et permet au regard de d�couvrir un panorama contrast� et compliqu� de reliefs vallonn�s et accident�s d�une partie de la haute Kabylie et de la vall�e de la Soummam. Il nous revient ici la tr�s belle phrase tir�e du roman la Terre et le Sang de Mouloud Feraoun pour qui "les villages minuscules qui se terrent � son pied (celui du Djurdjura) ou s��gr�nent sur les sommets des massifs plus modestes ont l�air d�une multitude apeur�e qui se prosterne devant un Dieu s�v�re". En tout cas, l�esprit est assailli par moult interrogations sur le sens de la c�l�bration d�un culte vou� � un rocher que les villages de Zoubga, Ait-Atsou et Ait-Adella partagent avec une d�votion et une ferveur immuables depuis des g�n�rations : incantations nostalgiques sur un ordre pa�en r�volu, besoin de se r�approprier des espaces patrimoniaux pour mieux sauvegarder la m�moire ou volont� d�afficher sa pr�f�rence pour un h�ritage spirituel nourri aux valeurs du terroir ? Assensi, c� est le nom donn� � cette f�te patronale organis�e sur et � la gloire du grand rocher, qui devient l�espace d�une journ�e ao�tienne le lieu d�un p�lerinage, m�langeant l�ambiance bigarr�e, d�une f�te foraine et l�atmosph�re grave et mystique d�un voyage initiatique et l��clat solennel d�une c�r�monie sacr�e� Ce rendez- vous pour lequel se mobilise toute la communaut� villageoise est pr�c�d� par d�intenses pr�paratifs qui se poursuivent sur le site m�me de la f�te, au pied d�Azrou- N�thour, comme l�explique un membre du comit� du village Zoubga dont c�est le tour d�organiser la c�r�monie et les festivit�s de l�assensi de ce week-end du mois d�ao�t. Dans cette atmosph�re de veill�e d�armes empreinte d�une d�bauche d��nergie pour la pr�paration de la grand-messe du lendemain, il y a un moment pour la d�tente et la relaxation. Les clameurs de �l�Ourar� qu�improvise, � l��cart de leurs a�n�s, ce groupe de jeunes adolescents, font �cho aux murmures l�gers et sourds des orgues du Djurdjura et aux rumeurs sauvages et myst�rieuses qui habitent la nuit qui tisse peu � peu les fils de son manteau noir sur la montagne que la lune enduit de sa r�verb�ration diaphane et lumineuse. Le lendemain au petit matin quand la montagne se sera lib�r�e de ses �bats �rotiques avec la nuit et quand le soleil aura fini de l�cher sa lumi�re encore vacillante, par del� la ligne d�horizon, le spectacle n�en sera que plus beau encore ; une v�ritable orgie matinale de mauve, de bleu azur� m�l� d�ocre teint� de rayons jaunes et dor�s se d�verse sur le damier accident� constitu� de hauteurs et de collines sur lesquelles sommeillent encore les nombreux villages. Des villages d�o�, tout � l�heure, quand la lumi�re du jour aura fini de briller de tout son �clat, s��branleront les processions de p�lerins et de visiteurs. Pour les membres du comit� d�organisation, l�heure n�est pas � la contemplation. D�s les premi�res heures de la journ�e, on entre dans la r�alit� de la f�te dans tout ce qu�elle a de prosa�que, mais aussi de stressant. On s'active avec quelque f�brilit� � lancer la m�canique de l��v�nement dont les rouages semblent pourtant bien huil�s et ma�tris�s par l�exp�rience des �ditions pr�c�dentes. De la r�ussite de celui-ci d�pend, en effet, le prestige de la communaut� villageoise dont toutes les �nergies se sont mobilis�es pour la manifestation durant laquelle doit pr�valoir s�r�nit�, s�curit�, convivialit�, bon accueil et partage. Tout ce qui fait l�esprit de l�assensi, d�une ziara qui doit procurer pi�t� et joie aux p�lerins qui, maintenant arrivent par petits groupes. Ce sont les familles de Zoubga, vieilles femmes ou m�res de famille, escortant des enfants et, surtout, des jeunes filles qui ouvrent le bal des arrivants et qui jettent leur d�volu sur des endroits � l�ombre du feuillage