Panorama : PARLONS-EN
Grossistes et d�taillants du crime
Par Malika BOUSSOUF
malikaboussouf@yahoo.fr


Dans l�une des bourgades qui ceinturent la capitale, un septuag�naire embarqu� en 1997 pour appartenance � un r�seau de soutien au terrorisme, avoua, peu apr�s sa sinistre m�saventure, ne pas avoir tr�s bien compris ce que l�on attendait de lui au tribunal o� on l�avait transf�r� pour y �tre jug�.
L�histoire est la suivante : Le vieil homme qui habitait une maison d�labr�e pas tr�s loin d�Alger avait un jour, au cours d�une discussion qu�il pensait fraternelle, confi� � un voisin qu�il poss�dait une arme et qu�il s�en servirait le moment venu pour d�fendre la vie et l�honneur des siens contre toute personne �trang�re qui s�approcherait d�eux. La confidence ne tomba malheureusement pas dans l�oreille d�un sourd. Le GIA eut vent de l�affaire et le vieux ne tarda pas, bien s�r, � recevoir la visite de jeunes gens qu�il connaissait pour les avoir vu grandir dans la localit�. Confiant, il ne se doutait pas que ces derniers s��taient, depuis la derni�re fois o� il les avait crois�s sur la place du village, convertis au maniement du sabre. Le but de la descente �tait, tout le monde l�aura compris, de r�cup�rer l�arme, un pistolet-mitrailleur datant de la guerre de Lib�ration. Un MAT 49 compl�tement hors service parce que mal stock� sous terre et surtout depuis trop longtemps. Mais de cela personne ne se doutait encore, m�me pas son propri�taire qui s�empressa de nier �tre en possession de quoi que ce soit de ce calibre. Le groupe arm� s�en alla. Le vieil homme respira de s�en �tre sorti � si bon compte, mais ne voil�-t-il pas que les gendarmes, alert�s par une autre �me bien intentionn�e, se pr�sent�rent aussit�t chez lui et l�interrog�rent sur l�objet de la visite des terroristes. Celui-ci leur raconta alors son infortune tout en se gardant bien de reconna�tre l�existence de l�objet convoit� par les deux parties. Les gendarmes le crurent volontiers et regagn�rent leur campement. Mais le malheureux homme n�en finira pas pour autant avec les descentes nocturnes. Les terroristes qui l�avaient gard� � l��il virent les services de s�curit� pointer chez lui. Ils revinrent � la charge aff�tant leurs couteaux pour �gorger son �pouse. Il �tait impensable que l�on puisse le s�parer de sa compagne de toute une vie, de la m�re de ses enfants, de la grand-m�re de ses petits-enfants, de celle qui avait tout v�cu et tout support� � ses c�t�s, de celle qui pourrait brusquement, d�un coup de lame, lui �tre ravie par la faute d�une arme qui, tout compte fait, ne lui �tait plus aussi indispensable et dont il acceptait de se passer pour peu que l�on �pargn�t celle � laquelle il savait ne pouvoir survivre. Devant un argument aussi persuasif, le vieil homme c�da donc et remit la vieille p�toire au groupe d�cid� � ruiner les quelques ann�es qui lui restaient peut-�tre encore � vivre. Les gendarmes, ayant appris les faits, d�boul�rent de nouveau chez lui mais, cette fois, ils l�embarqu�rent pour soutien au terrorisme et le pr�sent�rent � la justice qui lui reprocha d�avoir �offert� son arme et donc pr�t� assistance aux ennemis de la nation. Le grand-p�re fatigu� reconnut les faits. �D�accord, j�admets avoir donn� mon arme � des salauds qui voulaient �gorger ma femme. Je ne vais pas en prison pour rien puisque j�ai �vit� que le pire ne se produise chez moi o�, au cas o� vous ne l�auriez pas remarqu�, nous vivons sans d�fense.� Et sur un ton brave et ironique � la fois, il osa aupr�s des magistrats une question non d�nu�e de bon sens paysan : �Eclairez-moi, s�il vous pla�t ! Pouvez-vous me dire d�o� ces terroristes se sont procur�s toutes les armes en leur possession et qui les leur a donn�es ? Qui leur a remis tous ces fusils ? C�est moi, peut-�tre !