Panorama : A FONDS PERDUS Des kiosques num�riques pour une presse en sursis ? Par Ammar Belhimer [email protected]
Le directeur de la r�daction du Wall Street Journal Europe pr�sentait
r�cemment la nouvelle version du quotidien dans les colonnes de Lib�ration.
La r�volution qu'il annonce tient au d�placement du centre de gravit� de son
quotidien du papier vers le web : "Nous avons d�cid� d'offrir une sorte de
package : d'une part un journal compact, transportable, en ad�quation avec
les besoins de lecteurs press�s, d'autre part notre �dition Internet.� Et de
pr�ciser : "L'id�e est d'inciter les lecteurs de la version papier � se
rendre sur le Web, en renfor�ant les liens entre papier et Internet.�
Bien
que moins menac�e que les quotidiens par les m�dias en ligne, la presse
magazine s'appr�te, elle aussi, � lancer des kiosques num�riques sur
Internet. Aux Etats-Unis, Elle Girl(l'�dition am�ricaine du magazine f�minin
fran�ais) vient d'abandonner carr�ment la diffusion papier au profit du
kiosque �lectronique. Lanc� il y a cinq ans, tir� � plus de 600 000
exemplaires et pourtant �pargn� par la baisse des revenus publicitaires,
Elle Girlmagazine sera diffus� uniquement sur Internet et sur les t�l�phones
portables, deux nouveaux m�dias pris�s par ses lectrices. Jusque-l� peu
pr�sente sur Internet, la presse magazine fran�aise s'appr�te ainsi � suivre
l'exemple de la presse am�ricaine en ouvrant des kiosques num�riques pour se
diffuser en ligne. Le r�flexe hebdomadaire conduisant m�caniquement la
lectrice � son kiosque habituel du quartier laissera place au t�l�chargement
direct d'une version �lectronique, archiv�e en format PDF* sur son disque
dur et prot�g�e par des DRAM** qui en limiteront l'�change et la copie.
L'achat se fera � l'unit� ou par abonnement. Cette formule gagnera la France
d�s cette semaine. Hachette Filipacchi Media, leader mondial de la presse
magazine, avec plus de 260 titres, dont Elle, Premi�re et Paris Match,
�tendra � l'Hexagone ce nouveau canal de distribution. Cyber Press
Publishing lui embo�tera le pas peu de temps apr�s. L'�diteur des magazines
Cin� Live ou Rolling Stones esp�re �toucher de fa�on encore plus pertinente
[sa] cible des 18/25 ans� avec, en prime, l'ambition d'accueillir d'autres
magazines �notamment internationaux� pour constituer un r�seau de
distribution num�rique. Parce qu'elle n'est pas tributaire d'une actualit�
vite p�rissable et obsol�te, et qu'elle est moins expos�e � la concurrence
des sites d'information et des blogs, la presse magazine a pourtant mieux
r�sist� � la concurrence d'Internet que les quotidiens avec une diffusion
stable (+0,2%) en 2005. Les ventes de l'�dition papier des magazines doivent
leur survie � l'existence de sites reprenant quelques articles du num�ro en
cours auxquels se greffent des services interactifs annexes. Import�e des
Etats-Unis, la diffusion par Internet rev�t donc aujourd'hui une importance
majeure pour les �diteurs de presse, puisqu'elle permet de d�gager des
�conomies substantielles en r�duisant les co�ts d'impression et de
distribution, tout en se rapprochant d'un public qui tend � d�laisser la
presse �crite avec un mod�le de diffusion payant. La presse quotidienne
vient de faire l'objet d'un diagnostic mitig�, voire ambigu, mais
incontournable pour saisir les enjeux et les d�veloppements qu'elle pourrait
conna�tre. Une r�cente �tude de l' American Journalism Review � num�ro de
juin-juillet 2006 (S'adapter ou mourir, "Adapt or Die"), recueillie sur le
site de cette publication et sommairement traduite sur Google, fournit un
bon aper�u des strat�gies des quotidiens am�ricains pour s'adapter et
survivre � l'�re num�rique. Certains le disent d�j� tout bas, la presse
papier vit ses derni�res ann�es. Une presse tout occup�e � r�duire ses co�ts
de production alors que son audience se disperse, que la quincaillerie et
les gadgets de bazar engorgent ses r�seaux de distribution. Le constat est
rude, la pr�diction dite r�aliste et prudente. Pendant des ann�es, les
journaux ont trait� l'innovation comme une visite chez le dentiste � une
torture � supporter, constate l' American Journalism Review. Outre la
