Panorama : KIOSQUE ARABE
Entre la peste et le chol�ra
Par Ahmed HALLI
halliahmed@hotmail.com


Avec la sauvagerie de sa riposte disproportionn�e � un acte de kidnapping sans gloire (1) et, � d�faut de lib�rer ses soldats, Isra�l a r�ussi � faire l'union sacr�e au Liban. Il n'y qu'� voir et � �couter les d�clarations des dirigeants libanais les plus hostiles � l'alliance syro-iranienne au Liban. Comment ne pas s'�mouvoir de la pudeur et de la retenue dont fait preuve un Walid Djoumblatt face � l'agression et � la destruction syst�matique de son pays ? Tout comme le trublion Hassan Nasrallah, le leader druze ne temp�te pas, il ne vocif�re pas comme nous savons si bien le faire � leur place.

Lorsque le chef du Hezbollah d�cr�te que la Liban est le champ de bataille de l'"Ouma", que cela plaise aux Libanais ou non, il r�pond simplement: "D'accord, mais pourquoi ne pas commencer par lib�rer le Golan et pourquoi la Palestine devrait �tre lib�r�e � partir du seul territoire libanais?". Le parlementaire libanais reproche, en fait, au leader du Hezbollah de ne pas avoir consult� ses partenaires du dialogue interlibanais avant son initiative. "Je veux bien mourir mais je voudrais savoir pourquoi?", affirme-t-il � mots couverts. Plus lancinante encore est cette interrogation, teint�e d'ironie cinglante, d'une cons�ur maronite. Elle dit :"Supposons que le Hezbollah gagne sa guerre contre Isra�l et que l'Etat sioniste soit an�anti (2). Quel sont les plans du Hezbollah pour le Liban? ". Autrement dit, quel sera le sort des minorit�s religieuses dans un syst�me politique domin� par le fondamentalisme chiite? (3). Nous n'en sommes pas encore l� et, pour l'instant, les Libanais se renvoient cette litanie, �crite pour Magda Roumi par Nizar Qabani, le po�te amoureux qui aima � Beyrouth et aima Beyrouth: "Nous reconnaissons devant Dieu, le Juste, que nous te jalousions, que ta beaut� nous agressait, que nous n'avons jamais �t� reconnaissants ni cl�ments � ton �gard, que nous ne t'avons ni compris ni excus�, que nous t'avons offert, � la place de la rose, la lame du couteau, nous t'avons bless� et �prouv�, nous t'avons incendi� et fait pleurer. (Nous reconnaissons) que nous t'avons fait porter, O Beyrouth, le poids de nos p�ch�s, Beyrouth, ma�tresse du monde, Beyrouth, sans toi, aucune vie ne peut nous combler. Maintenant, nous savons que tes racines sont profond�ment implant�es en nous. Aujourd'hui, nous mesurons l'�tendue (du mal) que nous avons fait de nos propres mains". Jalousie, voil� le ma�tre mot qui peut expliquer, � lui seul, les malheurs du Liban, seul Etat multiconfessionnel et d�mocratique du Moyen-Orient et condamn�, par cons�quent, aux complots permanents. Pour les tyrans et les soci�t�s clo�tr�es arabes, le Liban est un d�fi permanent, celui de l'intelligence � la b�tise. Loin de ressentir un sentiment quelconque de culpabilit�, comme l'y invite Qabani, le Hezbollah minimise l'�tendue des d�g�ts. Son chef annonce l'arriv�e d'un argent "pur" pour reconstruire les infrastructures d�truites par les bombardements sionistes. Comme par provocation, la cha�ne de t�l�vision du Hezbollah Al- Manar appelle les Libanais � la col�re. Cependant, c'est la rue arabe qui a entendu l'appel, � en croire l'in�narrable secr�taire g�n�ral de la Ligue arabe, Amr Moussa. Selon des indiscr�tions recueillies par le quotidien de Beyrouth Al-Nahar, aupr�s de la derni�re r�union minist�rielle de la Ligue, l'�mir du Qatar se serait converti, lui aussi, au concept de "rue arabe". En somme, il aurait jou� les "va-t-en-guerre". Il en a les moyens et il ne s'en prive pas. Le propri�taire de la cha�ne Al-Djazira (4), adoss� � la plus importante base militaire am�ricaine, s'est d'ailleurs fait remonter les bretelles par ses amis saoudiens. Pour ces derniers, seule la "rue arabe" qui va � La Mecque, qui manifeste, au signal, contre les caricatures danoises, est digne d'int�r�t. La "rue arabe" qui applique, spontan�ment et sans ordres, les instructions et les recommandations du s�rail wahhabite ne saurait exister. Elle est donc nulle et non avenue. Grosse col�re saoudienne, donc, contre le "porteur de bois" (5) qatari dont ses traditionnels alli�s d�noncent la duplicit�. Toutefois, notre confr�re �gyptien Nabil Charef Eddine estime dans le magazine Elaph que la "rue arabe" n'est pas � d�daigner m�me si elle est sous influence. Cette influence qui fait des masses arabes une force de man�uvre pour les groupes radicaux est la cons�quence de la "guerre des fondamentalismes" qui s�vit au Moyen-Orient. Fondamentalisme sunnite contre fondamentalisme chiite en Irak, fondamentalisme sunnite avec le Hamas en guerre contre le fondamentalisme de la droite juive. La droite juive �tant elle-m�me confront�e au fondamentalisme chiite au Liban. Le chroniqueur �gyptien dit comprendre que la corruption et la mauvaise gestion poussent les peuples � rejeter leurs dirigeants. Mais il ne comprend pas que les peuples puissent pousser l'aveuglement jusqu'� �pouser des th�ses extr�mistes qui vont � l'encontre de leurs int�r�ts � moyen et � long terme. Nabil Charef Eddine, opposant d�clar� au r�gime Moubarak, n'admet pas que la "rue �gyptienne" s'enflamme contre les crimes d'Isra�l et reste passive devant les atteintes aux droits humains commises dans le pays. La r�alit�, constate le journaliste, c'est que le monde arabe est d�sormais impuissant face aux courants fondamentalistes. Il se soumet � leurs provocations et surench�rit � leur discours absurde qui a abdiqu� toute sagesse. C'est l� sans doute le t�moignage le plus probant de l'�chec de tous les projets humanistes et �clair�s face aux kamikazes et � leurs projets qui conduisent les peuples et les nations au chaos. Pour les dirigeants arabes, conclut Nabil Charef Eddine, l'enjeu consiste � g�rer le mal, � cohabiter avec lui et non � lui trouver un rem�de. Pire encore: tous les r�gimes arabes sont en train d'aplanir le terrain pour les courants fondamentalistes". Le danger fondamentaliste peut donc se r�sumer � cette formule du Washington-Post, reprise par Elaph: "Si Isra�l repr�sente la peste pour les Arabes, le Hezbollah est leur chol�ra." Alors, laissons la "rue arabe" s'agiter, secouons-la au besoin pour ne pas �tre secou�s et fredonnons "Ya Beyrouth". En attendant que le phoenix libanais renaisse de ses cendres, une perspective aussi illusoire que la prochaine disparition d'Isra�l.
A. H.

