Corruptions : HISTOIRE DE LA COUR DES COMPTES RACONTEE PAR UN DE SES PREMIERS MAGISTRATS
Faut-il d�sesp�rer des institutions de contr�le ?
(1re PARTIE)


M. Ch�rif Derbal a �t� magistrat de carri�re. Il a int�gr� la Cour des comptes (CDC) d�s sa cr�ation en 1980. Auparavant il avait fait partie du groupe de travail gouvernemental qui avait �t� charg� de pr�parer les textes relatifs � la Cour des comptes. Il a quitt� cette institution de contr�le suite � un diff�rend de taille avec le pr�sident de la CDC, diff�rend qui portait sur le respect des missions et les mauvaises pratiques li�es � la gestion.

Il a tenu � faire part aux lecteurs du Soir d�Alg�rie de son exp�rience � la Cour des comptes et des enseignements qu�il faut en tirer, au moment o� en Alg�rie la question des institutions de contr�le, notamment dans la pr�vention et la lutte contre la corruption. Nous publions ci-dessous la premi�re partie de ce t�moignage.

La presse a rapport� r�cemment l�intention des autorit�s de proc�der � une r�organisation approfondie des organes de contr�le des finances publiques, se basant pour ce faire sur les conclusions du �Rapport Sbih��, alors que ce rapport n�a pas, � ma connaissance, �t� rendu public.
La Cour des comptes figure-t-elle parmi les institutions que les pouvoirs publics entendent reformer ou refonder en priorit� ?
- Alors que l�actualit� quotidienne abonde en faits de corruption qui placent notre pays parmi les plus atteints de la plan�te ;
- Alors que la vox populi �voque des personnages tr�s haut plac�s dans les rouages du syst�me, qui ont obtenu de l�argent public � titre de pr�ts faramineux qu�ils ne rembourseront jamais ;
- Alors que les banques publiques du pays subissent quotidiennement des malversations et des d�tournements ;
- Alors que les Alg�riens ignorent comment sont g�r�es leurs plus grandes entreprises qui ne rendent jamais publics leurs bilans d�activit�s ;
- Alors que ces m�mes Alg�riens sont dans l�impossibilit� de conna�tre avec exactitude le mode de gestion de certaines institutions �tatiques ;
- Alors qu�une majorit� de d�put�s refusent tout contr�le sur leur patrimoine ;
- Alors que des pr�dateurs � visage humain continuent � accaparer les richesses du pays sans crainte de rendre un jour des comptes de leurs m�faits ;
- Alors que les citoyens de notre pays sont r�duits au r�le de spectateurs face � la d�liquescence de leur pays class� parmi les plus corrompus de la plan�te ;
- Alors que le charlatanisme est �rig� en mode de gestion politique ; Que d�cident les pouvoirs publics ? H�ter la r�forme du syst�me bancaire ?
H�ter la r�forme fiscale ?
H�ter la r�organisation des organes internes de contr�le ?
Non !
Les autorit�s du pays consid�rent de premi�re n�cessit� de reformer la haute institution des comptes, cr��e il y a � peine un quart de si�cle et qui risque donc de dispara�tre pour c�der la place � quoi ? Ayant fait partie du groupe de travail qui avait �t� charg� d��laborer les textes sur la fonction de contr�le, je souhaite apporter quelques pr�cisions qui ne manqueront pas d��clairer les innombrables lecteurs que pr�occupent � juste titre les probl�mes de corruption dans notre pays, avant la disparition programm�e de la Cour des comptes...
Un point d'histoire s'impose
La Constitution approuv�e par le r�f�rendum du 19 novembre 1976 et promulgu�e par l�Ordonnance n�76-07 du 22 novembre 1976 a consacr� son chapitre V � la fonction de contr�le (articles 183 � 190). Pour rappel, les r�dacteurs de cette Constitution s��taient largement inspir�s d�un projet de Constitution du mar�chal P�tain, qui avait remplac� la s�paration des pouvoirs par des fonctions chapeaut�es par un pouvoir unique. Le groupe de travail d�une douzaine de membres, d�put�s, magistrats et hauts fonctionnaires pr�sid� par le Dr Ahmed Taleb Ibrahimi � nomm� pour la circonstance pr�sident de la Cour des comptes � s��tait mis au travail au d�but du mois de juin 1979 (plus de 30 mois apr�s la promulgation de la Constitution !) Conseiller � la Cour supr�me et accessoirement enseignant � l�Ecole nationale d�administration en ces temps-l�, j�ai accept� de me joindre au groupe dont je connaissais quelques membres, magistrats ou enseignants comme moi � l�ENA. L�objectif assign� au groupe �tait de pr�senter au pr�sident de la R�publique, le r�sultat de nos travaux d�s le mois de septembre. A l�issue de nos nombreuses et tr�s anim�es s�ances de travail, nous avions fini par �laborer un texte de compromis, endoss� par le gouvernement qui l�avait soumis sous forme de projet de loi � l�APN d�but octobre 1979. Nous �tions trois membres du groupe � faire la navette entre le si�ge provisoire de la Cour des comptes et les deux commissions de l�APN, concern�es : la commission administrative et juridique et la commission �conomique et financi�re. Ces commissions refus�rent � juste titre d�ent�riner notre projet de loi parce qu�il allait au-del� de ce que pr�voyait l�article 190 de la Constitution, ainsi con�u :
- �Il est institu� une cour des comptes charg�e du contr�le a posteriori de toutes les d�penses publiques de l�Etat, du parti, des collectivit�s locales et r�gionales et des entreprises socialistes de toutes natures�� C�est au mois de janvier 1980 que l�obstacle fut enfin lev�, lorsque le pr�sident de la R�publique proposa � l�APN une modification de cet article 190. Ce fut fait par la loi n�80-01 du 12 janvier 1980. L�article 190 se lisant d�sormais ainsi :
- �Il est institu�e une Cour des comptes charg�e du contr�le des finances publiques de l�Etat, du parti, des collectivit�s locales et des entreprises socialistes de toutes natures.�

La Cour des comptes est enfin cr��e par la loi n�80-05 du 1er mars 1980.
CDC sous haute surveillance
En application de cette loi, le d�cret n�80-185 du 1er juillet 1980 va fixer � dix (10), le nombre des chambres et d�terminer leurs secteurs de comp�tence. L�entreprise de d�naturation de l�institution d�butera avec l�arriv�e de son nouveau pr�sident connu sous son ��nom de guerre�� de Dr Amir qui a succ�d� au Dr Ahmed Taleb Ibrahimi, appel� � d�autres responsabilit�s. Le �Dr Amir�� a ramen� avec lui plusieurs personnages dont l�un pr�sent� sous le nom de �capitaine Messaoud�� est charg�e des �affaires g�n�rales et de la s�curit钒 ; un deuxi�me personnage pr�sent� sous le nom de �lieutenant Bouamama�� s�occupant plus sp�cialement du �cabinet du pr�sident��. Un syst�me de surveillance a �t� aussit�t mis en place pour assurer la �s�curit钒 : Surveillance diurne et nocturne des locaux, du courrier et des visiteurs qui sont soumis � un interrogatoire inquisitorial, sans parler de la surveillance des magistrats eux-m�mes dont les faits et gestes sont ostensiblement not�s. Ces m�mes personnages s�occupaient �galement de la s�lection des candidatures notamment pour les postes de magistrats. Cette organisation de fait, plaqu�e sur les structures l�gales visait en v�rit� � doubler ou �touffer les centres de d�cision pr�vus par la loi par m�fiance syst�matique � l��gard des magistrats trouv�s sur place (le vice-pr�sident, le censeur g�n�ral et les pr�sidents de chambre). Que vos lecteurs me permettent de soumettre � leur bienveillante attention le texte int�gral de la lettre (RG/ 01/81 du 06 avril 1981) que j�ai adress�e au pr�sident de la Cour des comptes :
�Monsieur le Pr�sident,
J�ai l�honneur de soumettre � votre attention quelques r�flexions que m�inspire ma pr�sence � la Cour des comptes. Lors de votre arriv�e � la Cour des comptes, l�une de vos premi�res t�ches a consist� � modifier la r�partition des attributions entre les chambres de la cour et, � revenir ainsi sur le d�cret n�80-185 du 1er juillet 1980, fixant le nombre des chambres et d�terminant leurs secteurs de comp�tence ( Journal officiel n� 30 du 22 juillet 1980). Votre nouvelle r�partition, � laquelle vous avez voulu conserver un caract�re ��secret confidentiel��, bien que ne reposant sur aucun fondement l�gal, a r�tr�ci tr�s sensiblement les attributions d�autres chambres et a exclu du contr�le, la Pr�sidence de la R�publique et le Premier minist�re. J�ai pu croire que vous r�tabliriez les chambres dans l�ordre et selon les secteurs fix�s par la disposition r�glementaire, sit�t que votre attention aura �t� attir�e sur le caract�re contraire � la loi du 1er mars 1980, de votre r�partition pr�cit�e. Il n�en fut rien, car par la suite, vous avez affirm� que �s�il fallait violer la loi, pour �tre efficace, vous �tiez pr�t � le faire��. Il vous a �t� fait remarquer, au cours de la r�union durant laquelle vous avez tenu ces propos, que si la Cour des comptes a �t� institu�e, c�est pr�cis�ment pour appliquer la loi et rien que la loi. Fort heureusement vous aviez admis le lendemain ou surlendemain �que la loi est plac�e au-dessus de tous et que chacun se doit de l�appliquer�. Prenant acte de votre disposition de respecter la loi, il vous a �t� fait observer, sur votre demande, que certaines stipulations que vous vouliez inclure tant dans l�avant-projet de r�glement int�rieur, que dans l�avant- projet de statut des magistrats de la Cour des comptes, n�avaient pas de fondement l�gal. Vous en aviez convenu sur le moment, puis vous les aviez impos�es dans la derni�re r�daction transmise au secr�tariat g�n�ral du gouvernement (il s�agit notamment de la possibilit� de cr�er des chambres sans limitation ; de l��ventualit� de d�tourner une chambre des t�ches juridictionnelles qui lui ont �t� conf�r�es par la loi et la confiner � des t�ches purement administratives alors que les d�partements techniques se voient confier des attributions qui rel�vent l�galement des formations ; des appellations de conseillers-ma�tres, conseillers-r�f�rendaires emprunt�es ailleurs ; de la discrimination entre candidats par la