� Mi-stup�fait mi-amus�, le juge pronon�a la relaxe et le vieil homme fut lib�r�. A son retour � la maison, il trouva le village sens dessusdessous. L�odeur du sang et de la mort y �tait �touffante. L�horreur y avait atteint son paroxysme trois jours auparavant. Parmi les personnes massacr�es figuraient son fils a�n�, son petit-fils et l�une de ses petites-filles. Tous avaient �t� sauvagement d�coup�s. La plus jeune de ses filles et l�une de ses belles-filles avaient �t� enlev�es avec d�autres femmes de la r�gion. Se dire qu�il n�allait plus jamais les revoir lui �tait insupportable, inadmissible. Il regretta sur-le-champ d�avoir c�d� sa vieille mitraillette et de n�avoir pas �t� l� pour les d�fendre contre leurs assaillants mais les regrets ne pansent pas les blessures. Il devrait dor�navant vivre avec le souvenir d��clats de rire violemment interrompus et porter � jamais le poids douloureux de cette absence qui vous fragilise le c�ur. C�est l� que le r�f�rendum appara�t comme superflu et qu�il perd toute consistance et raison d��tre. Pour ceux qui ont �t� atteints dans leur chair et dans leur sang, cela �quivaudrait � leur faire dire : �Vous avez tu� mon p�re, viol� ma m�re et pris ma s�ur, mais je vous pardonne quand m�me parce que le pr�sident le veut ainsi.� Il est des gens qui se montrent extr�mement habiles quand il s�agit d�embobiner leurs semblables. Et il parle bien Bouteflika. Il met le ton et l��motion qu�il faut dans ses discours. Il dispose de dons oratoires incontestables. C�est un bon tribun ! On ne peut s�emp�cher pourtant de se demander en quoi toute l��nergie d�ploy�e � vouloir imposer son point de vue se justifierait. Le chef de l�Etat pourrait-il expliquer, entre autres, aux �lecteurs pourquoi �la charte pour la paix et la r�conciliation� ne s�int�resse qu�aux grossistes du crime et pas aux d�taillants ? Et oui ! Il existe bel et bien des grossistes et des d�taillants du crime. Ceux qui auront ex�cut� 50 personnes, lors d�attentats individuels, ne seront pas confondus avec ceux qui auront perp�tr� des massacres collectifs car c�est � ces derniers et � ces derniers seulement que la charte propos�e au vote fait r�f�rence. Les premiers n�auront fait apr�s tout que dans le d�tail. Ils n�auront commis que des actes isol�s, estim�s peut-�tre moins importants par les penseurs du texte, ce qui les rendrait par cons�quent plus accessibles � la cl�mence populaire. Il faut croire que si les chefs int�gristes soutiennent � fond la d�marche de Bouteflika, c�est qu�ils y trouvent largement leur compte. Madani Mezrag, un chef terroriste, dont on dit qu�il se serait recycl� depuis sa reddition en homme d�affaires avis� et qui ne jure plus que par le pr�sident de la R�publique, a le culot et l�arrogance d�assumer publiquement ses actes ant�rieurs et de les justifier. Les m�dias lui servent du �cheikh� en veux-tu, en voil�, pendant qu�il annonce s��tre transform� en p�lerin de la paix. Il ne lui fallait pas davantage que toute cette l�che pour se pr�senter comme celui pour qui d�sormais la s�curit� de l�Alg�rie passerait en priorit�. C�est le monde � l�envers ! On croirait r�ver ! C��tait probablement pour promouvoir �le dialogue d�mocratique, libre et sinc�re�, dont il parle avec autant de sans-g�ne et d�aplomb, qu�il a conduit, avant de s�avouer vaincu, des hordes d�assassins dans les maquis ! Et, tenez-vous bien, le d�sormais respectable � vous aurez devin� pour qui � �Monsieur Mezrag�, s�estimant l�s� et s�rement pas assez bien r�compens�, se pr�tend dot� d�une �vision politique n�e dans la douleur des privations�. Rien que cela ! Le comble du comble ! Mais si, conduire des massacres en s�rie stimulait l�intelligence de tels barbares, tous les psy du monde nous l�auraient d�j� fait savoir ! Approuver l�arrogance d�un alli� politique dont l�envergure restera � jamais tr�s discutable, voil� � quoi en sont r�duits nos v�n�rables dirigeants. Ils en sont r�duits � consulter et � solliciter l�approbation de sanguinaires dont les mains tremp�es dans le sang des martyrs ont forg� l�audience et la r�putation. Voil� un repenti de marque � qui plus personne n�a int�r�t � toucher et auquel on doit certains �gards ne serait-ce que parce qu�il se targue de pouvoir convaincre ses acolytes rest�s au maquis de d�poser leurs armes. Des armes dont on a l�air d�oublier qu�elles ont �t� subtilis�es � des policiers, des gendarmes ou des militaires l�chement assassin�s mais pour le crime desquels personne n�aura � payer parce que les assassinats ont �t� commis individuellement et qu�� ce propos, il n�est fait mention nulle part dans le texte.
M. B.

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