Périscoop : MEDIA & DEPENDANCES
Mohamed Dorbhan : 1956-1996
Par Abdelmadjid KAOUAH
majidkaouah@yahoo.fr


Il y a des moments fortement emblématiques. Notre retour au Soir d’Algérie, après une infidélité indépendante de notre volonté (comme on disait à la TV de papa), se déroule, à notre confusion, sous moult signes de médiatiques amitiés. Il y a quelques jours, comme vous l’a narré Arezki Metref, dans la bonne ville de Toulouse, se réunissait une cohorte d’amis de l’Algérie en un lieu pittoresque pour se pencher sur son “Kabylie Story”.
D’homériques chroniques parues en feuilleton dans les colonnes du Soir. De ce dernier, il en est question encore à propos d’une douloureuse commémoration et d’un regretté caricaturiste. Et ce avant de développer ce qui devra constituer la substantifique moelle, nous l’espérons, de cette chronique. La commémoration, c’est évidemment celle de l’attentat contre la Maison de la Presse Tahar-Djaout, il y a dix ans, qui a martyrisé, outre passants et riverains, trois journalistes du Soir, sans parler des dégâts matériels. Nous étions à bien des encablures de l’évènement, à l’abri mais happé par “l’exil nationalité idéelle” (“la ghorba” au menu de la sympathique émission “Ça me dit” sur Canal Algérie, dans la soirée du samedi dernier). La distance, sans jeu de mots, sécrète la distanciation qui repère le détail là où, auparavant, la proximité, voire l’adhésion ne rendait perceptible que la ligne générale et qui en définitive n’est qu’une “illusion d’optique”. Je ne dirai pas nous vivons dans un “village global”, cela fait aujourd’hui cliché. Par raccourci, je parlerai de civilisation du “mail”, ce mot de vieux français (qui signifiait malle qui servait à transporter le courrier) intercepté, revu et corrigé par les descendants de Shakespeare — sur lequel nous reviendrons plus loin. Le caricaturiste n’est autre que le regretté Mohamed Dorbhan. C’est ainsi qu’il m’est parvenu en Garonnie un message d’Alger m’annonçant qu’un hommage était donné à la nouvelle galerie du Noun (salut Sénac !) au caricaturiste évoqué plus haut. Il s’agit de Mohamed Dorbhan qui, outre ce talent, en déclinait tant d’autres : la peinture, l’art de la chronique (Cf. son Bloc-notes qu’il signait s céans) ... et des aptitudes de littérateur qui restent méconnues. Dans la plaquette publiée l’année dernière, un ami témoignait de l’existence “d’un roman inédit dont le personnage principal était un inspecteur de police, un frère hélas encore méconnu de l’inspecteur Tahar et du commissaire Llob de Yasmina Khadra, sans parler de son incursion-éclair dans le quatrième art avec l’écriture d’une pièce où il pourfendait les maires indignes de l’époque” (Améziane Ferhani). La caricature, quelque temps auparavant, il avait cessé de la taquiner, “lucide et même d’une froide lucidité devant l’horreur annoncée. Il l’avait pressentie. Il n’a plus dessiné. Comme si son œuvre s’était achevée en s’accomplissant dans le réel” (Abdelkrim Djilali). Et nous voici enfin parvenus au “Beyt el gassid”, les caricatures “vikings” parues dans un royaume donné comme “pourri” dans une pièce de théâtre de William Shakespeare (laquelle ? Une question à poser dans une énième mouture arabophone de “Questions pour un champion”). Ce dernier est lui-même objet de suspicion rétroactive : des relents d’antisémitisme ont été décelés dans son Marchand de Venise. A ce propos, un grand metteur en scène, Peter Brook, a déclaré : “Je ne la monterai jamais tant qu’il y aura un antisémite au monde.” Avec Othello ou le Maure de Venise, étranglant, par jalousie, la belle Desdémona, il n’est pas exempt d’arabophobie rétrospective, ou pour le moins d’antiféminisme, en attendant qu’il soit un jour prochain qualifié de perfide homophobe. On trouvera bien des preuves d’une telle sournoiserie dans une œuvre sans pareille. Mais Shakespeare a-t-il vraiment existé ? Deux frères ennemis, enfants d’un même Prophète, Abraham, Sidna Ibrahim El-Khallil, lesquels n’en finissent pas de défrayer la chronique pour une question où le seul champion, selon une lecture médiatique consensuelle, reste Dame la mort. Au moins depuis Oslo, la capitale norvégienne où furent négociés secrètement les accords de paix entre l’OLP et Israël et dont on ne retrouve pas, paraît-il, les actes pour cause de dispersion. Dame la Mort, représentée en des temps moyenâgeux, dans une sorte de caricature avant la lettre, avec une immense “faulx”. Le genre suppose avant tout le sens de la dérision, de l’humour. Mais ainsi qu’un maître ès satires, Pierre Desproges, l’affirmait en un bel aphorisme : “On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui”... C’est pour cela certainement que la publication norvégienne a présenté ses excuses dans des colonnes de presse algériennes. Nous avouons avoir souri dimanche matin très tôt en écoutant la revue de presse d’une radio hexagonale qu’un hebdomadaire marocain, Tel Quel (Bonjour Sollers et sa “France moisie”) s’interrogeait pourquoi ne pouvait-on pas représenter le Prophète, Sidna Mohamed ? La réponse idoine est, bien entendu, de la compétence des docteurs de la foi. Pour notre part, nous nous posons simplement la question si nos confrères marocains caricaturent à tout-va le jeune souverain marocain, si apprécié par les médias européens pour ses sages réformes démocratiques auxquelles il ajoutera prochainement, sans doute, le dépérissement du baisemain après le refus du harem. (qui valut quelques gênes, sauf erreur, qui est humaine, à des confrères du royaume chérifien...). Sans parler de leurs honorables homologues maghrébins et républicains. Ce que je sais, en revanche, de source concordante, c’est que Dilem, en dépit de tous ses dilemmes judiciaires, caricature allègrement les autorités civiles et militaires, exhortées du temps du parti unique (aujourd’hui, nous ne sommes plus dans la confidence) dans les ordres de mission à apporter leurs concours au journaliste accrédité par leurs organes (fort peu nombreux au demeurant et partant peu encombrants). Lecteur, tu l’auras compris, sans peine, dans cette chronique, il s’agira de médias et de leurs connexions multiples, en somme des dépendances, au sens étymologique : bâtiments annexes d’un château. Nous sommes toujours dans le jargon journalistique. Ne parle-t-on pas de “bâti” d’une page de journal ? Sans eux, il n’y aurait ni littérature, ni théâtre, ni musiques, ni arts plastiques et encore moins de communication et de politique. L’univers serait une immense auto-caricature, s’il ne l’est déjà. Alors pour conclure, je vous recommande une caricature de Mohamed Dorbhan qui sera peut-être visible à la galerie du Noun. On y voit un couple enlacé faisant face à un policier, plutôt plein de bonhomie, matraque à la main, se grattant la tête, finalement désarmé par la tendre détermination d’une bulle : “l’Amour Ya Si !” ”L’amour Monsieur !” Mais y-a-t-il encore place pour l’humour ?
A. K.



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