
Culture : LE POÈTE VIZIR IBN ZAMRAK DU FAUBOURG D'AL BAYCINE AU PALAIS DE L'ALAMBRA Rencontre avec son auteur, Hamdane Hadjadji
“Je choisis des poètes inconnus que j’exhume” Nous avons profité de la sortie du dernier livre de Hamdane Hadjadji, docteur en littérature arabe, et de son passage à notre rédaction pour organiser une rencontre à la veille de son retour à Paris. Une rencontre enrichissante baignant dans la bonne humeur et l’humour ; le seul hic et qu’on en sort avide d’en savoir plus. Vous venez de sortir un livre sur le poète vizir andalou Ibn Zamrak ;
il est important de préciser qu’il n’est pas votre premier ouvrage…
J’ai déjà publié six ou sept ouvrages sur des poètes andalous. Il y a
Ibn Khafadja que j’ai fait avec André Miquel, Ibn al-Labbâna, Ibn Amar que
j’ai fait avec un Portugais. Il a paru à Lisbonne en arabe et portugais.
J’ai d’ailleurs été très agréablement surpris par l’intérêt intense de des
Portugais pour ce patrimoine andalou qu’ils considèrent comme faisant partie
de leur identité. Ne déplorez-vous pas que ça ne soit pas tout à fait le cas
ici ? Je le déplore en ce sens qu’on n’a pas donné à la culture et la
civilisation andalouses la place qu’elles méritent. On s’est beaucoup plus
intéressé à l’Orient où on trouve énormément de choses… des thèses des
ouvrages d’Al Moutanabi ou Al Maâri… Vous avez quasiment des armoires
concernant ces grands esprits de l’Orient mais pour l’Andalousie, en dehors
de Ibn Zeydoun, on ne saurait pas citer un autre poète. Et moi, mon rôle, en
optant pour la formule du bilinguisme, est de montrer au plus grand nombre,
quand même, que les Arabes avaient des qualités et des valeurs universelles
et c’est pour cela que je choisis des poètes inconnus que j’exhume. Sur un
homme comme Ibn al-Labbâna, on ne trouvait rien. Quand j’ai pris ma retraite
en 1994 et que je suis parti (en France), j’ai décidé de faire ce que je
rêvais de faire pendant mon exercice. J’ai commencé un travail de fourmi sur
Ibn al- Labbâna, car son recueil était perdu, et puis au bout d’un an, j’ai
retrouvé une quantité assez importante de documents, mon ancien éditeur m’a
alors demandé de traduire tout ce que j’avais rassemblé. Ce que j’ai refusé
de faire pour suivre une autre démarche… Par la suite, j’ai quitté cet
éditeur. Quand on fait ressortir ce beau côté du monde musulman et du monde
arabe, tout le monde est étonné, parce que pour eux, tout ce qui est non
occidental ne peut pas être beau, c’est pour ça que j’opte pour le
bilinguisme (arabe-français), avec le souhait que ça soit traduit dans
d’autres langues.
Vous avez choisi une époque bien particulière pour parler de ces poètes
andalous ?
J’ai travaillé sur l’époque des “tawaïf”, parce que c’est une période
où, grâce au khalife Abderrahman III et jusqu’après sa mort et la guerre
civile, il y a eu une décentralisation, si bien qu’il y a eu plusieurs rias,
des taïfas, c’est-à-dire des principautés avec des émirs… Mais l’intérêt,
c’est que la culture andalouse est arrivée à maturité grâce à Abderrahman
III, Al Hakem II et leurs prédécesseurs qui ont semé. C’est à cette époque
que cette semence a éclos. Une chose tout aussi extraordinaire, c’est que
tous ces souverains étaient, eux aussi, des hommes cultivés. Il y avait une
rivalité entre les princes pour avoir dans leur cour les meilleurs penseurs,
les meilleurs savants, les meilleurs philosophes ; c’était plus gratifiant
d’avoir ces grands hommes dans sa cour que de mener des campagnes militaires
ou avoir des grades de colonels. Je prépare une anthologie, aux éditions Al
Bouraq, sur le souverain al Mu’tamid, où je montre qu’en tant que poète il
appréciait la poésie qui se présentait à lui de la part de ces poètes de
cour qui venaient, il faut le souligner, de milieux très modestes.
C’est le cas d’Ibn Zamrak, le sujet de votre dernier ouvrage…
Exactement. Sa famille est arrivée à Grenade fuyant la reconquête des
chrétiens — tous les musulmans pris dans cette tourmente se sont réfugiés à
Grenade — et pour expliquer le sous-titre du livre, Le poète vizir Ibn
Zamrak du faubourg d’al Baycine au palais de l’Alhambra, dans mon esprit,
c’est quoi ? Je ne sais pas si vous êtes allé à Grenade ?