(1) On peut difficilement croire que le kidnapping de deux ou trois soldats puisse constituer une action d'�clat dans cette r�gion o� l'adversaire n'attend qu'un pr�texte, acceptable pour la communaut� internationale, afin de lancer une guerre totale contre un pays d�sarm�.
(2) C'est �videmment le r�ve du pr�sident iranien. Alors que le Liban croule sous les bombes, il r�p�te que la seule solution c'est la disparition d'Isra�l. Gr�ce � lui, le Liban dispara�tra peut-�tre avant.
(3) Pour le savoir, notre cons�ur n'a qu'� consulter le mot d'ordre du Hezbollah qui proclame que "les ul�mas sont les h�ritiers des proph�tes". Les ul�mas, dans notre nouveau syst�me de pens�e, ce sont les chefs politico-religieux. Le slogan a fait flor�s � Alger, aujourd'hui toute personne qui monte au "minbar" est susceptible de revendiquer l'h�ritage des proph�tes. Et quand on a l'h�ritage.
(4) Comme par hasard, Al-Djazira a �t� la seule cha�ne arabe � obtenir une interview de Hassan Nasrallah apr�s une semaine de bombardements isra�liens.
(5) Allusion d'un journal saoudien � la femme de Abou Lahab, vou�e � la g�henne pour avoir aliment� le brasier que son mari avait allum� sur le passage du Proph�te (Verset CXI).

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