Panorama : CHRONIQUE DES TEMPS SORDIDES
3 880 000 secondes apr�s...
Par Ma�mar FARAH
farahmaamar@yahoo.fr


Que je vote ou pas ce matin, �a ne changera pas grand-chose au r�sultat d�un scrutin qui sera sanctionn� par un oui massif. Un �Oui�, comme on n�en a jamais connu chez nous, parce que les gens que je vois tous les jours, le cafetier, le laitier, l��picier, le boulanger, le chauffeur de taxi, le boucher, la femme de m�nage, pas mal de parents et de copains, tous vont voter pour la charte.

Oh, il ne faut pas donner une grande signification politique � leur geste ! Ce sont des gens qui aiment la paix et il est donc normal pour eux de choisir le �Oui�. D�ailleurs, � ce jour, je n�ai pas rencontr� beaucoup de votants partisans du �Non� ! Des boycotteurs, oui, j�en connais, mais des partisans du �Non�, je n�en vois pas beaucoup. Car, le fait de r�pondre par la n�gative � une question aussi claire �peut signifier que l�on soit pour la guerre�, m�a dit un opposant ! Alors qu�une abstention, mieux encore, un boycott, indiquent franchement que l�on n�est pas d�accord avec l�orientation politique du scrutin ou avec la mani�re dont s�est d�roul�e une campagne �lectorale � sens unique. Quant � moi, je pense toujours que la charte est un texte qui sanctionne positivement et honorablement une p�riode trouble de ce pays, en donnant un sens au combat de tous ceux qui se sont battus et qui sont morts pour la R�publique et la d�mocratie. Nous avons �chapp� � la capitulation de l�Etat r�publicain ! Pour une fois qu�un texte officiel, soumis au peuple, exprime clairement des id�es de d�mocratie et de progr�s et honore les martyrs du devoir ! Restent, �videmment, des questions graves, pos�es par les familles victimes du terrorisme et la classe politique, et qui sont rest�es sans r�ponse. Mais, au demeurant, l�essence de ce texte qui est anti-int�griste, sa philosophie g�n�rale qui est r�publicaine et d�mocratique, auraient pu aider les opposants � mieux situer les enjeux essentiels si ce n��tait cette carence d�mocratique qui a marqu� fortement la campagne r�f�rendaire ! Car, il fallait vraiment �tre atteint d�une c�cit� politique grave pour mener la campagne de la mani�re dont cela a �t� fait, c�est-�-dire repousser toute contradiction d�o� qu�elle vienne, prohiber l�expression libre des partis l�gaux oppos�s au projet et afficher un m�pris injustifiable � l��gard des voix nationales qui exprimaient un point de vue diff�rent de celui du pouvoir. Au fond, croyaient-ils vraiment en ce texte ceux qui se sont �chin�s � brimer tout son de cloche antinomique ? Car, s�ils avaient vraiment la conviction profonde que ce texte est r�ellement celui de la paix et de la r�conciliation et qu�il proposait une issue ad�quate � la crise du pays, ils n�auraient pas craint la contradiction ! On n�arr�te pas de nous saouler avec la �d�mocratie� actuelle que l�on compare � la dictature du parti unique en vigueur dans les ann�es soixante-dix ! Que l�on nous permette de ne pas partager ce point de vue, car il est quand m�me curieux que leur d�mocratie ne donne pas une seule seconde de parole aux partisans du �Non�, alors que ceux du �Oui� ont eu 3 888 000 secondes (*) pour dire tout ce qu�ils voulaient ! En 1976, lors des d�bats sur le projet de la charte nationale, ce sont des millions d�Alg�riens qui avaient pu parler librement, parfois avec une violence verbale inou�e, pour s�exprimer sur les grandes options du pays. Ce grand moment de d�mocratie populaire, que nous avons v�cu en direct � la t�l�vision pendant plusieurs jours, restera grav� dans les m�moires en tant que t�moignage de l�engagement d�un peuple pour la construction d�un pays v�ritablement souverain et d�une soci�t� d�barrass�e de l�exploitation et de l�injustice ! Un d�bat franc et loyal autour de la charte pour la paix et la r�conciliation aurait permis de clarifier les positions et de mieux faire passer un texte qui m�ritait un autre traitement que cette campagne stalinienne ! Il aurait permis � chacun d�y voir plus clair, car disposant d�un �clairage complet, rendu possible par la somme d�arguments pr�sent�s de toutes parts. Malheureusement, il n�en fut rien ! Et � l�unanimisme des premiers jours, clairement affich� partout, succ�da un r�quisitoire en r�gle contre tous ceux qui ne manifestaient pas leur soutien � la position officielle ! On glissait d�une