Non !
Bien, c’est urgent ( rire). Grenade est construite sur deux collines,
une colline qui s’appelle en arabe Al Bayazine, qui veut dire les
fauconniers. En espagnol ça a donné Al Baycine ; et puis Al Hamra, le palais
qui est construit sur l’autre colline, et il y a un léger dénivellement…
Dans mon esprit, il y a eu une ascension aussi bien intellectuelle que dans
l’espace (d’Ibn Zamrak). Il y a une tache dans sa vie, je dirais que c’est
humain et j’essaye de le justifier dans mon ouvrage. C’est un garçon qui est
particulièrement brillant et qui a été vite repéré par Ibn al Khatib, le
Premier ministre de Grenade et l’un des plus grands savants, historiens,
philosophes de la cour… Le souverain a été, à un moment donné, monté contre
ce dernier, soupçonné d’avoir lié des alliances avec les Mérinides de Fès,
alors de peur Ibn al Khatib s’est sauvé et a atterri à Fès. Mais on a fini
par mettre la main sur lui et Mohamed V, le souverain de Grenade, nomme Ibn
Zamrak Premier ministre à la place de Ibn al Khatib. Il le charge de
capturer ce dernier et de le condamner. Une situation délicate pour Ibn
Zamrak car il devait tout à son maître Ibn al Khatib qui la façonné en
quelque sorte ; mais son excuse était que Ibn al Khatib avait trahi le
souverain. Arrivé à son jugement, Ibn al Khatib s’est tellement bien défendu
qu’on n’a pas pu le condamner. Il n’y avait pas de choses vraiment
consistantes qui justifient qu’il a quitté la ligne orthodoxe et donc, on le
remit en prison et on lui envoya des tueurs professionnels. Le fils de Ibn
al Khatib accuse presque nommément Ibn Zamrak d’avoir été l’instigateur, il
a montré beaucoup de zèle. Les années sont passées et il est devenu très
puissant en se faisant beaucoup d’ennemis puis arrive le jour où Mohamed V
meurt, et c’est le désastre ! Le successeur l’a tout de suite jeté en
prison. Il ressortira et reprendra sa place de Premier ministre et
redeviendra l’homme d’avant, puissant et tyrannique. Mais, finalement, il
subit le même sort que son maître Ibn al Khatib. On lui a envoyé des
assassins qui l’ont exécuté. C’était un très grand poète, un grand
admirateur d’Ibn al Khafadja, et c’est pour ça que j’ai travaillé sur lui
parce que j’avais déjà fait Ibn al Khafadja.
Et comment avez-vous réussi à l’éditer puisque vous avez quitté votre ancien
éditeur ?
J’avais accompagné la chanteuse de l’arabo- andalou Nassima, avec qui
j’avais collaboré auparavant, dans une librairie à Paris, la librairie de
l’Orient. Elle cherchait un diwan de Mustapha Ben Brahim et je découvre par
la suite que la librairie possédait sa propre édition et qu’elle était, en
faisant ma rencontre, très intéressée de m’éditer. Alors, j’ai demandé s’ils
faisaient du bilinguisme et on m’avait répondu que cela faisait partie de
leur ligne éditoriale qui est faite pour diffuser la culture arabo-musulmane
sous toutes ses facettes. J’ai donc récupéré mon manuscrit de chez mon
ancien éditeur et je le leur ai donné. Ils l’ont aussitôt accepté et m’ont
même demandé d’autres ouvrages. J’avais alors mes anciens ouvrages sur Ibn
al Khafadja ainsi que d’autres. Ils les ont aussi édités, ainsi qu’un récent
ouvrage sur Ibn Khafadja, l’amant de la nature, que j’ai fait avec André
Miquel.
Est-ce que ce dernier a aussi participé au dernier Ibn Zamrak ?
Non, pas cette fois. Il était par contre sur un projet, “la poésie
d’amour chez les Arabes” (el ghazel). Il m’a convoqué pour me demander de
travailler avec lui sur cette anthologie de la poésie d’amour en me
proposant de m’occuper des poètes andalous et lui de ceux d’Orient. Je lui
ai tout de suite dis oui. Ça a été édité, malheureusement, les textes en
arabe n’ont pas paru, et je le regrette. Comme je l’ai dit à Al Bouraq
(l’éditeur), je tiens absolument à ce que le texte arabe figure, parce que
je considère qu’on travaille beaucoup sur cette langue et on ne la voit pas
et on l’entend pas. D’ailleurs, quand je fais des conférences, je lis les
textes en arabe et je donne après leur traduction. Ça fait un effet
extraordinaire… on me dit souvent qu’on y trouve une très belle musicalité.
