Actualit�s : MENSONGES ET CALOMNIES D'UN TORTIONNAIRE DEVENU G�N�RAL DE L'ARM�E FRAN�AISE
CONFESSION D'UN EX-PARACHUTISTE A ALGER (1955 A 1961)
Raymond Cloarec : �J�ai tu� 73 Alg�riens� II


Nous poursuivons la publication de l�interview de l�ex-parachutiste Raymond Cloarec qui a exerc� au sein du 3e RPC et RPIMA de f�vrier 1955 � f�vrier 1961. Il r�v�le comment il a tu� 73 Alg�riens avant de d�missionner de l�arm�e fran�aise � la veille de l�Ind�pendance nationale. Pris de remords, Cloarec tente de se �lib�rer�.
L. S. : Quelle forme d�interrogatoires ? (Il me fixe longuement du regard puis affirme) : les tortures �videmment � Des villageois ont fini par nous confirmer que les rebelles �taient bien l� au cours de cette nuit. Des signes de leur pr�sence �taient visibles. Il ne restait dans le village que les vieux, les infirmes et les femmes. Le lieutenant les avait fait interroger. Sans r�pit. Des cris, des hurlements. A la fin de ces interrogatoires, nous avons re�u l�ordre de faire dispara�tre ce lieu de ravitaillement et de repos. Il nous a demand� de les abattre. Il y avait 37 personnes.
L. S. : Comment les avez-vous tu�es ?
R. C. :
En les mitraillant sur la place du village. Ensuite nous avons mis le feu au village. Il y avait des vieux, des infirmes. Certains avaient le nez coup�, d�autres les oreilles. M�me que parmi ces gens il y en avait qui �taient oblig�s de servir les bandes arm�es.
L. S. : Quel �tait le nom de ce village ?
R. C. : Je ne m�en rappelle plus. C��tait sur les hauteurs de Bougie.
L. S. Vous en parlez avec une grande froideur�
R. C. :
Je revois les yeux des personnes qui nous regardaient lorsque nous les mitraillions. Nous �tions 3 ou 4 mais c�est � c��tait le lieutenant qui nous l�ordonnait. �Vous le faites� disait-il. Nous avions un fou. Lorsque nous arrivions dans les villages, la premi�re chose qu�il ferait, c��tait de tuer le chien kabyle qui aboyait.
L. S. : Qui �tait ce lieutenant ?
R. C. :
Je ne peux pas le dire. C�est marqu� P dans mon journal. Sa famille existe encore. Mais lui est mort dans un accident d�h�licopt�re en France apr�s la guerre. Les remords m�habitent.
L. S. : Qu�est-ce que cela vous fait aujourd�hui de rencontrer dans la rue des Alg�riens ?
R. C. :
Je pense aux morts. Je n�ai jamais pu avoir la paix en moi. Je combats seul parce que je n�ai jamais pu raconter � ma femme ou � mon fils. Personne n�avait su quoi que ce soit avant la publication d�un article sur Le Nouvel Observateur. J�ai pris le risque de tout perdre en parlant. J�avais longuement r�fl�chi avant de d�cider d�en parler de mon vivant.
L. S. : Comment vous sentez-vous ?
R. C. :
Bien maintenant. Mon �pouse commence � comprendre les choses. Depuis l�article publi� par Le Nouvel Observateur, mon �pouse, qui est coiffeuse, n�a plus une cliente. Toutes ses clientes sont des pieds-noirs, elles n�ont plus remis les pieds dans son salon de coiffure. Nous avons perdu toute la client�le. Cela fait partie des risques que j�avais calcul�s. Je me suis mari� en 1959. Nous sommes en 2005. J�ai m�me pris le risque de voir mon �pouse me quitter. Je ne savais pas qu�elle serait sa r�action. Mon �pouse a choisi de me soutenir mais elle est vex�e � mort � cause de la honte, des pieds-noirs qui n�acceptent pas que j�aie avou�.
L. S. : Vous affirmez avoir tu� 73 Alg�riens
R. C. :
Eh oui ! Malheureusement Vous avez parl� de 37 personnes que vous avez tu�es. Et les autres ?
R. C. :
J�ai tu� 30 personnes dans une grotte. Il y a tous les d�tails dans mes citations.
L. S. : Que pensez-vous de ces citations ?
R. C. :
Je ne les porte pas. Je ne porte pas mes d�corations.
L. S. : Pourquoi ?
R. C. :
On n�a pas fait de moi un h�ros. En France, porter la l�gion d�honneur, c�est �tre un h�ros. Moi, je ne me suis jamais consid�r� comme un h�ros. Je n�ai jamais rien demand�. Je me consid�re comme un assassin. Personne aujourd�hui n�est capable de dire que les personnes que j�ai tu�es �taient coupables de quoi que ce soit. Je ne peux pas le supporter, je n�arrive plus � le supporter. Seul la mort me lib�rera de ce cauchemar. C�est un harc�lement perp�tuel, constant. Cela dure depuis 50 ans. J�ai toujours le regard de ces personnes que j�ai tu�es. Dans les yeux, elles me fixent toujours.
