Panorama : PARLONS-EN
M�moire en otage
Par Malika BOUSSOUF
malikaboussouf@yahoo.fr


Au cours d�un faux barrage dress� un soir de 1996 entre B�ni Amrane et Theniet El Had, un citoyen, qui rentrait chez lui � l�est du pays, se trouva pris au pi�ge au m�me titre que des dizaines d�autres occupants de v�hicules. Il �tait environ 21 heures et il n�y avait aucun militaire ou gendarme � l�horizon pour secourir les malchanceux qui avaient emprunt� cette route.
Les terroristes �taient en terrain conquis, rackettant et v�rifiant l�identit� et la profession de chaque passager. L�instinct de survie aidant, le t�moin r�ussira � s�extraire furtivement de sa voiture, roulera dans l�herbe et se laissera glisser quelques m�tres plus bas o� il s�abritera dans les feuillages. Son c�ur malade �tait au bord de l�explosion. Sa t�te �tait lourde et ses jambes paralys�es. La respiration saccad�e, il �touffait mais la peur et la perspective de ne plus revoir les siens avaient eu raison de son irr�pressible besoin de s�arr�ter pour reprendre son souffle. Quand il raconte l�histoire, cet ancien et brillant sportif dit ne pas savoir comment il a fait pour se retrouver perch� sur un arbre. Il ne pensait en fait qu�� �chapper � l�horreur et le reste a suivi. Le rescap�, qui ne r�alisait pas encore qu�il allait s�en sortir, avait juste eu le temps de sortir des comprim�s de sa poche, de les avaler pour emp�cher son c�ur de l�cher, de constater que peu � peu celui-ci revenait � un rythme plus soutenable avant d�entendre des voix prof�rant insanit�s et menaces � l�encontre de six jeunes gens. Ils �taient six appel�s du service national qui rentraient chez eux en permission. �Ils les ont �gorg�s l�un apr�s l�autre. Je les ai vu leur trancher la gorge. J�ai entendu leurs supplications et ensuite leurs r�les. Je les ai vu se d�battre avant qu�un dernier soupir ne s��chappe de leur gorge. Pendant qu�on leur �tait la vie, je ne pouvais d�tacher mes yeux du visage du bourreau. Je pensais que celui-ci changerait d�expression pendant qu�il accomplissait l�horreur. Rien ! Rien n�a boug� en lui. Il restait impassible alors qu�il venait d�ex�cuter froidement six �tres humains. Il disait m�me que si on le laissait faire, il passerait � la hache tous les passagers encore bloqu�s sur la route d�serte.� La gendarmerie a fini par arriver. Les terroristes alert�s s��taient d�j� enfuis. Et quand le t�moin a racont� ce � quoi il venait d�assister voire d��chapper, les gendarmes s�en sont pris � lui le soup�onnant d�appartenance au groupe qui s��tait entre temps volatilis�. Il s�en est fallu de peu pour qu�il soit inculp� avec toutes les cons�quences que l�on sait. Des ann�es s��coul�rent durant lesquelles ce cauchemar hanta les nuits de notre rescap�. Mais ne voil�-t-il pas qu�un jour, alors qu�il regardait un documentaire sur l�Alg�rie, diffus� par une cha�ne franco-allemande, Arte, pour ne pas la citer, notre t�moin privil�gi� revoie le visage du boucher en question. Un barbare, repenti depuis. �Il vantait les vertus de la concorde civile et de la gr�ce amnistiante, et affirmait dans un sans-g�ne � couper le souffle que lui ne s��tait occup� que de logistique et n�avait jamais particip� � une quelconque tuerie.