Monde : PREMIERES ELECTIONS LEGISLATIVES LIBRES DANS CETTE EX-REPUBLIQUE SOVIETIQUE
L�Ukraine, ce pays qui revient de loin
De notre envoy� sp�cial, Hassane Zerrouky


Un vent froid sib�rien balaie l�avenue Khreschatyk, l�art�re chic de Kiev et la place Maidan, haut lieu de la r�volution orange, pavois�es d�embl�mes et de petites tentes carr�es aux couleurs des diff�rents partis � l�orange pour le parti du pr�sident Youchtchenko, le blanc pour le parti de la belle et charismatique Ioulia Timochenko et le bleu pour le pro-russe, Viktor Ianoukovitch.
Chaque formation occupe ainsi un espace o� tout ce beau monde cohabite sans incidents. Quant aux autres partis � une quarantaine dont les partis communiste et socialiste � ils font de leur mieux pour �tre visibles politiquement. Ce 26 mars, 37 millions d�Ukrainiens sont appel�s aux urnes pour �lire les 450 d�put�s du Parlement. Que ce soit dans la rue, dans la presse �crite, les radios et les t�l�s, le d�bat fait rage. Sevr�s de d�bats et de libres confrontations durant des d�cennies, les Ukrainiens se passionnent pour cette libert� de parole retrouv�e. Les temps d�antenne attribu�s aux 45 partis en lice sont respect�s sur les cha�nes publiques. Le traitement de l�information est impartial. Aucune formation, ni leader politique, pas m�me le chef de l�Etat, Viktor Youchtchenko qui, pourtant, joue gros dans ces �lections, n�est favoris�. M�me sur les cha�nes priv�es, appartenant pourtant aux oligarques, ces hommes devenus milliardaires en faisant main basse sur les grandes entreprises � la faveur de la chute de l�URSS, l�information n�est pas biais�e. La d�mocratie, la libert� d�expression et de la presse sont totalement respect�es par le pouvoir de Youchtchenko, et ce, bien que ce dernier soit en baisse dans les sondages et que son parti �Notre Ukraine� n�est cr�dit� que de 20% d�intentions de vote loin derri�re le parti de son rival � l��lection pr�sidentielle de d�cembre 2004, Viktor Ianoukovitch, cr�dit� de 30% d�intentions de vote. Ce vent d�mocratique, qui souffle sur cette ancienne r�publique sovi�tique, est le produit de la r�volution orange de d�cembre 2004.
Retour sur la fin de l�ann�e 2004

Durant plus d�un mois, en d�cembre 2004, sur cette belle avenue qui donne sur la place Maidan, plus de 100 000 personnes, majoritairement jeunes, ont occup� les lieux pour d�noncer la victoire annonc�e au second tour mais entach�e de fraudes massives de Viktor Ianoukovitch, le candidat du pouvoir, soutenu par le pr�sident sortant, Leonid Kouchma, et les oligarques. Ainsi est n�e la R�volution orange. Jour et nuit, sous une temp�rature de moins dix degr�s, la foule a occup� l�avenue et la place Maidan, contraignant la Cour supr�me � annuler l��lection pr�sidentielle et � organiser un troisi�me tour le 26 d�cembre, remport� par Viktor Youchtchenko. Aux c�t�s de cet homme, une femme, Ioulia Timochenko, l��g�rie de la R�volution orange. Bien qu�ayant un pass� douteux qu�elle a su faire oublier � elle est multimillionnaire � elle a grandement contribu� � cette victoire. Quoi qu�on en pense de la personnalit� et de la politique de Viktor Youchtchenko, cet homme au visage gr�l�, victime d�une tentative d�empoisonnement foment� par la police politique, il n�en reste pas moins qu�il a mis fin � plus de dix ans d�autoritarisme et de pouvoir maffieux, apr�s que l�Ukraine ait connu les ann�es sombres du stalinisme que l�on ne saurait confondre avec l�id�al socialiste. En moins d�un an et demi, le pr�sident Youchtchenko a r�ussi � ancrer la d�mocratie devenue d�sormais irr�versible. Il a rendu la parole au peuple et mis fin � l�Etat policier et maffieux. Le temps o� journaux, radios et t�l�s �taient � la solde du pouvoir, et o� les journalistes �taient emprisonn�s, voire assassin�s comme M. Gongadze, est r�volu. Et puis, il n�y a pas eu de revanche � l�endroit de ses adversaires de l�ancien pouvoir. Ces derniers ont fini par faire leur mue d�mocratique. A l��vidence, c�est, l�, le principal acquis, et non des moindres, de cette R�volution orange.
Duel � trois, les deux Viktor et Ioulia Timochenko

