Panorama : LETTRE DE PROVINCE
Invitation au voyage : Constantine et sa m�dina en ruine
Par Boubakeur Hamidechi


Constantine, sa m�dina et son urbanisme tortur� sont un in�puisable sujet de controverse. Car cela fait bien un quart de si�cle que l�on se d�chire bureaucratiquement autour de la restauration de sa Casbah et que l�on tente de contenir les assauts des constructions sauvages.

En vain. Et ce ne sera pas un �ni�me plan sur la com�te qui balayera le scepticisme de rigueur dans cette m�tropole provinciale ; m�me si cette fois-ci l�on a pris soin de solliciter le savoir-faire �tranger, f�t-il romain. (1). De m�me que la m�diatisation des op�rations de ce genre laisse dubitatives les comp�tences locales qui ont appris � se m�fier des certitudes administratives. Aussi ne reste-t-il que les journalistes pour ajouter foi aux effets d�annonce et rench�rir litt�rairement sur cette perspective de �restauration� que l�on dit, �d�finitivement acquise�. �videmment, cela donne bonne presse aux autorit�s locales et c�est toujours cela de conquis pour eux, en attendant� les d�saveux. Car, au petit jeu des comparaisons, les walis qui se sont succ�d� � Constantine n�ont jamais fait autre chose que de reconduire les proc�dures des pr�d�cesseurs. A chaque nomination, ils pr�disent des r�sultats que la r�alit� d�ment r�guli�rement. Sans se lasser, ils exhument ce fameux dossier et tour � tour le d�cr�tent �prioritaire� avec l�espoir qu�un heureux concours de circonstances les y aide � le d�poussi�rer. Il est, par ailleurs, plus juste d��crire � leur d�charge que la probl�matique de l�habitat et de la Casbah de cette ville n�est pas simple � r�soudre. Le fait que Constantine soit une cit� poss�dant la plus vieille m�dina du pays, dont on a longtemps ignor� l�int�r�t qu�il y avait � la r�nover, constitue aujourd�hui un insurmontable handicap en termes d�urbanisme. De surcro�t le site lui-m�me, de par sa nature �triqu�e et accident�e, r�duit drastiquement les possibilit�s d�extension. Enfin, pour compliquer l��quation urbaine, elle fut tr�s t�t un p�le attractif pour les populations rurales qui la ceintur�rent de bidonvilles. Mais, c�est assur�ment la vieille m�dina qui est au c�ur des pr�occupations actuelles et qu�il faut co�te que co�te r�habiliter ou du moins stopper sa destruction. Les diff�rentes �tapes qui ont conduit aujourd�hui � l�amputation d�une grande partie de la Casbah de Constantine �taient pourtant connues aussi bien par les �lus que les pouvoirs publics sans que cet �tat de fait les d�range�t. La collusion �tait par cons�quent �vidente entre l�inertie l�gendaire de l�administration, laquelle veille � ce que rien ne bouge, et des �lus notoirement affairistes qui ont fait main basse sur le vieux patrimoine. Que reste-t-il � faire aujourd�hui pour la restaurer ? Il n�y a pas de r�ponses satisfaisantes. Car, pour bon nombre de familles patriciennes propri�taires anciens du b�ti, la partie semble d�finitivement perdue alors que d�autres sont convaincus du contraire. Ces derniers viennent du mouvement associatif, de l�universit�, voire de cercles de r�flexion et qui continuent � se battre pour forcer la puissance publique � s�engager dans un vaste projet de r�habilitation. L�enjeu est de taille, s�agissant non seulement du sauvetage d�un patrimoine mais �galement de la r�habilitation du cadre de vie. Mais en attendant l�improbable implication de l�Etat, il n�est pas inutile de c�der � la tentation de raconter l�agonie de cette Casbah. A l�aube de l�ind�pendance, une lame de fond gigantesque a submerg� Constantine. Cette ville qui avait su, durant deux mill�naires, int�grer courtoisement les vagues r�guli�res d�immigrants subira cette fois-ci l�effet inverse. Un exode rural colossal a vite fait d�investir la vieille ville, que d�sert�rent ses occupants pour s�en aller vivre dans la ville europ�enne. La ru�e vers les �biens vacants� fut, comme on le sait, le premier signe distinctif de la fin de notre indig�nat. Les responsables locaux, c'est-�-dire les d�l�gations sp�ciales (1962-1967) puis les APC, d�couvraient � leur insu les vertus de �l�hygi�nisme� en qualifiant le vieux b�ti de la m�dina de zone d�insalubrit� ! Rien que �a... Aussi, s�empress�rent- ils d�en interdire l�entretien avec pour objectif de faire table rase. Or, ce qui a permis � ce tissu urbain multis�culaire de demeurer intact �tait pr�cis�ment l�entretien ponctuel et appropri� : chaulage, cr�pissage et �tanch�it� des toitures. En moins de vingt ans, des quartiers s�effondr�rent faute de soin. De d�pr�dation accidentelle en pr�dation volontaire, la m�dina partait en petits morceaux et en m�me temps accouchait d�une nouvelle cat�gorie de citoyens : les sinistr�s. Nous sommes dans la d�cennie 70 et la crise n�ayant pas encore atteint le seuil critique que l�on conna�t de nos jours, ces �sans-toit� �taient alors relog�s ais�ment. La fascination du logement social fera le reste. Les effondrements dans la Casbah devinrent le sport favori des indus occupants et la contamination affectera tous les �lots de la vieille ville. Dans l�espoir d��tre �vacu�s vers les baraquements de transit et d�acc�der au statut enviable (!) de sinistr�s, les occupants d�une m�me maison se solidarisaient pour l�zarder le b�ti en enfon�ant le mur porteur, ou bien en d�chaussant la toiture, voire en d�molissant la cage d�escalier. Les ruines de la m�dina devenaient une �uvre d�art collective. Car les r�sidents se firent, pour la plupart, un devoir d�apporter chacun sa �pierre� pour la d�molir. Comme un ch�teau de cartes, les bulldozers officiels ach�veront l��uvre en rasant sans pr�caution. Ainsi, pr�s de la moiti� de la vieille ville a disparu d�j� dans la d�cennie 80. Rien ne subsiste d�sormais de Echara�, Sidi-Rached, Sidi- Bzar, Haoumet Ettabla et Birel- Menahel, � peine quelques pans qui t�moignent de l�incomp�tence notoire des pouvoirs publics. Mais alors de quoi parle-t-on aujourd�hui � travers ce �mast�re plan�, quand il ne reste dans cette Casbah que de fantomatiques squelettes de maisons et, au mieux, deux ou trois venelles commer�antes et quelques boyaux qui m�nent nulle part sinon vers la d�solation des terrains vagues ? Surr�alistes exercices autour des ruines d�une m�dina que l�on r�ve de remettre pierre sur pierre quand il fallait sagement entretenir ces lieux de m�moire. Le pari, si pari il y a, n�est-il pas perdu d�avance ? Sauf que nous ne serions pas m�contents de nous tromper.
B. H.

Le �mast�re plan� destin� � r�habiliter la m�dina de Constantine a �t� command� � l�universit� italienne �Roma III�.

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