L. S. : Vous avez tu� 37 personnes dans un village. Et les autres ?
R. C. :
� Les d�tails sont �crits dans ma d�coration que je vous ai montr�e tout � l�heure ( il me remet trois photocopies de citations dat�es du 1er novembre 1957, du 12 f�vrier 1957, et du 4 avril 1958)
L. S. : Donc on vous a d�cor� pour avoir tu� des personnes�
R. C. :
Oui. La l�gion d�honneur � Lorsqu�on a tant de citations, on re�oit la l�gion d�honneur.
L. S. : Une l�gion d�honneur pour avoir tu� des innocents et de surcro�t sans �tre arm�s. Elle devrait �tre d�cern�e lorsqu�on se distingue au combat, lorsqu�on abat un adversaire arm�. Pas dans ce cas �
R. C. :
Evidemment oui. Lisez bien ; c�est la plus haute d�coration � titre militaire. A l�ordre de l�Arm�e. (Il relit la pr�c�dente d�coration cit�e plus haut) Sans la baraka, le 4 avril 1958 aurait pu �tre mon dernier jour de vie. Dans mon cahier journal, je donne tous les d�tails, je raconte comment cela s�est pass�.
L. S. : Vous �tes cit� comme un combattant alors que vous avez mitraill� des civils sans armes � Vous reconnaissez les avoir tu�s comme un assassin.
R. C. :
Non. Pas ceux-l� qui avaient les armes � la main. Lorsque j�ai r�cup�r� leurs deux mitrailleuses, ma veste �tait tout transperc�e. C��tait dans les Aur�s, j��tais � d�couvert sur un versant. Les rebelles �taient dans une grotte au dessous. C��tait loyal mais pour rien.
L. S. : Vous continuerez � les qualifier de rebelles. Ne pensez-vous pas que �
R. C. :
C�est une fa�on de parler. Dans mes �crits je les qualifie de r�sistants. Pour moi c��taient des r�sistants. Lisez mes cahiers.
L. S. : Vous avez particip� � ce qu�on appelle les deux batailles d�Alger. Quel commentaire faites-vous � propos de la premi�re �Bataille d�Alger�
R. C. :
La premi�re bataille d�Alger a �t� plus calme que la deuxi�me.
L. S. : Pourquoi ? Pourtant la torture a �t� massivement et syst�matiquement pratiqu�e
R. C. :
Plus calme parce que nous d�couvrirons la guerre. On travaillait, on agissait sur les r�seaux, j�ai en ma possession tous les organigrammes du FLN, les poseurs de bombes, tout� Le processus de d�couverte des bombes, le d�roulement chrono, tout est l� (il expose quatre organigrammes originaux du 3e RPC. Il s�agit de �organisation rebelle d�Alger (sch�ma du 27 ao�t 1957), �Organisation FLN d�Alger (sch�ma provisoire du 8 mars 1957)�, �affaire des bombes (situation au 31 ao�t 1957)�, et �d�roulement chrono : processus de la d�couverte de la fili�re bombes�. (Lire annexes).
L. S. : Vous ne r�pondez pas � la question pr�c�dente, celle de la pratique de la torture � vaste �chelle. Dans leurs demeures, dans les caf�s, dans des �coles, devant leurs familles, des centaines de personnes ont �t� tortur�es � La Casbah . La terrible r�pression a �t� vigoureusement condamn�e, vous n�en dites rien.
R. C. :
Les parachutistes n��taient pas les tortionnaires, je n�en �tais pas un.
L. S. : Des t�moignages existent, des rescap�s aussi, des organisations ont d�nonc� le comportement des parachutistes qui ont install� une terreur et une psychose permanentes � tel point, que Robert Lacoste, dans une lettre � Guy Mollet, dat�e du 14 f�vrier 1957, souhaitait vivement que �ces troupes s�en aillent d�s que possible�. Ce n�est pas pour dire qu�il avait bonne conscience� Toutes les commissions d�enqu�te venues en Alg�rie pour faire la lumi�re sur la pratique g�n�ralis�e des tortures �taient unanimes � conclure que les B�ret rouges, les B�rets verts, les B�rets bleus, c�est-�-dire les parachutistes autant que la gendarmerie, la police et la DST ont inflig� les tortures afin d�extorquer des aveux ou des d�clarations. Mais vous, vous affirmez tout le contraire �
R. C. :
Lorsqu�on entrait dans un secteur, c��tait pour avoir des renseignements, lorsqu�on bouclait un secteur c��tait pour capturer le gars qui venait pendant la nuit pour rencontrer ses responsables FLN, et lorsqu�on arr�tait les suspects, on les remettait aux DOP dans des villas pour interrogatoires. Nous n��tions pas les tortionnaires, je n��tais pas un tortionnaire. J�ai tu� mais je n�ai pas tortur�. Nous, les parachutistes, pr�f�rions �tre dans les djebels. Mais les tortures, je l�ai �crit, dans mes cahiers, c��tait d�gueulasse. (A suivre)

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