Panorama : CHRONIQUE DES TEMPS SORDIDES
La France devant son miroir
Par Ma�mar FARAH farahmaamar@yahoo.fr


II l �tait �crit que les nouveaux gavroches n�auraient pas la bont� d��me et la puret� des h�ros hugoliens juch�s sur les barricades de la r�volte. Il �tait �crit que les nouveaux gavroches auraient une sale t�te de N�gres ou de Maures.

Il �tait �crit que c�est sur la bagnole du voisin que s�abattraient la haine et la col�re de ces nouveaux damn�s de la Terre, n�s par erreur sous le ciel froid et d�lav� de la banlieue, dans une soci�t� o� la Libert�, l��galit� et la Fraternit� ont cess� d��tre la langue vivante des indomptables pour mourir dans la pierre froide des frontons de mairie� Mais, ces gavroches basan�s, au geste maladroit, aux objectifs flous, ne portent-ils pas aussi, avec moins de ferveur et sans aucune po�sie, le m�me id�al r�volutionnaire, la m�me soif de dignit� et le m�me refus de la pauvret�, de l'arbitraire et de l�exclusion ? Oui, bien s�r, l�ordre r�publicain doit r�gner ! Les �meutes, les violences urbaines, les incendies volontaires, les agressions, voire les crimes sont bl�mables. Mais, au-del� de la condamnation unanime et justifi�e de tels actes, ne faut-il pas aussi et surtout essayer de comprendre ? Et d�abord, l�, pour �teindre le feu rapidement, efficacement, ne faut-il pas que M. Sarkozy quitte momentan�ment la sc�ne, lui qui a aliment� le brasier par des paroles incendiaires ? �videmment, je vois d�ici les d�fenseurs de l�ordre r�publicain crier � la trahison ! On ne recule pas devant l�infamie, on ne laisse pas la chaise vide face aux agresseurs de la R�publique, aux tenants de l�extr�misme et du chaos ! Vanit�s que tout cela ! R�flexes de Gaulois fiers et obstin�s. L�amour de la patrie et l�attachement � l�ordre r�publicain peuvent, parfois, commander des choix singuliers, dict�s par la conjoncture. J�entends tout le monde r�clamer l�arr�t de la r�volte. Alors, allons-y ! Que M. Sarkozy quitte son poste ! Ce serait, contrairement � ce que pourraient penser les r�publicains bon teint, un acte courageux et plein de lucidit� qui lui permettrait, outre de se racheter de son vocabulaire irresponsable, de garder ses chances intactes pour un rebondissement politique qui lui ouvrirait de nouvelles perspectives en 2007. En fait, j�ai l�impression que le pi�ge s�est referm� sur M. Sarkozy sans qu�il ait eu le temps de riposter. Lui qui �tait � la R�union et en Libye au moment o� �a cramait � Marseille et � Bastia, lui qui s�est arrang� pour attraper un rhume et ne pas assister au Conseil des ministres qui traitait le dossier de la SNCM, lui qui a tout fait pour ne pas �tre mouill� par l�orage corse, le voil� sous le d�luge du cyclone des banlieues ! Ceux qui veulent briser sa carri�re politique sont les premiers � lui manifester leur solidarit� afin qu�il reste, qu�il continue d��tre secou� par les rafales jusqu�� tomber comme un ch�ne du Mississipi, d�racin� et fracass� par l�ouragan� Il n�y a rien de d�shonorant � reconna�tre que l�on porte une grande responsabilit� dans ce qui arrive et � en tirer les conclusions qui s�imposent pour tout homme politique digne: partir. On peut voir dans ce geste une d�mission face aux responsabilit�s, une fuite devant les probl�mes, voire la capitulation de la R�publique face aux fauteurs de troubles et aux extr�mistes ! C�est un point de vue respectable, mais je crois que quand le feu bouffe la maison, il ne faut pas trop philosopher. Il faut l��teindre d�abord ! Quant � ces bambins, de plus en plus jeunes, ces m�mes qui s�amusent � br�ler tout sur leur passage, ils sont le pur produit de la nouvelle France. Et il ne sert � rien de jeter la pierre aux autres! Ces ados en col�re sont n�s en France, souvent de parents eux-m�mes fran�ais. Ce sont des citoyens � part enti�re qui refl�tent le v�ritable visage de la soci�t� fran�aise d�aujourd�hui. Chercher des poux dans les t�tes des islamistes, de la maffia, voire d�une force �trang�re, est le jeu favori des politiques qui, pour se d�culpabiliser et se consoler, multiplient les pistes et les sc�narios. Pourtant, la France aurait d� s�inqui�ter le jour o� certains de ces m�mes, voire toute la tribune �color�e� du Stade de France avaient siffl� la Marseillaise ! Ces Bleus dont on vantait le label �Black, Beur et Blanc� �taient hu�s par ceux-l� m�mes qui les avaient pompeusement f�t�s en 1998 ! Au lieu de s�interroger sur ce geste aussi surprenant que choquant, chacun y est all� de ses invectives. Ces Fran�ais qui sifflaient l�hymne national ne sont pas des