couleur, les journaux ont r�tr�ci les histoires dans l'espoir d'attirer des
jeunes qui n'aiment pas lire. Aujourd'hui, les co�ts de papier journal
augmentent ; la publicit� de d�tail, d'automobile et de film s'effondre. Le
papier est cher � acheter, � imprimer et � livrer. C'est pourquoi les
journaux commencent � voir dans l'Internet une plate-forme centrale
d'avenir. La perspective est peut-�tre lointaine, mais elle est n�anmoins
cr�dible. La preuve : en 2005, la publicit� sur Internet avait atteint deux
milliards de dollars pour la premi�re fois, marquant une augmentation de 31
pour cent de plus qu'en 2004. Les visiteurs individuels aux sites Web de
journaux se sont multipli�s de 21 pour cent de janvier 2005 � d�cembre 2005.
Les dix derni�res ann�es ont �t� marqu�es par une croissance ininterrompue
des annonces en ligne, et les dix prochaines seront d�cisives pour voir si
les �diteurs peuvent �largir cette base d'annonces et transformer leurs
sites Internet en entreprises viables. Il ne s'agit ici que de la publicit�
destin�e aux sites des journaux. Ailleurs, elle est l'apanage des trois
premiers moteurs de recherche que sont MSN, Google et Yahoo. T�l�phonie sur
Internet, service de cartographie interactive, messagerie instantan�e, bo�te
aux lettres �lectronique, blogs... Depuis deux ans, Google multiplie les
nouvelles offres de diversification qui lui ont co�t� quelque 800 millions
de dollars d'investissement en 2005. Ces services plus ou moins innovants
attirent les usagers, contribuent � prolonger leur s�jour sur les pages avec
des liens sponsoris�s et font exploser les revenus tir�s de la publicit� en
ligne. Ce mod�le est d'une efficacit� redoutable tant Google progresse dans
le ciblage de client�le pour les annonceurs publicitaires. Avantage
d�terminant du "premier entrant", dont il est � craindre qu'il parvienne �
"ass�cher" la concurrence. Au premier rang du commerce �lectronique par
l'importance des montants en jeu, se trouvent les �changes entre entreprises
(Business to Business, ou BtoB). Les places de march� �lectroniques, lieux
des transactions entre fournisseurs et entreprises clientes, se cr�ent � un
rythme rapide et concernent de nombreux secteurs �conomiques. S'agissant du
commerce �lectronique � destination des particuliers (Business to
Consumers,
ou BtoC), la demande est encore fortement contrainte par la fiabilit� des
paiements, ou le respect de la vie priv�e, et l'offre est actuellement en
pleine (re) composition. N�anmoins, la vente en ligne semble �tre
particuli�rement adapt�e pour certains biens, comme les produits
immat�riels, ou certains achats r�p�titifs. La veille scientifique engag�e
sur ce th�me par les autorit�s de concurrence a d�bouch� sur de nombreuses
concertations internationales. Favorables au d�veloppement du commerce
�lectronique d�s lors qu'il augmente l'efficacit� des relations entre
entreprises dans le BtoB, en r�duisant les co�ts associ�s aux transactions,
ou, pour le BtoC, d�s lors qu'il permet d'accro�tre la concurrence entre
entreprises et de satisfaire les consommateurs en augmentant leurs
possibilit�s de choix, les autorit�s de la concurrence n'en sont pas moins
attentives aux formes que pourraient prendre d'�ventuels comportements
anticoncurrentiels dans ce secteur. Dans ce contexte, la presse doit faire
face � un double d�fi : maintenir sa part de march� publicitaire, d�velopper
sa pr�sence sur ce nouveau moyen d'acc�s � l'information et entrevoir les
synergies ou les conversions n�cessaires � sa survie. Les adaptations
qu'elle a timidement entreprises pour y parvenir paraissent insuffisantes
aux dires des experts anglo-saxons en communication qui soulignent que
l'industrie de la presse montre les signes classiques d'une industrie
�secou�e par des changements sismiques�. L'un d'entre eux a �t� jusqu'�
comparer �la situation f�cheuse des journaux� � l'�viction de la r�gle �
calcul : �Beaucoup de fabricants de r�gles � calcul ont pens� � tort que les
gens ont voulu des r�gles � calcul au lieu des calculs. Ils ont �t� �limin�s
pratiquement en une nuit par les calculatrices �lectroniques. � La r�action
initiale des journaux au Web avait un c�t� philanthropique et tardif.
