Panorama : ICI MIEUX QUE LA-BAS
A chacun son Dada
Par Arezki Metref
arezkimetref@yahoo.fr


Atout seigneur tout honneur, il y a d'abord ce Dada-l�, le seul, l'unique, l'irrempla�able Idi Amin qu'en son temps, tous les continents nous enviaient, � nous autres, Africains. Une perle rare ! Un joyau ! Ses pitreries de clown parfois illumin� ont �t� comme un interlude tragi-comique dans une histoire politique dans laquelle le dada�sme, cette pratique de la d�rision pr�conis�e par l'autre dada, avait si peu de place.

Dada, le sergent massacreur de Mau Mau pour le compte d'Albion autopropuls� mar�chal d'une arm�e � sa botte, le champion de boxe poids lourds (up) percutant le pays sans gants, a laiss� sans le vouloir une trace aussi tenace, ou presque, que le mouvement artistique �ponyme. Parmi la succession d'inepties � du pur dada�sme po�tique ! � l�gu�es � la post�rit� comme ses �uvres compl�tes, il y a deux pr�ceptes dissonants, qui peuvent encore servir aujourd'hui. Le premier est un de ces adages dont la sagesse africaine pullule : �Le chien qui a un os en bouche ne mord pas.� Ce credo sert au dictateur ougandais de fondement th�orique, si l'on ose dire, � la strat�gie de corruption de la hi�rarchie militaire qui lui permet, un temps, de se pr�munir des coups d'Etat. Quand la corruption ne tient pas ou ne tient plus, Dada rappelle � et c'est l'autre pr�cepte, sur lequel il a, du coup, tous les droits d'auteur � cette v�rit� balistique que nul coureur, nul tireur et, � plus forte raison, nul opposant ne songerait � contester : �Aucun opposant ne court plus vite qu'une balle de fusil.� Corrompre ou rompre, c'est le choix insidieux des dictatures, qui ne supportent pas les r�bellions � la servitude. Corrompre, c'est d'abord encha�ner par le ventre la dignit� � l'indignit�. Rompre, c'est zigouiller, de fait ou symboliquement, les incorruptibles. La strat�gie de Dada a �t� appliqu�e � la lettre par notre dictature sp�cifique, notamment � l'�gard des intellectuels et des artistes. Cet intellectuel �gar� en politique, Andr� Malraux, auteur de La condition humaine et ministre de De Gaulle, aurait pr�dit que le �XXIe si�cle sera religieux ou ne sera pas�. Qu'il l'ait dit ou non, il a de toute fa�on raison, en tout cas pour ce qui nous concerne. Depuis quelque temps, le religieux s'ins�re mine de rien dans le moindre interstice du tissu social. Que le pouvoir g�latineux de la dictature teint�e de mysticisme � deux dinars pi�ce ait rel�ch� les int�gristes pour h�risser encore davantage nos poils d�mocratiques, c'est, quelque part, dans l'ordre des choses. Dans son ordre des choses, du moins ! Que, par la suite, un Ouyahia ou un Zerhouni passe derri�re pour ass�ner qu'il y a une ligne qu'il ne faut pas franchir, c'est dans le m�me ordre des choses. Il y a ceux qui s�ment et il y a ceux qui font semblant de balayer. Chacun son boulot. Et chacun son dada. La lib�ration des int�gristes est scandaleuse, c'est tout vu. Mais ce n'est pas un acte isol�. Elle acc�l�re et parach�ve cette r�islamisation galopante dans laquelle ont �chou� les salafistes des ann�es 1990 et que r�ussit, sans grand effort, le pouvoir actuel gr�ce aux deux mamelles de la strat�gie de Dada. Elle �r�int�gre l'int�grisme�, dirait l'autre. L'adhan � la t�l�, interrompant en boomerang m�me les discours de Bouteflika, les menaces contre les convertis au christianisme que le pouvoir magnanime veut racheter au prix d'une petite omra exon�r�e de toute arri�re-pens�e, le soudain retour d'une religiosit� opportune chez bon nombre de cadres de la nation dont l'aiguille de la boussole donne pour qibla politique le palais d'El-Mouradia, tout cela est de la m�me eau. Ce glissement vers la noyade se d�cline pr�cis�ment par la menace du b�ton ou la promesse de la carotte � Dada, toujours ! � qui tient lieu au pouvoir alg�rien de conduite � tenir. Surtout � l'�gard des intellectuels et des artistes. Comme Dada, qui utilisait l'argent �sain et saint� de la Libye pour acheter de la reconversion, nous en sommes � commettre des incongruit�s du genre de celles que le d�nomm� Mohammed A�ssa, au nom oecum�nique doublement proph�tique, directeur de l'orientation religieuse et de l'enseignement coranique au minist�re des Affaires religieuses et des Wakfs, prof�re en guise d'analyse. Les convertis au christianisme �ont choisi cette religion pour avoir un visa et un travail�, disaitil sans soup�onner qu'une v�rit� involontaire se tapissait dans sa langue de bois. Il y a donc des gens pr�ts � aller aussi loin pour un travail et pour un visa ? S'ils le font, c'est parce qu'ils n'ont pas de travail et que le pays, gr�ce � des directeurs aussi sommaires, n'est vivable qu'avec un visa. Mais le pompon, le voil� : �Le ministre des Affaires religieuses est intervenu pour leur faire b�n�ficier d'une omra aux Lieux Saints de l'Islam.