Actualit�s : NOUVELLE
�Il faut que... je pense que...�


Par Le�la Aslaoui
Comme tous les jeudis soirs, Hocine et Nazim se retrouvent au domicile de l�un ou de l�autre. Le programme est toujours le m�me : une belote accompagn�e d�un th� � la menthe et de g�teaux au miel. Ne croyez pas que ces deux universitaires qui aiment se faire appeler �intellectuels�, ��lite�, n�ont pour seul hobby que les cartes. Leur autre passion est la politique sans risque. A ce jeu-l�, ils sont imbattables.
Confortablement install�s dans leur salon ou celui de leurs amis, ils devisent sur le pays, dressent un �tat des lieux s�v�re, avertissent solennellement que la d�mocratie est en p�ril, font et d�font les gouvernements, les partis politiques, et sont intarissables. Ils p�rorent... p�rorent et savent qu�� l�ext�rieur nul ne peut les entendre jacter. Leurs �pouses ne sont pas en reste et ne sont pas pri�es de se taire. Elles aussi ont des �opinions�. Elles hurlent plus que leurs maris. Ne tentez surtout pas de contredire ce petit quatuor, cela tournerait au pugilat. De quel droit d�ailleurs vous opposeriez-vous � eux ? Seriez-vous plus d�mocrates qu�eux ? Seriez-vous plus savants qu�eux ? Meilleurs observateurs qu�eux ? Excellents politologues comme eux ? Certainement pas. Alors �coutez-les p�rorer cela leur fait tellement plaisir ! Soyez tol�rants face � leur intol�rance. Commentent-ils une marche, un rassemblement, des d�mocrates ? Les voici soucieux d��tablir avec minutie, le listing des pr�sents et des absents. En faisant une apparition publique, les premiers veulent, selon eux, un poste, une fonction. �Des ambitieux sans convictions�, concluent les quatre salonnards. Les seconds sont des l�ches, disent-ils. �Voil� pourquoi les choses n�avancent pas�, ajoute Feriel, la plus agressive des quatre. Le courage et l�h�ro�sme sont leurs choses � eux. Eux qui ont d�cid� depuis fort longtemps de demeurer bien embusqu�s � la maison. Sans doute est-ce le meilleur endroit pour faire avancer les id�es et la R�publique. C�est de ce poste d�observation que Hocine, Nazim, leurs �pouses et leurs amis, distribuent des notes, des encouragements, des bl�mes � tous ceux qui ne jouent pas parce qu�ils n�en ont pas les moyens ni le temps. Eux ont une foule d�id�es et disent : �Il faut que �a change.� �Il faut que �a bouge�. Leur dites-vous qu�un journaliste est en prison ? Ils r�pondent �que la prison est faite aussi pour accueillir les hommes et les femmes qui ont des convictions et non pas seulement les voleurs et les assassins�. Ils ont r�ponse � tout, puisqu�ils savent qu�eux n�iront jamais en prison pour un d�lit d�opinion. �C�est stupide, disent-ils, de moisir dans une cellule pour qui et pour quoi ?� Lisent-ils des articles de presse ? Les voici journalistes et experts de la plume. �Il n�y a plus d�analyse politique, plus d�esprit critique, cette presse-l�, disent-ils, ne m�rite plus qu�on la lise.� Ils ont parfaitement le droit de dire cela parce que eux n��criront jamais d�articles et ne s�exprimeront jamais publiquement. Hocine comme Nazim, comme tous les bavards de salon, attendent leur heure, leur jour de chance. Etre au bon endroit, au bon moment, ne pas savoir de quoi sera fait demain, ne pas assassiner l�avenir sont leurs devises d�hier, d�aujourd�hui et de demain. Mais ils ne cesseront pas en excellents supporters qu�ils sont, de dire aux rares personnes qui trouvent encore gr�ce � leur yeux : �Il faut dire... il faut s�exprimer, je pense qu�il y aurait lieu de dire plut�t ceci...� Ou encore : �On n�a pas le droit de garder le silence.� Saluant les initiatives ils ne seront jamais des initiateurs et disent toujours : �Nous sommes avec vous.� N�allez pas chercher s�ils sont devant vous ou � vos c�t�s. Ils ne se tiennent m�me pas derri�re vous ! Leur passe-temps favori est de se divertir dans les r�ceptions avec leurs relations et de se d�lecter de ce que font et disent les autres. Eux continuent � dire : �Il est n�cessaire de...� �Il est imp�ratif de...� et gare � ceux qui ne partagent pas leurs id�es ! De quel droit d�ailleurs se hasarderait-on � les contrarier ? Aucun concept, aucune d�finition, aucun terme ne leur �chappent. Ils savent tout et de toute chose. Ils savent tout et ont d�j� tout appris au berceau. Ce sont des surdou�s, des g�nies. Ils p�rorent et prennent soin de profiter de tous les avantages qu�ils peuvent soutirer au syst�me qu�ils disent pourtant d�cadent, putr�fi� et naus�abond. Il faut le leur pardonner parce qu�ils p�rorent... p�rorent. Hocine par exemple et Feriel son �pouse disent qu�ils d�testent les militaires, source de tous les maux selon leur verdict sans appel. Lorsqu�on leur rappelle que leur meilleur ami est g�n�ral, ils r�pondent : �Mais lui ce n�est pas pareil.� N�insistez pas ils ont r�ponse � tout; ce sont des d�batteurs, hors pair des g�nies et les issues de secours n�ont aucun secret pour eux. Les barbus en kamiss sont leurs ennemis et adversaires politiques, disent-ils, mais Hocine et Nazim font d�excellentes affaires avec eux. �Les affaires sont une chose, la politique une autre�, disent-ils. Nazim et sa femme Djamila classent les ministres, les ex-ministres en peureux, courageux, frondeurs, selon leurs propres sympathies et antipathies. Quand arrive la saison estivale, ils se rappellent toujours au bon souvenir de �l�ami� ministre qui leur permettra de profiter des plaisirs de la plage � Club-des-Pins. Le quatuor aime ceux qui ont particip� � la promotion fulgurante de Nazim et Hocine et d�teste ceux qui les ont renvoy�s � la maison. Ce sont leurs seules convictions. Leur �d�mocratie� ob�it ainsi � leurs bons et mauvais souvenirs. Le plus amusant est que celle ��lite� est convaincue qu�elle vous enrichit, qu�elle vous instruit, vous l�ignare, le bleu en politique. C�est v�ritablement un plaisir pour le regard et pour l�esprit que de les voir s�agiter, se tr�mousser, s��nerver, persuad�s qu�ils vous ont chang� et miraculeusement transform� le pays. Dieu qu�ils sont risibles ! Ils sont exigeants, intraitables, tyranniques, lorsqu�il s�agit d�impliquer les autres parce qu�ils savent qu�ils ne s�impliqueront jamais. Vous n�en faites jamais assez avec eux et devez toujours prouver plus. Eux qui p�rorent... Eux qui ont su vivre � l�abri de toutes les temp�tes. Eux les planqu�s d�hier, d�aujourd�hui, de demain. Aux derni�res nouvelles, le quatuor se dit catastroph� par la nomination d�un islamiste � la t�te du gouvernement. Il l�a exprim� haut et fort dans la salle de s�jour de Hocine. Feriel a dit : �Il faut que �a change... Il faut que �a bouge.� Habile, rus�, le quatuor parle, parle sans cesse rappelant ce qu�a dit Gibran Khalil Gibran : �Malheur � la nation dont les hommes raisonnables sont muets, les forts aveugles et les habiles bavards.�
L. A.

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