Actualit�s : Exit la loi sur les hydrocarbures ?
Par Hocine Malti (*)


Enfin ! Dieu merci ! Le pouvoir alg�rien a finalement remis en cause la loi sc�l�rate sur les hydrocarbures adopt�e � la hussarde en avril 2005. Elle �tait pass�e comme une lettre � la poste, dans le silence le plus complet des parlementaires, des �lus beaucoup plus soucieux de leur statut personnel et des privil�ges qui s�y rattachent que du bien-�tre � que dis-je, de la survie � du peuple qu�ils sont cens�s repr�senter. Il faut cependant reconna�tre qu�il y eut quand m�me une exception, celle de Mme Bitat, la seule s�natrice qui ait os� exprimer un avis contraire � la pens�e unique ambiante. Il faut rendre hommage au courage de cette grande dame.
Cette loi avait aussi �t� adopt�e dans le silence de cath�drale de la Centrale syndicale UGTA, cens�e elle aussi d�fendre les int�r�ts des travailleurs. H�las, dans ce cas �galement, les ambitions personnelles des leaders syndicaux, leur souci de continuer � tr�ner aux postes de direction, l�ont emport� sur le devoir qu�ils ont de pr�server l�outil et la ressource qui font vivre le million d�adh�rents et leurs familles, qu�ils se flattent de repr�senter. Quel est cet �v�nement majeur qui est la cause d�une telle volte-face ? Quel est ce grand bouleversement, intervenu en Alg�rie ou dans le monde, qui a fait que l�on s�est rendu compte tout d�un coup, qu�avec une telle loi, le pays allait vers un suicide collectif ? Il y a un peu plus d�un an, l�Alg�rie risquait, nous disait-on, de subir le sort de l�Irak s�il n�adoptait pas cette nouvelle r�glementation. L�ogre am�ricain aurait-il perdu ses crocs depuis ? Selon la presse alg�rienne, le ministre de l�Energie aurait justifi� ce changement de cap par l�augmentation des prix du p�trole, ce qui procure une plus grande aisance financi�re au pays. Du coup, il n�est plus n�cessaire d�attirer par des largesses, qui n�existent nulle part ailleurs au monde, les grandes compagnies p�troli�res mondiales afin qu�elles consentent d�investir des milliards de dollars dans le Sahara alg�rien. Sans cela, elles ne viendraient pas, nous avait-on dit. Le rapport financier du secteur �nergie et mines de l�ann�e 2005, disponible sur le site Internet du minist�re de l�Energie et des Mines, fait ressortir un prix moyen de vente du brut de l�ordre de 55 dollars le baril et d�environ 62 dollars le baril pour ce qui est du condensat. A titre de comparaison, le prix moyen de vente du baril de p�trole, pour l�ann�e en cours, est de 62 dollars. En r�alit�, c�est depuis 2003 que les sp�cialistes pr�disent que le cours du baril de p�trole va grimper nettement au-dessus de ces valeurs et pourrait m�me atteindre le niveau de 100 dollars, dans un avenir pas tr�s lointain. L�OPEP, dont l�Alg�rie est membre, mais aussi l�Agence internationale de l��nergie (AIE), sont convaincues que l�on arrivera tr�s vite � ce palier si les grosses compagnies p�troli�res n�investissent pas massivement dans l�explorationproduction, d�abord et avant tout dans des zones qu�elles contr�lent d�j�. Ce n�est donc pas une soudaine augmentation des prix qui est � l�origine du changement d�attitude du gouvernement alg�rien. On a aussi expliqu� ce revirement par la pugnacit� du ministre de l�Int�rieur, Nourredine Zerhouni, qui aurait �travaill� au corps� ses coll�gues ministres et le pr�sident de la R�publique lui-m�me, jusqu�� les persuader de la n�cessit� de faire marche arri�re. Si tel est le cas, alors bravo M. Zerhouni. Soyez- certain que le peuple alg�rien � et d�abord vos propres enfants et petits-enfants � vous seront �ternellement reconnaissants de les avoir sauv�s d�un effroyable d�sastre. On a aussi dit que le pr�sident v�n�zu�lien Hugo Chavez aurait jou� un r�le tr�s important dans le changement de position du pr�sident alg�rien. C�est fort probable. Dans ce cas-l� aussi, nous dirons merci Monsieur Chavez d�avoir aid� le peuple alg�rien � se r�approprier ses ressources naturelles, vous devez �tre fier de la bonne action que vous avez accomplie, du service immense que vous avez rendu aux Alg�riens et de ce que votre lobbying ait �t� plus efficace que celui de la grande et puissante Am�rique. On murmure �galement � l�int�rieur de l�OPEP que l�Arabie Saoudite n�a pas, non plus, �t� en reste dans ce revirement. Les Saoudiens ont, en effet, �t� stup�faits de d�couvrir que les Alg�riens qui, dans le pass� les avaient si souvent trait�s de cheval de Troie des USA � l�int�rieur de la forteresse de l�OPEP, avaient tout d�un coup baiss� la garde et accord� aux grandes compagnies p�troli�res, am�ricaines en particulier, des avantages inconsid�r�s, des avantages que nul autre pays