l�ger et maigre des c�dres et des ch�nes-li�ges pour y camper toute la journ�e, en attendant de se joindre � la foule qui part � l�assaut du pic. On y arrive � travers un sentier escarp� envahi de pierres et bord�, par endroits, de ronces et d�arbustes sur lesquels, jadis, les femmes accrochaient les fanions et des pi�ces d��toffe qui sont des ex-voto, des f�tiches � qui elles pr�tent une heureuse influence. L�ascension commence, calme et fluide. A mesure que l�affluence augmente, succ�dant aux nonchalantes arriv�es matinales de petits groupes de visiteurs, le mouvement de la foule monte crescendo. C�est vers la fin de la matin�e, lorsque le soleil se fait plus ardent et commence � incendier la montagne de sa chaleur, que la c�r�monie prend plus de vie. Les lieux sont impr�gn�s par une animation joyeuse color�e par les nuances vives et chatoyantes des v�tements des femmes o� se c�toient les robes traditionnelles des anciennes et les tenues modernes et estivales des jeunes filles � l��l�gance pudique. On assiste alors � une longue procession, du pied vers le sommet du rocher. Ce va-etvient incessant et nonchalant d�hommes et de femmes de tous �ges marque une tr�ve et donne lieu � un autre spectacle qui se d�roule sur l�esplanade, Au pied du rocher symbolis� par le rituel d�offrandes d�argent, une sorte d�obole qu�apportent les visiteurs, surtout les femmes � qui les sages du village, r�unies autour de l�imam, prodiguent remerciements et baraka La d�gustation du couscous est l�autre grand moment de l�assensi, un autre passage oblig�, appel� aussi wa�da, sans lequel le p�lerinage ne serait pas complet, car permettant l�expression du lien communautaire par le partage et la solidarit�. Mais c�est autour du mausol�e, l�haut, presque dans les nuages que se concentre l�essentiel de la journ�e, le moment o� la c�r�monie d�voile un autre pan de sa liturgie, de son sens et aussi son myst�re. Pendant que les hommes, jeunes et moins jeunes, contemplent les splendeurs chaotiques qui les entourent et d�couvrent le moutonnement des collines et des monts qui se dressent au milieu d��troites vall�es, les femmes investissent le temple, une vieille b�tisse presque en ruine qui a servi de poste d�observation aux soldats fran�ais et qui fait office de lieu de culte au d�cor sommaire et d�pouill� de toute repr�sentation pieuse ou fun�raire : juste un trou dans le mur qui ressemble, � s�y m�prendre, � un confessionnal d��glise. Sur le sol, un semblant d�autel sur lequel on allume des bougies. Ni saint patron, ni marabout descendant d�une lign�e confrerique connue, Azrou-N�thour est juste un lieu-dit v�n�r�, un a�ssas � qui on pr�te les pouvoirs d�oracle capable de miracles et aupr�s de qui on vient implorer une surhumaine protection et demander la baraka, faire des invocations en tous genres : on est vieille femme �plor�e par l�exil prolong� d�un fils ou �pouse ne supportant pas l�absence trop longue du mari, on vient � Azrou� ; femme st�rile ou lasse de n�enfanter que des filles, on va � Azrou�; jeune vierge effarouch�e par l��ge et le spectre d�un long c�libat, on va � Azrou� ; amoureux de la nature et de l�air pur, on va � Azrou-N�thour, un lieu o� l�on vient rendre gr�ce et demander quelque chose en retour. Peu importe quoi. Car Azrou� est le r�ceptacle de toutes les fantaisies des hommes, de tous les m�langes : moment de c�l�bration d�une messe solennelle � la gloire du pic �ternel, assensi est une synth�se propice � la c�l�bration de la nature et � la purification spirituelle, dans un �lan collectif de joie communicative et spontan�e. Et il arrive que le spectacle glisse de la pi�t� vers le jeu, le rite de s�duction. C�est le pr�texte pour l��change de regards tendres et l�effusion de sentiments juv�niles qui s��vaporent