suppression du concours pour certains d�entre eux, etc.). L�institution du concours, outre qu�elle r�pond au principe de l��gal acc�s des citoyens aux emplois publics, permet d�op�rer la s�lection entre candidats pour ne retenir en d�finitive que ceux qui r�pondent exactement au profil exig�. Car peut-on sinc�rement croire que le prestige de la Cour des comptes se rehausserait par la pr�sence de personnes qui n�apportent ni le savoir (les dipl�mes universitaires), ni l�exp�rience (dans le domaine tr�s technique du contr�le), ni la connaissance de la langue arabe (dont l�usage se g�n�ralise ailleurs) ? Peut-on sinc�rement penser que l�efficience de la Cour des comptes se renforcerait par l�arriv�e de gens dont l��ge lui-m�me serait un obstacle � toute formation ou perfectionnement n�cessaire ? Par ailleurs, vous avez cru devoir prendre diverses d�cisions dont certaines risquent d��tre inapplicables, d�autres pourront l��tre mais au prix de graves cons�quences. Je cite, par exemple, l�obligation que vous imposez � l�ensemble du personnel de prendre leur cong� du 1er au 31 ao�t et ce , en raison de la fermeture de toute la cour (comme si un service public pouvait fermer ses portes !). Je cite �galement, la vaccination contre la grippe que vous imposez � l�ensemble des personnels de la Cour des comptes. �Le premier septembre de chaque ann�e�, avez-vous tenu � pr�ciser (Quid de ceux qui sont allergiques � la vaccination ? Quid aussi de ceux qui refuseraient cette vaccination que n�impose aucun texte l�gal ?). Je cite la surveillance et le contr�le exerc�s sur les magistrats et leurs visiteurs (le courrier est ouvert avant sa remise aux magistrats en violation flagrante du secret de la correspondance que sanctionne justement le code p�nal ; quant aux visiteurs, ils sont tenus de remplir une fiche de renseignements et de d�poser une pi�ce d�identit� qui n�est restitu�e qu�a leur sortie). A propos du courrier qui est �lu�� avant sa remise aux int�ress�s, je vous signale qu�un t�l�gramme officiel exp�di� le 2 avril 1981 par le minist�re du Travail et de la formation professionnelle et m�informant de la r�union du groupe �relations du travail�� fix�e au samedi 4 avril 1981 � 14 h, ne m�a �t� remis par le pr�pos� du bureau d�ordre (?) qu�� 15 h 32 du m�me samedi. A propos des visiteurs qui ne peuvent �tre �que des personnes convoqu�es��, je me dois de souligner qu�il est choquant et m�me humiliant pour un haut fonctionnaire ou un cadre sup�rieur de r�pondre � un v�ritable questionnaire avant d��tre admis � rendre visite � un pr�sident de chambre auquel le lie l�amiti� professionnelle ou chez lequel il esp�re obtenir des conseils sur les m�thodes, les formes et la mani�re d��tablir des documents exig�s par la Cour des comptes.
En effet, parmi les t�ches auxquelles notre institution aurait d� s�atteler imm�diatement, figurent notamment :
1- La d�termination des �seuils� de comp�tence entre la Cour des comptes et les organes auxquels elle confie l�apurement administratif (art. 38 de la loi du 1er mars 1980).
2- La forme et le contenu du rapport g�n�ral destin� � pr�senter les r�sultats des travaux de la Cour des comptes au pr�sident de la R�publique (art. 56 de la m�me loi).
3e) Le programme des interventions de la Cour des comptes (art 26 � 29 de la m�me loi), etc. C�est votre droit, Monsieur le Pr�sident, de prendre des d�cisions qui engagent la cour. Mais je pense que la qualit� de pr�sident de chambre me conf�re celui d�exprimer mon opinion toutes les fois que l�autorit� morale et la cr�dibilit� de la Cour des comptes risquent de s�affaiblir. Veuillez agr�er, Monsieur le Pr�sident de la Cour des comptes, l�expression de mon sinc�re d�vouement au bien public et � la justice.�
Sign� : Cherif Derbal

Que pouvais-je faire, sinon �crire et �crire encore pour me d�marquer d�un personnage issu du m�me s�rail que ceux qui ont accapar� le pouvoir depuis un certain �t� 1962 ?
Ch�rif Derbal, cadre de la nation � la retraite
La 2e partie de ce t�moignage sera publi�e dans �Le Soir Corruption� du lundi 30 janvier 200

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