campagne unilat�rale pour le �Oui� � quelque chose de plus grave, d�insens� ! Un tir group� contre les rares personnalit�s politiques encore cr�dibles dans ce qui reste d�une opposition totalement lamin�e par le rouleau compresseur du pouvoir personnel ! De Sa�d Sadi � Abdelhamid Mehri, en passant par A�t Ahmed, les la�cs et les d�mocrates, tout le monde a eu droit au feu nourri des critiques ! Tout point de vue qui s��loigne de celui de la haute autorit� est consid�r� comme le signe d�une trahison, d�un reniement des valeurs nationales ou encore l�expression d�une vision manipul�e par les mains de l��tranger ! Jamais, depuis l�ind�pendance du pays, campagne n�a donn� lieu � autant de d�rives ! Les animateurs de meetings, faisant �cho aux propos du pr�sident, s�en donnaient � c�ur joie, chargeant hargneusement des femmes et des hommes dont le seul tort aura �t� de ne pas courber la t�te et de demeurer debout, dans la dignit� et la bravoure, face � la b�te immonde ! Pour la sauvegarde de la r�publique ! Il y avait un tel d�calage entre la philosophie du texte et cet �irr�conciliable� r�glement de comptes que certains commenc�rent s�rieusement � redouter l�apr�s-29 septembre, d�autant plus que le pr�sident de la R�publique avait laiss� plan� un doute : ce sont les ��quilibres nationaux� qui l�emp�chent d�aller plus loin ! Mais, dans quelle direction ? En mettant parfois les assassins et leurs victimes sur un pied d��galit� (les d�mocrates jetant de l�huile sur le feu), le discours pr�sidentiel s��loignait de l�esprit de ce m�me texte qu�il avait si admirablement pr�sent� dans le discours historique du 14 Ao�t. Pire, en fustigeant pratiquement tous les leaders de la v�ritable opposition, n�ouvrant ses bras qu�aux seuls ��gar�s� qui seraient re�us avec le lait et les dates, le chef de l�Etat donne un tout autre sens � cette r�conciliation qui aurait d� d�abord et avant tout rassembler � nouveau cette classe politique divis�e, morcel�e et �cras�e par l'h�g�monie du nouveau parti unique � trois t�tes, le FRH (FLN, RND, HMS) ! Tout a �t� fait pour que ce r�f�rendum �volue vers un pl�biscite, avec � la cl� de nouveaux pouvoirs absolus qui renforceraient l�autocratie, dans le but �vident d�asseoir tranquillement l�ultralib�ralisme ! Voil� o� nous sommes en ce 29 septembre 2005, jour o� le peuple alg�rien aura vot� en masse pour la paix. C�est surtout cela qu�il faut retenir : ces populations mobilis�es partout sont loin d��tre anim�es par les arri�re-pens�es politiques de ceux qui les poussent vers les urnes ; elles ont la certitude que leur acte patriotique fera reculer la terreur et installer la paix. Mais, au-del�, elles esp�rent un retour de l�investissement public productif, la baisse du ch�mage, une meilleure prise en charge de leurs probl�mes par l�Etat, le recul de la corruption, du n�potisme et des passe-droits, plus de respect de la part des institutions publiques et des collectivit�s locales ; bref une vie meilleure. Les gens ne votent pas pour que le roi devienne empereur. Ils votent pour tourner la page d�une �poque de terreur, de mis�re et de recul social ! Mais, pris par l�euphorie des foires �lectorales, ils sont loin de se douter que les politiques futures, sur la lanc�e de la d�nationalisation des hydrocarbures et des privatisations, vont apporter davantage de difficult�s et d�indigence, creusant d�finitivement l�immense foss� qui s�pare une minorit� de riches affairistes, relais du grand capital �tranger, et une majorit� compos�e de ceux qui n�ont aucun moyen de se prot�ger des effets d�vastateurs du tsunami ultralib�ral � venir !
M. F.

(*) : C�est le temps qui s�est �coul� depuis le 14 ao�t 2005, date du lancement de la campagne pour le r�f�rendum !

P.S. : En interdisant d�activit� politique, les responsables du FIS, accus�s par le m�me texte d�avoir aliment�, par leurs discours, tous les exc�s terroristes, la charte ne donne-t-elle pas raison � Mohamed Benchicou qui �crivait le 31 d�cembre 2003 : �Alors oui, Benhadj et Abassi doivent se taire � jamais parce que c'est l� le sort des vaincus : cette terre qu'ils n'ont pu br�ler refleurira sans eux. Ils y couleront des jours honteux, incapables d'en comprendre la grandeur, bloqu�s qu'ils sont dans leurs bassesses pass�es, traqu�s par le souvenir de la mort qu'ils ont ordonn�e��

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