sit�t la f�te finie mais qu�on garde comme un souvenir d�une journ�e d��t� pass�e � Azrou et puis, qui sait ? Peut�tre si la baraka d�Azrou� Le d�ploiement festif et le regroupement qui s�y d�roulent offrent ce contraste saisissant d�une qu�te spirituelle qui oscille entre le rituel mondain et la d�monstration religieuse. Une c�l�bration profane qui �pouse les contours nubileux d�une religiosit� diffuse qui manque d��laboration mais non d�nu�e de sinc�rit�. Ce m�lange de pratiques et de croyances profanes et sacr�es, en communion avec la nature, s�il peut pr�ter � sourire offre l�occasion d�une catharsis, d�un exorcisme collectif : si pour les femmes, c�est l�occasion de voir et d��tre vues du monde, pour beaucoup, une excursion champ�tre comme celle qu�on effectue � Azrou-N�thour offre un refuge contre les contingences, la banalit� de la vie quotidienne. Elle permet d��chapper � un monde qui va mal et qui c�de de plus en plus au d�senchantement, en allant � la rencontre de choses simples de la vie et de renouer, m�me pour un jour, avec le merveilleux qu�inspire la montagne. Dans ces effusions ludiques et spirituelles, dans toute cette tension permanente entre ciel et terre pour donner du sens � la vie qui se concentrent dans le spectacle ao�tien qui se d�roule sur Azrou-N�thour, il y a, nous citons un auteur qui fait la description d�un rite similaire, �le notable avantage de souder la communaut� autour d�un m�me imaginaire et permet le maintien de la coh�sion collective autour d�un corps de pens�es homog�nes�. Assensi, la f�te patronale c�l�br�e � la gloire du pic sacr� d�Azrou-N�thour, est, pour utiliser la formule du m�me auteur, � la synth�se m�taphorique voire symbolique d�une conception du monde�. Celle-l� m�me qu�interroge l�ethnologue Camille Lacoste Dujardin, dans son �tude du conte kabyle o� elle fait la r�flexion suivante sur la montagne en tant qu�espace symbolique dans la vision du monde et la cosmogonie kabyles : �La montagne, Adrar, ne saurait manquer au paysage kabyle, puisqu�elle constitue la majeure partie de ce pays (�) partout, en quelque point de la Kabylie, l�horizon se confond, au Sud, avec les cimes du Djurdjura. La montagne est partout pr�sente, et la distinction est difficile � �tablir entre la montagne proprement dite et les hautes collines qu�elle domine. En fait, les Kabyles sont conscients de leur qualit� de montagnard qui, en pr�servant leur isolement, leur a permis de profiter des courants ext�rieurs, sans modifier leurs structures fondamentales (�)" Pour Camille Lacoste Dujardin "la montagne kabyle, par son caract�re conjugu� de nature sauvage et vide d�hommes, aux rochers escarp�s et perc�s de grottes, fut de tout temps un lieu sacr�, r�sidence de g�nies ou d�ogresses redout�es en communication avec le monde souterrain. Nombre de ses sommets sont rest�s des lieux de p�lerinage contre la st�rilit�, dont les Kabyles d�fendirent farouchement l�acc�s aux Turcs, comme le Tamgout des A�t- Djennad (�) D�autres lieux comme les collines et les rochers participent au sacr� de la montagne. Ils sont surtout des lieux d�invocation. De leur sommet, on pourrait apercevoir le pays des parents dont on se trouve exil�. Leur hauteur peut symboliser la croissance: dans un conte (le grain magique), le fr�re de l�h�ro�ne grandit magnifiquement � chaque colline franchie sur laquelle la jeune fille doit faire une invocation�.
S. A.-M.

Pour les citations, cf. : Camille Lacoste Dujardin, Le conte kabyle (�tude ethnographique), Editions Bouch�ne, Alger 1991. Culture populaire, sorcellerie ou magie?
Dominique Grisoni, In Le Magazine litt�raire N�174, juin 1981. Notre pass� quotidien, Michel Pierre, Le Magazine litt�raire, N�179 juillet/ao�t 1979.

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