Panorama : LETTRE DE PROVINCE
Un syndicat sous b�n�fice d�inventaire
Par Boubakeur Hamidechi


L�UGTA bat de l�aile et son secr�taire g�n�ral est sur la corde raide. A moins de trois mois de la c�l�bration d�un demi-si�cle d�existence (24 f�vrier 1956-2006), La Mecque des travailleurs n�est plus qu�un d�risoire mur des lamentations que le miracle et la pugnacit� ont d�j� d�sert�. Tout juste si, dans ses offices, l�on voit d�filer des vaincus m�contents qui d�plorent la compromission de ses clercs. Pas plus tard que mercredi pass� (30 novembre), ils furent vertement interpell�s par l�irr�ductible carr� de syndicalis�s encore attach�s � ce sigle.
En somme, les derniers croyants d�une religion syndicale � laquelle de moins en moins de salari�s y croient encore. Signe des temps cr�pusculaires, la col�re �pargna paradoxalement les pouvoirs publics, ou du moins admit ses pratiques et ne s�en prit qu�� ceux qui seraient suppos�s �d�fendre leur cause�. Pour le secr�taire g�n�ral et son �politburo�, qu�est la commission ex�cutive, c��tait l�accusation de trop qu�ils ne voulaient pas laisser passer sans riposter. Car elle ne les mettait pas seulement en mauvaise posture sur le moment, mais anticipait sur une succession au prochain congr�s. Le spectre du si�ge �jectable expliquerait la virulence de leur r�action, d�autant qu�ils sont en fin de mandat et qu�ils ont conscience d�avoir rat� les v�ritables convergences ou de s��tre fourvoy�s dans des connivences de pouvoir jusqu'� oublier ce au nom de qui ils donnaient leur avis. La suspension administrative d�un d�l�gu� syndical des douanes a-t-elle donn� le signal de la cur�e orchestr�e. Les accusations ad hominem visant certains secr�taires nationaux, bien avant la houleuse �explication�, �taient en tout cas assez significatives pour r�duire la crise de fond � une tortueuse instrumentation de clans. Autrement dit, le probl�me de l�actuelle UGTA n�est ni de l�ordre d�un appareil paralys�, ni de l�existence non d�sir�e des coordinations, encore moins celui des autonomes qui lui contestent sa culture monopoliste. Il se situe � des niveaux strictement politiques et doctrinaux et sa r�solution passe par ces deux pr�alables. Bref, la d�rive ne se r�sorbera que si des clarifications id�ologiques seront faites pour corriger les �carts d�une direction, sinon cette �union� continuera � survivre � l�ombre des pouvoirs comme un appendice croupion de l�action de l�Etat et des app�tits du patronat. C�est implicitement ce que reprochent au �porte-parole� officiel les coordinations contestataires. C'est-�-dire l�opacit� dans les n�gociations et le pilotage � vue lequel est la n�gation d�une strat�gie � long terme. M�me si les plus vindicatives parmi elles sont souvent actionn�es par de v�ritable condottieres du syndicalisme qui s��taient illustr�s, d�abord par leur soutien � une �ligne� tant qu�elle leur serait de courte �chelle, avant de tourner casaque, il reste n�anmoins qu�ils ont raison formellement tant l�ex�cutif de la Centrale a commis des impairs vis-�vis des f�d�rations et de la base en g�n�ral. Aussi est-il difficile de leur faire reproche de cette inclination � dresser des b�chers � ceux qu�ils avaient applaudis auparavant quand ils constatent que l�appareil est confisqu� puis verrouill� et, pire, qu�il est un exutoire au service du pouvoir politique. C�est par cons�quent Sidi Sa�d qui est dans l��il du cyclone et c�est de son bilan personnel que s�alimente la grogne. Mais plut�t que de lui faire grief sur sa combativit� �mouss�e, argument qu�il peut d�ailleurs retourner � son avantage en se pr�valant de pragmatisme face � des mutations �conomiques impr�visibles, il serait plus avis� de recadrer son action dans le lignage de notre syndicalisme. En somme, remonter aux origines des cooptations pour comprendre comment cette unicit� syndicale, reliquat du centralisme du parti unique, a rat�, d�abord le train du pluralisme conf�d�r�, ensuite n�a pas su tisser des alliances d�objectifs avec les courants �mergents des corporations, pour retomber, d�vitalis�es, dans le giron de l�establishment. Lorsque � partir de 1989 Abdelhak Benhamouda parvint � convaincre un congr�s de la n�cessit� pour l�UGTA de s��manciper du statut d�organisation de masse du parti FLN, il se mettait en quelque sorte dans le sens historique des premi�res r�formes politiques. Cependant, il ne pouvait ignorer la mont�e en puissance d�un syndicalisme agressif d�ob�dience islamiste, le SIT, et fit par cons�quent du lobbying pour que le plurisyndicalisme ne soit pas effectif. De cette �poque trouble, date ce fameux dogme d�un syndicat