Panorama : LETTRE DE PROVINCE
La d�mocratie veuve
Par Boubakeur Hamidechi


Fera-t-on injure aux sympathisants du MDS en leur demandant, au c�ur du deuil, qui va lui succ�der ? Peut-�tre que l�affection sinc�re qu�ils �prouvent impose une certaine retenue et diff�re par courtoisie la question. Cependant cette derni�re est d�j� � l�ordre du jour ; et bien plus t�t qu�ils ne le pensent.

Car, ce n�est pas � ces solides militants, rompus � la discipline et aux arcanes des r�gles organiques, qu�il faut rappeler que des vacances de direction qui tra�nent en longueur sont politiquement pr�judiciables. Quand bien m�me l�ombre tut�laire du d�funt continuerait � r�genter ce parti, le combat qui �tait le sien devra vite trouver des animateurs qualifi�s pour le poursuivre. Les avatars de la comp�tition pour un leadership n�est pas l�apanage des seuls coursiers du pouvoir d�Etat. Il est dans l�ordre des choses qu�au sein des partis l�on �prouve le m�me besoin de rendre publiques ses ambitions. Mais, pour ce faire, des r�gles doivent �tre �dict�es pour pr�venir les dissensions, voire les risques de scission, surtout dans les cas de figure o� la succession semble ouverte. La disparition de Hachemi Cherif, qui ne fut pas tout � fait brutale jusqu�� perturber le fonctionnement de la direction du parti, est une raison suppl�mentaire pour lui �viter les t�tonnements dans les choix et les d�testables compromis, dits de transition, que d�autres appareils ont eu � subir. Par ailleurs, il n�est ni raisonnable de transf�rer une charge politique hors de la consultation de la base, ni recommandable de laisser faire le travail fractionnel qui risque de fragiliser l��difice de l�appareil. C�est notamment ce double �cueil qu�un mouvement doit contourner afin de pr�server son unit� d�action et son identit� doctrinale. A ce sujet, ils sont rares les partis alg�riens � r�ussir une �lection directoriale sans changer d�un iota les fondamentaux id�ologiques. Citera-t-on par comparaison abusive la succession du d�funt Nahnah en ayant � l�esprit le cas du MDS et le remplacement de Hachemi Cherif pour que l�on d�naturerait une v�rit� premi�re ? La raison est simple, car elle tient au fait notoire que la promotion d�Aboudjerra fut moins le produit d�un consensus interne qu�une �recommandation� ext�rieure du pouvoir d�Etat. Or, jusqu�� preuve du contraire, le MDS est encore la propri�t� de ses militants, et le fait de partager avec le MSP le terme de �mouvement� ne les rend pas semblables. Il est vrai que notre multipartisme n�a pas fourni des ex�g�ses solides sur le sens de sigles politiques au point de laisser aux similitudes s�mantiques toutes les fantaisies de rapprochement. Front, mouvement, rassemblement, union ou g�n�riquement parti, toute la gamme est pr�sente dans notre champ politique, tous comme les couleurs le sont dans la nature. Mais est-ce pour autant qu�une telle vari�t� cr�e forc�ment des familles de pens�es ? En effet, il est difficile de trouver quelque cousinage entre le frontisme du FLN et celui du FFS. De m�me qu�il est ardu de savoir sur quelle doctrine se rassemble- t-on au RND ? Ceci pr�cis�, le MDS est un courant atypique par rapport � ceux qui activent dans l�espace politique. Bien qu�enfant� par le PAGS, lequel assumait par le pass� la filiation du PCA, le MDS ne doit cependant sa notori�t� qu�� la personnalit� du d�funt. Or, le fait qu�un SG ait pu � ce point imprimer sa marque � un courant politique auquel il forgera, � lui seul, les instruments id�ologiques, cr�e une situation de pr�carit� d�s sa disparition. En effet, m�me les paris sur les candidats � son remplacement deviennent des jeux d�risoires face � la d�mesure de l�h�ritage. Sp�culer sur la survie du mouvement risque d�occulter les d�bats internes sur la recomposition de la hi�rarchie. Il est vrai que ce relais partisan venu en remplacement du traditionnel p�le de la gauche, lequel n�a pas r�sist� au laminage combin� du syst�me et de l�islamisme, doit beaucoup � cet homme. Il lui doit de surcro�t d�avoir initi� le militantisme de proximit� sociale. Dans sa pratique, il refusa d�imiter ce qui se fait ailleurs parvenant � demeurer sourd aux sir�nes �lectorales tout en s�imposant m�diatiquement