� Cette histoire pourrait para�tre banale au regard de dizaines de milliers d�autres. La trag�die des ann�es rouges a fait 150 000 morts, des dizaines de milliers de veuves et d�orphelins. Encore heureux que l�Etat propose de participer � leur prise en charge mat�rielle, mais comment va-t-il bien pouvoir s�y prendre pour panser les blessures et apaiser cet insoutenable d�sir de se faire justice soi-m�me ? Bouteflika, qui a longuement r�fl�chi au rem�de, pense qu�il suffira de les pousser � aller voter �pour la paix et la r�conciliation� pour que le miracle soit. Le chef de l�Etat, qui tire � boulets rouges sur les voix qui ont �assist� hier silencieuses aux horribles tueries qui nous ont frapp�s dans notre chair et dans notre �me�, tout en oubliant que lui-m�me s�est tenu � l��cart de cette m�me trag�die nationale, pense qu�il est ais� de demander aux gens de pardonner. On s�attendait bien � ce que ceux qui exprimeraient des doutes � l��gard de ce r�f�rendum soient aussit�t qualifi�s d�ennemis de la R�publique, op�rant pour le compte d�officines �trang�res qui travailleraient � d�stabiliser l�Alg�rie. Les accusations prof�r�es par le chef de l�Etat sont s�rieusement gratuites. Et m�me si l�on ne se souvient pas d�avoir entendu s��lever la voix de notre actuel magistrat supr�me pour d�noncer publiquement les massacres � grande �chelle ni m�me les assassinats individuels y compris d�amis personnels, m�me si l�on ne se souvient pas de l�avoir jamais rencontr� marchant aux c�t�s des d�mocrates, notamment contre le terrorisme, personne ne se permettra pour autant l�outrecuidance de le soup�onner d�avoir joint sa propre voix � celles ext�rieures qui ne nous ont pas voulu que du bien mais dont beaucoup d�entre elles, bien plus amicales et averties, nous ont incontestablement aid�s physiquement et mentalement � faire face � l�horreur. Jean Daniel, proche ami du pr�sident et fait par lui �docteur honoris causa�, n�a, par contre, pas �t� de ceux-l�, mais plut�t l�un des tr�s s�rieux promoteurs du �qui tue qui ?�. Si l�on reconna�t par ailleurs que ��la facture nationale est tr�s lourde��, qui nous emp�chera de douter de la fa�on dont on compte en haut lieu r�gler le lourd contentieux ? En tout cas pas aussi all�grement et encore moins avec ce tour de passe-passe. Depuis l�arriv�e au pouvoir de Bouteflika que de fois n�a-t-on pas entendu dire que, finalement, pour �tre �cout�, il fallait prendre le maquis et menacer la p�rennit� du pouvoir ? Si le fameux se�f el Hadjadj ne s�est jamais abattu sur quiconque et que tous les terroristes sont pr�sum�s innocents tant que l�on n�aura pas prouv� qu�ils ont �t� �impliqu�s dans des massacres collectifs, des viols ou des attentats � l�explosif dans les lieux publics��, c�est qu�il y a des raisons � cela. Comme, par exemple, celle de permettre aux pays, qui ont prot�g� les chefs terroristes et acquiesc� � leurs appels au meurtre, d�extrader autant d�enturbann�s qu�ils voudront. La racaille sera la bienvenue en Alg�rie, ce futur d�potoir o� elle pourra reprendre son souffle et comploter sans craindre pour sa vie contre tous les taghouts de la plan�te qui seraient nombreux, � en croire leurs gourous d�Al Qa�da. On ne parlera d�sormais plus que de �charte pour la paix et la r�conciliation�. Mais, au fait, que se propose- t-on d�offrir aux Alg�riens pour les r�compenser d�avoir vot� en masse ? Car ils iront voter en masse sans rien comprendre � ce qui leur arrive et parce qu�ils y sont conditionn�s. Ceux qui, bien des semaines avant qu�il n�ait lieu, se d�clarent certains du succ�s du r�f�rendum ont d�cid� qu�il s�agissait d�une attente populaire l�gitime. Quant � savoir qui a sond� le c�ur des Alg�riens pour s�en faire le porte-parole, seule la clairvoyance de Bouteflika et celle de son entourage pourraient nous renseigner l�-dessus, mais il n�en sera rien. Ce que l�on aurait pu, en revanche, �pargner aux futurs �lecteurs, ce sont les faramineuses d�penses pour une campagne inutile et cette grossi�re contradiction qui voudrait qu�en m�me temps que l�on se fabrique un pl�biscite, on s�engage que tout se d�roulera �dans la transparence et le respect du choix du peuple�.
M. B.

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