p�trolier au monde n�avait conc�d�s jusque-l�, allant jusqu�� laisser au partenaire �tranger la propri�t� du sous-sol. Quel pays de contradictions que l�Alg�rie qui n�autorise pas les investisseurs �trangers � devenir propri�taire du lopin de terre sur lequel ils installeraient leurs unit�s industrielles, mais qui conc�de, avec une telle l�g�ret�, les milliers de milliards de dollars de ses ressources �nerg�tiques � ces m�mes investisseurs ! Toujours est-il que les Saoudiens ont fait part � leurs coll�gues alg�riens, dans diff�rents forums et tribunes de l�OPEP, et � tous les niveaux, de leur plus totale d�sapprobation quant � ce franchissement du Rubicon, les accusant d��tre devenus, eux, le v�ritable cheval de Troie de l�oncle Sam. Dans quelle mesure, ce discours de l�Arabie Saoudite a-t-il particip� au changement de position de l�Alg�rie ? Nous ne saurions le dire. Rappelons simplement que l�adage populaire dit que ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivi�res. Heureusement donc qu�il y a eu aussi ce petit ruisseau saoudien ! Heureusement qu�il y a eu �galement cet exemple fourni par la plus grande puissance mondiale, les Etats-Unis, champions toutes cat�gories du lib�ralisme, qui nous ont donn�, au cours de l��t� 2005, une le�on de patriotisme �conomique. La grande Am�rique n�avait, auparavant, pas trop rechign� � c�der le plus grand fabricant au monde d�ordinateurs, la compagnie IBM, � l�entreprise chinoise Lenovo. Quand il s�est, cependant, agi d�ent�riner la vente de la septi�me plus grosse compagnie p�troli�re am�ricaine, l�Union Oil of California (UNOCAL) � la CNOOC chinoise, alors l�, le pr�sident am�ricain et le pr�sident du S�nat ont dit d�une seule voix : �Stop ! Nous ne jouons plus au jeu de la mondialisation ! Changeons en les r�gles, car c�der � des �trangers une activit� aussi strat�gique, que le p�trole, nous ne le ferons pas !� Ils ont finalement accord� la pr�f�rence � l�offre de Texaco, bien qu�elle �tait inf�rieure de deux milliards de dollars � celle des Chinois ! Alors, merci, mille mercis Monsieur Bush de nous avoir montr� le chemin � suivre. Esp�rons seulement que, maintenant que nous vous avons imit� et que nous avons, tout comme vous, chang� nos r�gles du jeu, vous n�allez pas nous faire subir le sort de l�Irak. Certains commentateurs de la presse sp�cialis�e de l�industrie p�troli�re ont invoqu� le prochain r�f�rendum sur la Constitution comme raison probable du changement d�attitude du pr�sident alg�rien. Selon eux, Abdelaziz Bouteflika aurait voulu, par ce geste, s�attirer les bonnes gr�ces des �lecteurs alg�riens. Lui seul peut r�pondre � cette interrogation. Enfin, une question : quel a �t� le r�le de la mafia politico-financi�re dans cet embrouillamini ? Il se dit, dans les milieux d�affaires, qu�� partir du moment o� la loi 05-07 garantissait aux entreprises �trang�res une participation minimum de 70% sur toute parcelle qu�elles convoiteraient, le r�le des parrains alg�riens, ceux qui, depuis tr�s longtemps d�j�, ont fait main basse sur le secteur p�trolier, ceux qui consid�rent ce secteur comme leur propri�t� personnelle, ceux qui ne permettent la participation des soci�t�s lambda ou om�ga que si elles viennent �cracher � leur bassinet�, ces parrains ont vu leurs r�les s�amenuiser consid�rablement, voire dispara�tre totalement. Ils auraient alors, sous le couvert de patriotisme �conomique, men� campagne pour un retour au syst�me qui leur a permis d�introduire en Alg�rie telle ou telle compagnie p�troli�re et accumuler ainsi des fortunes consid�rables. Il n�est pas pour autant question de remercier ces individus dont l�action a de tout temps �t� et continue d��tre n�faste, car tout le monde sait que ce n�est pas par amour de la patrie qu�ils ont agi ainsi. Quant � eux, mis�rables mafiosi, viendra le jour o� l�appareil judiciaire alg�rien sera lib�r� de leur tutelle, le jour o� un juge alg�rien, un Balthaza Garson alg�rien aura le courage de les faire compara�tre � eux, pas des lampistes � devant une cour de justice. Ce jour-l�, le peuple r�cup�rera aussi cette portion de ses richesses qui lui a �t� subtilis�e moyennant un coup de fil, une menace ou une complicit� bien plac�e. Parmi toutes ces causes, quelle est celle qui a eu l�effet d�terminant, celle qui a permis ce retournement spectaculaire de la situation ? Peut-�tre toutes � la fois ? Se pose alors la question de savoir quoi dire aux partenaires �trangers qui attendent comme des fauves, depuis plus d�une ann�e l�entr�e en vigueur de la nouvelle loi, afin de se jeter sur la proie qu�ils ont choisie. Que dire � cette tr�s grande multinationale anglo-saxonne, avec laquelle on n�gocie