comme l�unique voix autoris�e � �tablir les fronti�res de la compromission et expliciter le r�publicanisme. Hachemi Cherif fut durant cette longue p�riode (15 ans) une sorte d�arpenteur du champ des libert�s publiques et le contempteur des arrangements politiciens. Pour de nombreux acteurs, qui craignaient la dialectique de sa r�flexion, laquelle les �pinglait dans ce qu�ils ont de plus inavouable en mati�re d�accommodements politicards, il incarna le dogmatisme, eux qui plastronnaient au nom du pragmatisme. Sous sa direction, le MDS devint la bonne adresse de l�intransigeance. Ultime sanctuaire o� l�on pr�che la fameuse �double rupture� : celle qui travaille � l�effondrement du syst�me rentier et � l��radication de l�islamisme politique. Refusant de succomber au charlatanisme des urnes, il lui a �t� parfois reproch� de se d�tourner sciemment de l��talonnage �lectoral pour n�avoir pas � reconna�tre de caract�re �confidentiel� de son mouvement. Ce � quoi il saura r�torquer que la parodie des scrutins ne mesure pas la popularit� mais la compromission et l�all�geance. Les am�res d�convenues du p�le d�mocratique, d�couvrant � ses d�pens la th�orie des quotas, lui donneront raison. Quant � la n�cessit� de mettre en place des passerelles de convergence, on l�a rarement �cout� au moment o� il fallait le faire. A ce sujet, ses conclusions sur la strat�gie du �compagnonnage� se v�rifi�rent au grand dam de ceux qui s�empress�rent de mettre leur pas dans celui du pouvoir. En f�vrier 2000, ne se d�marqua-t- il pas clairement du courant �participationniste � en �mettant beaucoup de r�serves, tout en se gardant subtilement d�imposer son point de vue. �(�) Nous sommes dans une situation qui ne nous permet pas d�avoir le m�me comportement que celui que nous reprochons aux autres, d�clarait-il au Soir d�Alg�rie. (...) Tout en critiquant fraternellement et au plus profond de leurs positions les segments de la mouvance d�mocratique qui se sont associ�s � ce large compromis avec le pouvoir, nous n�avons ni le droit ni la vocation de leur nier leurs aspirations d�mocratiques et patriotiques. Disons qu�ils sont dans une strat�gie qui fait pr�valoir la question de la participation au contr�le des appareils plut�t que la conqu�te de la soci�t�.� (1) La conqu�te de la soci�t� ! La voici l�expression qui r�sume au mieux sa pens�e et permit au MDS de pr�cher pour une autre fa�on de faire de la politique. Loin d��tre un club hybride o� se c�toient des professionnels de la politique et une cohorte de militants associatifs, il s�est impos� comme un creuset d��changes o� se f�condent l�un par l�autre, le combat pour le changement et la contestation imm�diate. C�est parce qu�il n�y avait pas de dividendes � engranger au profit de l�appareil que ce parti a suscit� de la sympathie et a une r�putation d�alli� probe. Du mouvement citoyen des arouch qui trouva � ses c�t�s la logistique et l��coute du MDS, jusqu aux syndicats autonomes portant des revendications socioprofessionnelles, tous lui reconnaissent un r�le f�d�rateur des pulsations de la soci�t� et ne l�ont jamais surpris dans celui de ligue d�int�r�ts s�activant  � r�cup�rer leurs combats. L�on doit, � tous points de vue, reconna�tre � El Hachemi Cherif le m�rite d�avoir plac� le parti sur ce terrain, mais surtout d�avoir analys� perspicacement les origines de la crise nationale. Se refusant � dissocier l�effondrement de la soci�t� des probl�mes de l�Etat, il apportera � travers ses contributions �crites des r�ponses et indiquera des pistes. De sorte que sa r�flexion prenne � bras le corps le probl�me de l�Etat lui-m�me, celui du pouvoir et de son rapport ambigu avec la soci�t�, celui �galement des oligarchies politiques s�par�es de la soci�t� civile et plac�es au-dessus d�elle. C��tait ce � quoi s��tait attel� le d�funt, ce vers quoi il projetait son action et ce pourquoi il ne voulut jamais que l�on transige�t sur les principes. Il laisse derri�re lui des outils doctrinaux bien fourbis, mais un vague sentiment d�inach�vement. Il s�est tu au milieu d�un cours magistral�
B. H.

(1) In l�interview accord�e au Soir d�Alg�rie le 28/02/2000 et recueillie par Kamel Ghimouze.

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