Monde : NIGER
T'as mang� ? Un peu, un peu...


"On n'a plus rien. On a tout vendu, les vaches et m�me les poules". Comme tant d'autres, Yahou, un jeune paysan de 20 ans, a d� quitter son village de Katan Bague, dans le sud du Niger, pour aller gagner dans les villes de quoi subsister et aider sa famille � survivre. "Je suis parti au Nigeria voisin travailler comme cireur de chaussures", raconte-t-il, de retour des champs de mil apr�s une dure journ�e de labeur, la "daba" (b�che) sur l'�paule.
Depuis le quignon de pain de la veille au soir, il n'a rien mang�. "Juste de l'eau", dit-il, en brandissant sa gourde en plastique. S'il est rentr� au village, c'est parce qu'on avait besoin de tous les bras valides pour pr�parer les r�coltes durant l'hivernage, la saison des pluies qui dure trois mois de juillet � septembre. Face � l'extr�me pauvret� et � l'ins�curit� alimentaire, les populations du Niger, comme de toute la bande sah�lienne, ont d�velopp� de faibles m�canismes d'ajustement. Le principal est l'exode, avec son calendrier pr�cis et annuel. Mais, l'�t� dernier a �t� exceptionnel. Dans un pays toujours sur le fil du rasoir, la s�cheresse et les criquets sont venus d�vaster une bonne partie des r�coltes. Dans certains villages, le d�ficit c�r�alier a repr�sent� jusqu'� la moiti� des besoins. "Tout le monde savait que l'ann�e allait �tre tr�s dure. Les gens sont donc partis plus t�t", explique Najim Boucli, le pr�fet touareg de Dakoro, � environ 130 km au nord de Maradi. Comme Yahou, ils ont donc �t� des milliers � avoir quitt� les villages pour les "kara kara" (bidonvilles) naus�abonds et insalubres � la p�riph�rie des villes. D'autres sont partis dans les pays voisins, au Nigeria, en Libye. "En d�cembre dernier, les gens �taient d�j� courts", explique � l'AFP Jacques Becuwe, sp�cialiste du Niger et ma�tre de conf�rences � l'Universit� de Paris-Jussieu. "La faim s'est install�e depuis f�vrier. Des villages entiers se sont vid�s. Les hommes sont partis. Il ne restait plus que les femmes et les enfants". Pour ceux qui ont choisi de rester ou pour les nomades, la disette a forc� � recourir � des strat�gies alimentaires de substitution, au salariat agricole ou � la vente forc�e des biens et effets personnels, un ph�nom�ne classique de d�capitalisation qui accentue encore la spirale infernale de la pauvret�. "Le pouvoir d'achat ne permet plus � certains d'acheter du mil. Les gens ont vendu des animaux, fait des travaux champ�tres. Certains ont eu recours � la cueillette, ont mang� des plantes, des baies, m�me des larves de termites", raconte le pr�fet de Dakoro. Dans les villages recul�s, une famine "cach�e" s�vit, qui ne fauche que les plus vuln�rables, les enfants de moins de cinq ans qui succombent � la faim mais aussi surtout aux maladies, en raison de leur �tat de malnutrition avanc�, sans que l'on ait de statistiques officielles sur l'ampleur du drame. Les adultes, eux, ne font souvent qu'un repas par jour, voire restent deux ou trois jours sans manger. Dans le hameau de Mailafia, le chef Ali Boube est assis � l'ombre d'un arbre, devant sa case en banco, le regard vide, comme accabl� par le poids des calamit�s. "Kadane, kadane (un peu, un peu)", r�pond-il, quand on lui demande s'il a mang�. "On se d�brouille. On va chez d'autres gens pour cultiver et avoir de quoi manger. On tient en mangeant des herbes". Dans la ville de Maradi, v�ritable centre �conomique de la r�gion, ce n'est gu�re mieux. Pour Amadou Yero, 61 ans, deux femmes et 12 enfants, les temps sont anormalement durs, d'autant qu'il y a peu de travail. "La semaine derni�re, j'ai pas mang� pendant deux jours", confie-t-il. Aujourd'hui, s'il arbore un large sourire �dent�, c'est qu'il vient d'�tre embauch� comme chauffeur par une organisation humanitaire.

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