Panorama : ICI MIEUX QUE L�-BAS
Points de suspension
Par Arezki Metref
arezkimetref@yahoo.fr


�Je sens que Bouteflika n'ira pas au bout de son mandat�, ass�ne Jamil, un ami d'enfance pas sp�cialement vers� dans la chose politique. Je mords � l'hame�on. Sait-il quelque chose que l'on ne sait pas ? A-t-il vu quelque chose d'invisible aux yeux du commun des Alg�riens ? A-t-il un don de voyance ? Rien de tout cela. Il ne fait pas une lecture divinatoire des myst�res qui entourent la fugue m�dicale du pr�sident au Val-de-Gr�ce.
Pragmatique, il a simplement constat� qu'aucun pr�sident, depuis l'ind�pendance, n'est all� au bout de son mandat. Pour �tre plus pr�cis, aucun des pr�sidents que l'Alg�rie a eus n'a jamais quitt� normalement le pouvoir � la fin d'un mandat. Un acte de violence ou une pression politique insoutenable vient toujours mettre fin avant terme � ce dernier, qu'il ait �t� donn� par le suffrage universel (si on peut qualifier comme tel les scrutins � candidat unique et aux scores nord-cor�ens) ou pr�t� par les ba�onnettes. Dans le mille, Jamil ! Reprenons, donc. Ahmed Ben Bella a �t� d�barqu� par un coup d'Etat, Boumediene par un coup de Trafalgar, Chadli par un beau coup, Boudiaf par un coup de feu, Kafi par un coup de bonheur et Zeroual par un coup de col�re. Dans cette funeste histoire de coups d'arr�t � la l�galit� al�atoire, pourquoi Abdelaziz Bouteflika ferait-il exception ? Qu'est-ce qui garantit qu'il sait parer aux coups mieux que tous ses pr�d�cesseurs ? Si, comme le pressent Jamil, son mandat est �court�, par la gr�ce de quel coup le sera-t-il ou par quel coup de gr�ce que personne n'aurait vu venir? Face � la tragique r�p�tition du m�me destin national incarn� par des hommes diff�rents, nous avons �t� form�s � ressentir toujours la m�me appr�hension. Quel que soit le za�m que la providence a la gentillesse de nous envoyer pour veiller sur notre f�licit� avec la comp�tence technologique d'un ange gardien, nous avons toujours peur de le perdre car nous sommes convaincus de perdre du m�me coup, non seulement la stabilit� qu'il arrive toujours � obtenir et qui est toujours � nulle autre pareille, mais aussi un peu de notre �me. Cette id�e, qui revient chaque fois qu'un r�gne entame son d�clin, pointe du nez de nouveau. Les hommes auxquels des circonstances r�p�t�es ont enlev� la latitude d'aller au bout des mandats ne sont pas interchangeables. Ils n'ont pas grand-chose de commun, en r�alit�, � l'exception de cette fatalit� � deux vitesses : laisser les choses en suspens ; ce syst�me qui fonctionne au rapport des forces, � la violence, au cynisme, � la sentimentalit�. Un syst�me de la gr�garit� o� la raison politique s'�clipse devant la ruse, le m�pris, l'autoritarisme, l'all�geance. Un syst�me qui est � la d�mocratie ce que la marine � vapeur est � la marine, le charme en moins. Il n'y a pas de raison math�matique pour que les m�mes causes produisent des effets diff�rents. Tant que le syst�me continue � d�douaner une gouvernance paternaliste, bas�e sur le talent manipulatoire et sur l'�quilibre des clans qui s'absolvent mutuellement dans une impunit� ing�nieuse, tout peut arriver. Les forces souterraines, caract�ristiques de ce syst�me opaque et filandreux, travaillent constamment � gagner ou � regagner des positions. Ce travail de sp�l�ologue, qui se fait en �quilibre dans les t�n�bres, perturbe l�ordre pr�caire que le pouvoir du moment pr�sente comme la l�galit�. Qu'un mandat soit, dans ces conditions sismiques, abr�g� et que la secousse entra�ne des r�pliques f�cheuses, ce n'est alarmant que dans une sorte de logique absolue. Dans le relatif, c'est-�-dire au regard de la jeune histoire du pouvoir en Alg�rie, les points de suspension sont la r�gle. Cette histoire r�v�le la pr�gnance de la culture du coup d'Etat. M�me lorsque un aggiornamento � l'apparence d�mocratique est impos� sous la pression des �v�nements ou la n�cessit� de donner des gages d'�volution et qu'il entra�ne la tenue d'�lections, il faut rester attentif aux leurres. La logique essentielle du syst�me est imprescriptible. Nous tournons dans les m�mes p�rim�tres politiques, avec les m�mes acteurs jouant les m�mes r�les, selon les m�mes prescriptions brutales. Quelques changements cosm�tiques tendent � faire admettre que le lifting incantatoire est un bouleversement. Ce que nous croyons �tre des avanc�es sont, au mieux, du surplace, du d�placement lat�ral, voire du recul. Faire machine arri�re est aussi un mouvement, et ce mouvement-l�, non seulement nous le faisons avec all�gresse mais, en plus, nous avons acquis la conviction que nous allons de l'avant. Ce que le syst�me a fait avaler aux Alg�riens comme fatalit� r�v�le, � l'usage, le contraire qu'elle porte en germe. Nous avons d�velopp�, � l'image de ce que d�veloppe le syst�me pour se p�renniser en l'�tat en donnant une impression d'alternance, la fausse candeur de croire ce qu'il est attendu de nous que nous croyions et la vraie roublardise d'�tre sceptique en faisant croire que nous ne sommes que des paires de mains fabriqu�es en s�ries pour les ovations. Cette dualit� donne le paradoxe de Jamil : pressentir la trag�die d'un mandat abr�g� de Bouteflika en m�me temps que trouver cela dans l'ordre des choses.
A. M.

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