� Si ceux qui demandent un travail et un visa obtiennent une omra, pourquoi ceux qui demandent une omra ne b�n�ficient-il pas d'un travail et d'un visa ? La boucle dada�ste serait ainsi boucl�e. Trois pr�sidents, trois faits, une seule conclusion. Boumediene fait �lire Hassan El Hassani, dit Boubegra, � l'Assembl�e nationale FLN. C'est une fa�on de r�compenser � travers lui tous les artistes pour un engagement patriotique qui est l'autre nom de l'inf�odation � sa politique, voire � sa personne. Pas moins que les autres, Boumediene n'aimait pas les intellectuels � la langue trop libre. La r�cente r�v�lation de Mohammed Sa�d Mazouzi selon laquelle il a enjoint Kateb Yacine de se taire sur plainte d'Ahmed Taleb Ibrahimi n'�tonne que ceux qui n'ont pas bien saisi la nature de la relation, dans un syst�me totalitaire, entre le pouvoir et la m�diation. Chadli Bendjedid emm�ne dans ses bagages Rouiched pour une visite officielle aux Etats-Unis. C'est l� une preuve que, dans sa cour, il n'y a pas que des suivistes dont le talent est l'all�geance. Dans l'entourage, il y a aussi des com�diens de g�nie comme Rouiched. Dont acte. Bouteflika fait plus fort, lui. Plus fort que ses illustres pr�d�cesseurs. Il envoie Zehouania se purifier les os en troquant son titre de Chaba contre celui, plus enviable � l'heure qu'il est, de hadja. Le ra� et le pouvoir, �a semble marcher de concert. Apr�s Mami comme porte-parole de l'�tat de sant� de l'Alg�rie au Val-de- Gr�ce, voil� Zehouania �missaire de la p�nitence nationale sur les Lieux Saints de l'Islam. T'en as, pour ton symbole, l�. Pas � dire ! Il y a l'autre Dada. C'est le nom de ce mouvement artistique r�actif n� en 1916 au c�l�bre cabaret Voltaire de Zurich, en Suisse. Il est cr�� par un groupe cosmopolite d'artistes (les Roumains Marcel Janco et Tristan Tzara, le Fran�ais Hans Arp et les Allemands Hugo Ball et Richard Huelsenbeck) en r�action � l'absurdit� des �valeurs traditionnelles� qui ont pr�cipit�, entre 1914 et 1918, l'Europe dans une �crise de l'Esprit� (Paul Val�ry) et dans �la premi�re grande guerre�. Mouvement de contestation, Dada n'a pas � proprement parler de coh�rence. �Dada naquit d'une r�volte commune � toutes les adolescences�, disait Tzara. C'est un m�lange de doute int�gral, de refus de toute culture, de r�cusation de tout syst�me �tabli et de d�rision �lev�e au rang d'art. Quand Ball et Huelsenbeck d�cident, ce 8 f�vrier 1916, de donner un nom � l'id�e en gestation, ils posent un coupe-papier sur un dictionnaire fran�ais-allemand et c'est le mot Dada qui sort. La r�f�rence au �babillage enfantin� est bienvenue comme est bien trouv� le mot lui-m�me qui ne signifie rien et qui renvoie, selon les fondateurs, au �n�ant absolu� La force du mouvement est telle que le surr�alisme en est issu. Un des concepts force de Dada est le �d�go�t dada�ste� qui, la cr�ation en plus, a quelque chose d'ind�finissable et de commun avec l'une de nos rares exportations hors hydrocarbures, � savoir le �digoutage�. Tzara r�vait de �d�truire les tiroirs du cerveau et ceux de l'organisation sociale�. Les adeptes de notre �digoutage� l'ont fait. Et, m�me, tr�s bien !

P. S. d'ici : La sortie � Alger de Josep Borrell, pr�sident du Parlement europ�en, � propos de Mohamed Benchicou lui vaut une vol�e de bois vert de plusieurs ONG de d�fense des droits de l'homme et de la libert� de la presse. Fatiha Benchicou, bless�e par son raccourci, a eu raison de remettre les pendules � l'heure. Pourquoi les �lus europ�ens ferment- ils les yeux sur les libert�s d�s qu'on franchit la M�diterran�e ? Encore une explication qu'on doit pouvoir trouver chez Dada ou chez Ubu. Oui, chacun son Dada.
A. M.

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