zombies ou des mutants. Ils sont le produit de l��cole la�que qui leur apprend que les valeurs de la R�publique sont la Libert�, l��galit� et la Fraternit�, autant de principes qui, dans la vie quotidienne, sont bafou�s. Il est inutile de revenir sur toutes les mis�res que vivent ces t�tes pas blondes du tout, mais leur marginalisation, le racisme ordinaire dont ils sont victimes, leur parcage dans de v�ritables ghettos ont fini par installer un d�sespoir qui, au fil des ans et des d�cennies, s�est transform� en col�re nihiliste, en quelque chose que les grands �ditorialistes bien pensants et bien install�s dans leur confort moral et mat�riel sont incapables de voir. Ils sont pourtant fran�ais, ces m�mes ! Ils n�appartiennent � aucun autre pays ! Et lorsque M. le Pen parle de les renvoyer chez eux, je rigole ! Chez eux, c�est l�bas, dans les ghettos. Ils n�ont pas de pays de rechange. Est-ce qu�il viendrait � l�esprit d�un homme politique de demander � M. Sarkozy ou � tous les enfants d�immigr�s d�origine europ�enne de rentrer chez eux ? Ces enfants sont fran�ais � cent pour cent, autant que Zidane. Mais, pour ce dernier, on n�utilise jamais le qualificatif de Fran�ais musulman ou de Franco-alg�rien ! Par contre, d�s qu�un terroriste islamiste ou un braqueur de banques fait parler de lui, on brandit le pays d�origine des parents ou des grands-parents, comme pour dire : �Cette racaille n�est pas de chez nous !� C�est pourtant l�-bas qu�il faut trouver les r�ponses aux interrogations de ces m�mes emport�s par la folie destructrice et chercher des solutions � leurs nombreux probl�mes, qui ne sont pas du reste diff�rents de ceux v�cus par toute la France d�en bas ! Lors du r�cent r�f�rendum europ�en, cette France-l� avait exprim� clairement et massivement son ras-le-bol. A-t-elle �t� entendue ? Et si aujourd�hui, ce sont les franges les plus fragiles et les plus touch�es de cette France qui se mettent � exprimer leur col�re en br�lant la voiture du voisin, l��cole ou le gymnase, � consid�rant qu�il n�y a pas un autre moyen pour faire entendre leurs voix �, rien ne dit que des citoyens, moins bronz�s, ne se soul�veront pas demain pour les m�mes motifs. Ces Fran�ais de seconde zone ont besoin de justice et d��galit�. Tout l�argent de l�Hexagone pourrait �tre vers� dans les tonneaux de Dana�des des banlieues, il ne servirait qu�� colorer les immeubles et � cr�er l�illusion. Il faut que la France se regarde en face et se dise une fois pour toutes : �Ces gamins sont � nous !� Ni leur race, ni leur culture, ni leur religion ne sont en cause dans ce qui arrive ! S�ils ont d�raill�, il faut chercher ailleurs les raisons de la col�re et traiter le probl�me en profondeur pour que chaque m�me, et quelle que soit sa couleur ou sa condition sociale, se sente r�ellement l�enfant du pays des droits de l�homme. Afin qu�il puisse b�n�ficier d�une vraie politique d�int�gration et non d�un rafistolage cyclique, bricol� � la h�te par la gauche droitiste et la droite gauchis�e, pour se d�douaner des ces populations �indig�nes�, vivant loin des lustres des grands palais institutionnels. La R�publique a recr�� les rites de la royaut�, les cours, les aristocrates, les gueux; les fastes pour les uns, le d�nuement pour les autres ! Les ghettos pour pauvres ont remplac� les bidonvilles naus�abonds de jadis et les grands projets des gouvernements successifs pour ces banlieues n�ont jamais d�pass� le seuil des bonnes intentions. Aujourd�hui, et tout en essayant de savoir pourquoi ces gosses en sont arriv�s l�, la France doit comprendre qu�elle n�a aucune chance de s�en sortir si elle prive une bonne partie de ses citoyens des droits �l�mentaires � l��ducation, � l�emploi et au logement et qu�elle continue de les traiter comme des habitants � part. Elle gagnerait � pr�parer un autre projet de soci�t� pour les ann�es � venir afin que les mauvais �l�ves de l�ultralib�ralisme � la Bush ne continuent pas de g�cher les r�ves que nourrissent tous les enfants de l�Hexagone de voir la France r�ussir son pari d��tre un pays exemplaire pour le reste des d�mocraties, une soci�t� multiraciale, multiculturelle, r�solument tourn�e vers le progr�s et la justice sociale. M. F.

P. S. : Et pendant ce temps-l�, un homme purge une peine qu�il n�a pas m�rit�e, dans une sinistre prison d�El Harrach. Et pendant ce temps-l�, sa femme, portant haut le symbole de la dignit�, en appelle � toutes les consciences du monde pour que Mohamed retrouve les siens au plus vite.

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