J’ai exigé aussi à ce qu’ils soient vocalisés, parce que c’est difficile de
lire un poème arabe non vocalisé pour celui qui a un petit niveau en arabe.
Est-ce que vous comptez rééditer vos anciens travaux et les diffuser ici en
Algérie parce que, jusqu’ici, on ne trouve vos livres qu’à l’étranger ?
Oui, c’est ce que je souhaite le plus, je vais prendre des contacts pour
cela. Mais j’avais déjà édité un ouvrage ici, La méthode d’arabe, que j’ai
fait avec ma femme. Le deuxième tome est d’ailleurs en préparation chez mon
nouvel éditeur. Il contient des exercices de grammaire, des textes de poètes
de l’Orient et du Maghreb accompagnés de leur présentation…
Vous avez parlé de collaboration avec la chanteuse Nassima… C’est un autre
versant sur lequel on peut vous trouver puisque vous avez aussi collaboré à
un ouvrage sur le châabi et le hawzi…
Ah, oui ! Ça je l’avais fait tout à fait au début, c’était l’édition Al Ouns
qui m’avait sollicité pour la traduction des grands maîtres algériens du
châabi et du hawzi. Je vous avoue sincèrement que j’ai refusé dans un
premier temps, je ne connaissais pas très bien ça. Lors d’une rencontre avec
l’éditeur à Paris où il m’a fait écouter un texte d’El Anka, j’ai tout de
suite relevé un contresens. Il m’a dit que c’était justement ce qu’il
cherchait : savoir où ça n’allait pas. Par la suite, le plus difficile était
de transcrire les chansons à l’écoute. Ça a été un travail harassant. Après,
il fallait les traduire, c’était une autre paire de manches. On dit l’arabe
populaire mais en réalité c’est à 80% de l’arabe littéraire. Finalement il a
eu beaucoup de succès ( rires). Il était prévu un second volume, mais par
manque d’argent il n’a pas été fait.
Pour revenir aux poètes andalous, ne pensez-vous pas qu’ils devraient être
intégrés dans nos programmes scolaires ?
Absolument, ça peut être très bien en première et terminale. C’est pour ça
que la littérature andalouse n’a pas la place qu’elle mérite, on devrait lui
donner une dimension beaucoup plus importante. C’est ce que j’essaye de
faire au maximum. En ce moment, je travaille avec la chanteuse Nassima sur
son CD sur les poètes mystiques algériens, Sidi Boumediène, Ben Tounès et
même l’Emir Abdelkader, qui était un grand poète mystique. Je pense que le
CD fera un tabac.
Ce qui va faire un tabac aussi ça sera peut-être votre prochain ouvrage sur
les femmes poètes ?
Oui, c’est une idée qui m’est venue lors d’un concert de Nassima. Quand je
l’ai rencontrée, je lui ai fait remarquer que quand on lit les poésies
érotiques en arabe il n’y a que l’homme qui parle, l’amant, mais la femme ne
dit rien, elle est silencieuse, on ne sait pas si elle est pour ou contre…
Le seul langage est ceui des yeux. Je lui ait dit que c’était faux parce
qu’il y a des femmes qui ont exprimé leur amour et leurs sentiments, qui ont
eu des amants… Il y a des extraits poétiques de ces dernières. J’avais alors
proposé à Nassima de lui choisir un petit extrait, c’était à l’approche du 8
Mars, l’occasion de le dédier aux femmes. Après, j’ai eu cette idée de faire
l’ouvrage que j’ai intitulé Florilège de la poésie andalouse au féminin. Je
voudrais prendre une poète par époque et j’ai commencé par Wellada qui
représente la période omeyade, et puis après, Nezhoun al Klaia et aussi
Hafsa bent al Hadjadj ( rires) de la période almohade et, finalement, Sara
al Halabia qui est de la période des Nasrides. Ce sont ces quatre femmes que
je voudrais étudier et essayer de trouver le maximum d’éléments
biographiques sur elles avec des extraits de leurs poésies et leur
traduction, en particulier Al Wellada, la compagne d’Ibn Zeydoun. Ils se
sont séparés, mais, cela va vous étonner, mais cette séparation, car, Ibn
Zeydoun a été tellement bouleversé par cette séparation que cela nous a valu
une des plus belles poésies du monde arabe. Yacine Hirèche
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