Beaucoup d'entre eux s'enthousiasment pour les nouvelles options audio et
visuelles de leurs Web, les forums, l'information en continu et j'en passe.
Les strat�gies actuelles mettent en avant la participation des lecteurs et
l'interactivit�, l'h�bergement des blogs, etc, qui sont autant de pi�ces
d'un dispositif de fid�lisation faussement associ� � un communautarisme et �
une d�mocratisation que le mod�le chinois n'arr�te pas de d�mentir. Dans
l'ensemble les premiers consensus qui se dessinent � partir de l'exp�rience
am�ricaine plaident pour un engagement qui abandonne le papier comme centre
de gravit� de la production �ditoriale et opte sans retenue pour une
distribution multiplateforme, avec une priorit� aux t�l�phones mobiles. Le
fil de d�p�ches d'un quotidien ne suffit plus � soutenir le mod�le
�conomique mais devient la pi�ce centrale d'un ensemble de services
fid�lisants et de contenus attractifs et personnalis�s fa�on portfolio. Les
�diteurs ne doivent pas pour autant perdre leur �me. Ils doivent r�aliser
que l'Internet est un support distinct, et le journal a besoin d'un ensemble
de caract�ristiques qui lui sont propres et qu'on ne peut pas retrouver en
ligne. Il est conseill� que les journaux devraient commencer par �se
d�tendre� ou se rassurer, et se rendre compte que les lecteurs pr�f�rent
toujours le papier imprim� pour l'information de proximit� et les nouvelles
locales. La moiti� des personnes aux Etats- Unis lisent toujours un journal
quotidien, et ce nombre ne diminue pas rapidement.
A. B.
*PDF : Proc�d� de distribution en ligne d'un document dont on souhaite
conserver l'apparence imprim�e et/ou interdire toute modification. La
m�thode utilis�e consiste � num�riser dans un fichier num�rique le r�sultat
de l'impression du document original. Les fichiers PDF, cr��s au moyen du
logiciel Acrobat Capture de l'�diteur am�ricain Adobe, reproduisent �
l'identique le document original sous sa forme imprim�e, quel que soit son
contenu et son nombre de pages. Les fonctions du logiciel de lecture,
g�n�ralement coupl� au navigateur Web, autorisent la consultation du
document, son impression ou l'envoi par courrier �lectronique. 30 millions
de logiciels Adobe Acrobat Reader (n�cessaire pour lire les fichiers PDF)
sont install�s � ce jour dans le monde (source : Adobe)
**DRAM (Dynamic Random Access Memory) : composant �lectronique con�u pour
conserver les donn�es en pr�sence de courant �lectrique. Compos�e de
cellules qui stockent le courant �lectrique, la DRAM constitue la m�moire �
court terme de la majorit� des ordinateurs.
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