depuis une ann�e pour l�associer au d�veloppement d�une vingtaine de champs, un projet de quelque deux milliards de dollars, sur lequel on lui a d�j� attribu� 75% de participation ? Invoquer � ces partenaires l��volution des prix du brut durant l�ann�e qui vient de s��couler comme la raison qui a provoqu� une r�vision fondamentale de la politique des hydrocarbures en Alg�rie, c�est faire insulte � leur jugement. Ils ne goberont certainement pas un tel argument, eux qui sont tout comme la Sonatrach d�j� producteurs et vendeurs de p�trole un peu partout dans le monde. Ils savent parfaitement bien � quel prix ils �coulaient le baril de p�trole l�ann�e derni�re et � quel prix ils le vendent aujourd�hui. C�est pourquoi, justifier cette r�vision par l��volution des prix signifierait qu�� la Sonatrach et au minist�re de l�Energie on est totalement ignorant de la chose p�troli�re, ce qui est �videmment incroyable ; ce serait aussi prendre le risque de se retrouver en porte-�-faux avec la r�alit� et compl�tement emp�tr� dans ses propres contradictions. Alors de gr�ce, pas �a ! Il ne faut, par contre, pas h�siter � clamer haut et fort, tout comme les V�n�zu�liens ou les Boliviens, que les hydrocarbures sont propri�t� du peuple qui en dispose comme il l�entend et d�abord et avant tout pour son propre bien-�tre. Il ne faut pas craindre de proclamer, comme l�a si bien fait le pr�sident Bouteflika, que la g�n�ration actuelle a le devoir de s�inqui�ter de l�avenir, de la survie des g�n�rations � venir. Il faut dire aux partenaires �trangers que l�Etat alg�rien n�est pas une �uvre de charit� qui distribue aux multinationales des paquets cadeaux. Il faut leur rappeler que le p�trole est une mati�re strat�gique, de plus en plus rare et qui a par cons�quent un co�t �lev�. Il faut leur r�affirmer que toute entreprise qui voudrait investir dans l�exploitation du p�trole alg�rien est la bienvenue, mais qu�elle devra n�anmoins se soumettre aux m�mes conditions qu�elle conna�t parfaitement bien, qui existent partout ailleurs dans le monde, � savoir celles du partage de production. Il faut �galement bien insister sur le fait que si l�entreprise nationale consent de c�der le r�le d�op�rateur � l�associ� �tranger, elle reste cependant, en vertu du pourcentage de participation, majoritaire qu�elle d�tient et de par son statut d�outil de l�Etat, garante du rythme de production qui correspond aux besoins et int�r�ts du pays. Il s�agit-l� d�une question de souverainet�, non n�gociable. Il n�est pas question de produire au-del� du plafond qui aura �t� fix� par l�Etat, m�me si le gisement concern� est en mesure de produire plus. C�est un langage que les soci�t�s p�troli�res comprennent parfaitement ; ce sont des conditions qu�elles admettent normalement dans leurs pays d�origine. Quand l�agence charg�e de la conservation des gisements de tel ou tel Etat am�ricain ou quand la commission f�d�rale de l��nergie ont d�cid� que la production du gisement X ou que la production nationale ne doivent pas exc�der tel niveau, tout le monde se soumet au quota fix� sans rechigner. Elles risquent probablement de dire �oui, mais ce n�est pas ce que vous nous dites depuis plus d�une ann�e�, auquel cas il faudra leur r�torquer tr�s sereinement que l�Etat qui avait auparavant consid�r� les dispositions de la d�funte loi comme bonnes pour le pays, dispose du droit r�galien de modifier les r�gles du jeu, en raison de nouvelles consid�rations strat�giques. N�est-ce pas ce que font tous les pays du monde qui � circonstances particuli�res adaptent des conditions ou l�gislations particuli�res ? N�est-ce pas ce que fait la grande Am�rique, pays de grande d�mocratie qui, dans la situation particuli�re cr��e au lendemain des attentats du 11 septembre, admet et d�fend contre toute critique l�existence du camp de Guantanamo ? N�est-ce pas une d�cision contraire aux r�gles normalement admises dans une soci�t� ultra-lib�rale qu�a prise le pr�sident Bush, dans le cas de la vente de la compagnie Unocal, cit� plus haut ? Au final, les entreprises en question reconna�tront que si elles ont perdu la partie, c�est parce que leur lobbying n�a pas �t� efficace ou parce qu�elles d�fendaient tout simplement une cause perdue d�avance. Quant � l�Etat alg�rien, il ne doit pas se sentir coupable ; il n�a pas cess� d�approvisionner le march�, il n�a pas ferm� ses vannes face � tel pays ou client, il n�a pas impos� de nouvelles conditions draconiennes � la livraison de son p�trole brut, il n�a donc pas � craindre des repr�sailles �conomiques, politiques ou militaires.
H. M.
(*) Ex-vice pr�sident de la Sonatrach

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