Certes, un an et demi apr�s la R�volution orange, les aspirations � la libert� et � la d�mocratie que nombre d�Ukrainiens confondent avec le n�o-lib�ralisme ont fini par susciter un m�contentement social grandissant. Les promesses du pouvoir ne sont pas au rendez-vous. Le fait qu�il ait opt� pour une politique du tout-lib�ral dans un contexte de ralentissement de l��conomie, encore tenue par les oligarques, s�est traduit par une aggravation du ch�mage et de la pauvret�. De plus, en faisant miroiter aux Ukrainiens une improbable adh�sion � l�Union europ�enne (UE) et � l�Otan, proposition per�ue par une partie de la population comme la solution � leurs probl�mes, Viktor Youchtchenko a fini par se pi�ger. Car, l�UE qui l�a soutenu pour des raisons g�opolitiques � soustraire l�Ukraine � l�influence de la Russie qui avait pari� sur Ianoukovich � n�a pas l�intention de donner une suite positive � l�adh�sion de l�Ukraine. De plus, la coalition orange qui a remport� l��lection pr�sidentielle a vol� en �clats quand le pr�sident Youchtchenko a limog� en septembre 2005 son Premier ministre, Ioulia Timochenko, qui s��tait oppos�e � l�entourage corrompu du chef de l�Etat et � sa politique du tout-lib�ral : elle est en effet pour le maintien sous la coupe de l�Etat des secteurs �conomiques strat�giques et a refus� un total d�sengagement social de l�Etat. Elle est aujourd�hui dans l�opposition. Son parti, le Bloc Timochenko, est cr�dit� de 17%. Jeudi soir, elle a mis les bouch�es doubles, organisant un grand concert sur la place Maidan, anim� par des groupes de rock, o� prenant la parole, elle a d�nonc� le risque de retour des �bandes� au pouvoir, � savoir Viktor Ianoukovitch. Paradoxalement, c�est � la faveur de ce vent d�mocratique que les adversaires du pr�sident Viktor Youchtchenko effectuent un retour en force sur la sc�ne politique � la faveur des �lections l�gislatives de ce 26 mars. En effet, l�autre Viktor, l�ancien Premier ministre Viktor Ianoukovitch, incarnation des int�r�ts des puissants oligarques et maffieux, notamment du milliardaire Rinat Akhmetov, souffle � volont� sur les erreurs de gestion du chef de l�Etat et les souffrances du petit peuple. Il m�ne une campagne de proximit�, allant au-devant du peuple, lui promettant le retour � la croissance. Assur� de remporter cette �lection, il compte diriger le futur gouvernement. En effet, selon la loi, c�est le Parlement qui d�signe le Premier ministre devant former le gouvernement o� seules les affaires �trang�res et la d�fense rel�vent de la comp�tence du chef de l�Etat. Mais comme il n�est pas assur� d�avoir la majorit� absolue, il devra s�allier � d�autres partis pour former l�ex�cutif. De ce fait, tous les sc�narios sont possibles, y compris une coalition entre les deux Viktor. Autre paradoxe, si l�on peut ainsi le qualifier de ce scrutin l�gislatif, le fait de voir les oligarques figurer en position �ligible sur les principales listes en lice, ce qui, en cas de p�pin, leur garantira l'immunit� parlementaire. Encore une fois, quel que soit le r�sultat de ce scrutin l�gislatif, une chose est s�re : il y aura sans doute des probl�mes, des crises, comme en connaissent les pays d�mocratiques, mais il n�y aura pas de retour en arri�re. La d�mocratie est aujourd�hui un fait irr�versible en Ukraine. Ce pays, qui a donn� naissance � l�auteur de Ma�tre et Marguerite, Mikha�l Boulgakov, au constructeur d�avions, M. Antonov, et � un certain Nikita Khrouchtchev, est comme l�Alg�rie : il ne poss�de aucune tradition d�mocratique.
H. Z.

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