monopoliste �r�nov� destin� moins � servir de r�servoir client�liste aux courants politiques qu�� participer � l��radication de toutes les formes de contagion islamiste. Dans le prolongement de ce combat, l�UGTA a �galement saisi la n�cessit� de s�impliquer dans l�espace politique avec seulement l�intention de renforcer le front d�mocratique, alors qu�on lui a pr�t� des vell�it�s de peser de son influence sur le destin du pays. En d�cembre 1991, elle apporta un soutien discret � la disqualification du FIS et des urnes et en 1995 elle fit le choix, contestable il est vrai, de soutenir Zeroual pour les pr�sidentielles, alors qu�elle avait suffisamment de marge pour donner des consignes moins exclusives. A l�exemple d�un Sa�d Sadi qui avait p�ti de cet ostracisme bien que les arguments avanc�s par le secr�taire g�n�ral du moment ne manquaient pas de pertinence. �Le pr�sident du RCD est assur�ment un d�mocrate de vieille conviction, mais c�est son lib�ralisme �conomique qui pose probl�me�, disait en substance Benhamouda pour justifier la caution unilat�rale accord�e au g�n�ral Zeroual. Sur cet aspect, le d�funt syndicaliste demeurait sur une ligne ouvri�riste pure et dure, celle qui ne fait pas de concession � �l�ennemi de classe�, comme l��crivent les orthodoxes marxiens. De cette p�riode d�engagement tous azimuts, les analystes ont d�j� retenu le fait qu�il r�pondait plus � une urgence patriotique et un devoir de d�mocrate qu�� une quelconque instrumentation du monde de travail. A l��vidence, c��tait le temps o� toute ti�deur dans le positionnement, voire la neutralit� ou l�expectative se d�clinait comme un abandon. Tel est manifestement le distinguo entre l�engagement d�un Benhamouda et l�all�geance d�un Sidi Sa�d. Car, d�s lors qu�une certaine l�gitimit� s�est impos�e et que la criminalit� politique vaincue d�abord par la r�sistance, il �tait pour le moins ahurissant qu�un syndicat historique perp�tue un rite d�testable et discr�ditant. L�actuel SG, dont la long�vit� � ce poste n�est pas en cause, p�tit aujourd�hui de cette erreur de jugement, voire de la transgression de son r�le de premier syndicaliste en ne se cantonnant pas � cette repr�sentativit�. Rappelons-nous, c��tait au soir du 3 mars 2004, juste � l�ouverture de la campagne des pr�sidentielles, la commission ex�cutive rendit public son soutien au chef de l�Etat sortant et se livrait en m�me temps � tous les subterfuges pour en expliquer les raisons, sans convaincre les autres candidats et moins encore l�opinion, sauf sur un point : celui d��tre un appareil sous influence. A travers ce simulacre d�une profession de foi d�livr�e au nom des travailleurs l�on imagine, une ann�e et demie apr�s, ce qu�il en reste du cr�dit syndical � la disposition de ces dirigeants. De ce vieux fonds de scrupules patiemment exerc� par les Rabah Djermane, Bourouiba et Benhamouda que subsiste-t-il dor�navant ? Peu de traces, certainement. L�autonomie qu�a impuls�e en 1989 l�embl�matique martyr n�avait-elle pas permis de renouer avec le sens du combat qu�avaient eu � mener ses a�n�s dans les ann�es 1962- 1963 ? Or, cette rupture avec l�inf�odation au parti unique aurait d� s�approfondir depuis et se pr�ciser � travers un certain nombre de principes. Il fallait, entre autres, r�sister � l�embrigadement, soustraire le contre-pouvoir syndical aux appareils politiques et ne n�gocier des soutiens �lectoraux que sur la base des int�r�ts de la classe. Un principe universellement respect� par les syndicats et dont l�UGTA a commod�ment �vacu� la contrainte. En l�arrimant au r�gime, Sidi Sa�d dilapide un h�ritage et affaiblit l�action syndicale, quoiqu�il s�en d�fende. Routier de long cours, il ne pouvait ignorer que sa strat�gie de 2004 servirait moins son combat et engagerait le destin des travailleurs et des� ch�meurs dans le bon sens qu�elle ne donnait � l�action du pouvoir les possibilit�s de conduire le d�mant�lement sans gardefous. Si, en la circonstance, il reconna�t que des r�formes structurelles sont effectivement n�cessaires et qu�en m�me temps il sollicite �un peu d�oxyg�ne� pour pouvoir rebondir, c�est qu�il y a des raisons de croire que l�impasse est totale. Aussi bien pour les dirigeants au sommet que pour l�institution elle-m�me. Le 11�me congr�s qui co�ncide avec le cinquantenaire devrait, selon toute probabilit�, �tre celui de la remise en cause ou de l�enterrement d�finitif, mais jamais celui du statu quo. Sidi Sa�d et la CEN n�ont donc de choix qu�entre devenir les embaumeurs de l�UGTA ou passer la main discr�tement.
B. H.

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