Panorama : ICI MIEUX QUE LA-BAS
Th��tralisation des utopies
Par Arezki Metref
arezkimetref@yahoo.fr


�Nous allons bien, et vous ? � : c'est par cette question courageuse, g�n�reuse, emplie de cette dignit� qui fait la force des opprim�s, que commence une lettre adress�e, le 21 juillet dernier, � l'opinion publique par un groupe d'intellectuels libanais. On ne l'a pas lue dans les grands journaux, ni entendue � la radio. Personne, � la t�l�, n'en a parl�. Mais, miracle du Web, le courriel circule partout. S�r qu'avec la toile, on ne peut tenir les choses sous le boisseau.

Des t�moignages de Ghaza et du Sud-Liban sont d�pos�s, chaque jour, dans la bo�te aux lettres par ce providentiel facteur invisible qui emp�che que seuls les puissants serinent leur version. L'info de papa, c'est termin�. Le briefing �tat-majorien comme parole d'�vangile, c'est tintin, et c'est tant mieux. Que disent d'autres, dans cette lettre �crite de sous un tapis de bombes, ces intellectuels qui ne veulent pas que leur parole soit assourdie par les m�gabombes isra�liennes d�truisant leur pays et par les roquettes �hezbollahies� ? Non, ils ne citent pas ce vieux proverbe africain qui constate que �quand deux �l�phants se battent, c'est la terre qui souffre� et que, en l'occurrence, la terre, c'est le Liban, leur pays martyr. Justement, ils disent qu'ils ne savent que dire �quand les mots sont kidnapp�s et ne servent plus la pens�e, mais la force�. Pens�e ? Force ! Ils disent qu'ils ne savent : �Que dire quand les tribuns, les n�tres, les v�tres, les autres, s'approprient le langage pour marchander le prix de la guerre et de la paix � des tarifs prohibitifs?�. Ils ajoutent encore, un peu plus loin, la m�me lancinante interrogation : �Que dire quand les Etats arabes mendient les "bons points" aupr�s de l'Occident et jouent "les animaux malades de la peste" en criant "haro" sur le baudet chiite? Que dire quand les centaines de civils massacr�s par l'arm�e isra�lienne et les dizaines de milliers de familles de r�fugi�s dont les villages ont �t� ras�s, les quartiers r�sidentiels pilonn�s, deviennent pour les (ir)responsables arabes les victimes (sic) d'un complot syro-iranien? Que dire quand la Syrie et l'Iran deviennent cyniquement les n�gociateurs d'une paix dont ils esp�rent tirer profit?� D�j�, tout est dit, l�. Tout ce que la situation condense de contradictoire transpire de ce coup de gueule. Avec le soutien des puissants du monde, Isra�l attaque le Liban. La seule riposte vient du Hezbollah. Peste et chol�ra, Charybde et Scylla, qui est quoi et qui est qui ? C'est le pi�ge tendu � ceux qui avancent, dans la nuit des extr�mes, les mots en guise de lanterne. Les extr�mes complotent contre la raison. Et qu'y a-t-il encore � dire quand la raison est leur otage ? Il y a � dire. Encore. A redire. Absence d'appel � un cessez-lefeu imm�diat par la conf�rence de Rome, mutisme du Conseil de s�curit� des Nations unies, soutien des Etats-Unis, position ambigu� de l'Europe. �Le monde est dangereux � vivre : non pas tant � cause de ceux qui font le mal, mais � cause de ceux qui regardent et laissent faire�, disait Albert Einstein. Que dit, par exemple, Ha�m Ramon, un proche du Premier ministre isra�lien, Ehud Olmert. Eh bien, il dit tout � trac que �hier, � Rome, nous avons eu de fait la permission du monde � la moiti� en grin�ant des dents l'autre moiti� en donnant sa b�n�diction � � poursuivre notre op�ration, cette guerre, jusqu'� ce que le Hezbollah disparaisse du Liban et qu'il soit d�sarm�. Donc, permission de tuer, permis de tuer. Ce n'est pas tomb� dans l'oreille d'un sourd. Mots de Condoleezza Rice, la tenante du �chaos cr�ateur�, hostile � un cessez-le-feu, parce que de cette guerre, �pisode nouveau d'un feuilleton ancien, surgira le �nouveau Proche-Orient�, souhait� par Bush et ses p�troliers. Mais pourquoi Rice ne veut pas d'un cessez-le-feu ? Parce qu'aucun cessez-le-feu n'a tenu jusque-l�, pardi. Aucun n'a �t� �durable�. L'Europe en g�n�ral, et la France en particulier, l'ont plut�t mauvaise. Si l'agression isra�lienne contre le Liban est venue providentiellement refaire Jacques Chirac dans les sondages ( 11 points, dis !), ce n'est pas encore gagn�. La position fran�aise est pour le moins d�licate. Suivre les Etats-Unis et Isra�l les yeux ferm�s ? Pas ce pi�ge-l�. Le Canard encha�n� rapporte les mots d'un t�l�gramme adress� � Paris par Rochereau de la Sabli�re, chef de la repr�sentation fran�aise aux Nations unies : �L'inaction du Conseil de s�curit� n'est plus gu�re tenable, alors que la France en assume aujourd'hui la pr�sidence. Le Conseil de s�curit� est pris en otage par la d�l�gation am�ricaine, que rend aveugle et sourde son soutien inconditionnel � Isra�l�. Depuis 1947, les Etats-Unis ont toujours soutenu Isra�l mais jamais autant, aussi aveugl�ment que sous Bush. L�, c'est la d�mesure, l'exc�s, l'inquantifiable. Les officiels am�ricains vont plus loin, dans la surench�re, que les Isra�liens eux-m�mes. Que dit Ehud Olmet, le premier ministre isra�lien ? Il dit : �Nous prendrons le temps qu'il faudra pour an�antir le Hezbollah. Un an, si c'est n�cessaire. Et que dit le Hezbollah ? �Que les Isra�liens viennent, on les attend !� Les intellectuels libanais disent, eux, que la Revue "Autrement" (diffus�e par les Editions du Seuil) a refus� de publier dans son num�ro sp�cial sur Beyrouth (No 127 - septembre 2001) un article dont ils donnent cet extrait : �Depuis l'�viction du Mandat fran�ais, Beyrouth est devenue le lieu focal des r�sistances locales et r�gionales, le seul espace arabe o� les causes d�mocratiques, libertaires, nationales ou sociales, peuvent s'exprimer et donner au monde les images transmissibles d'une humanit� r�fractaire. L'ambigu�t� et la contradiction sont au rendez- vous, certes, mais l'enjeu est beaucoup plus important que le politique, il est culturel. Plus qu'une capitale (�conomique ou politique), Beyrouth est une cit�, un lieu de convergence et d'expression, un lieu de th��tralisation des utopies, capable de g�n�rer le tissu social vivant dont la soci�t� civile a besoin. Assi�g�e en 1982 par l'arm�e de Sharon, la r�sistance de Beyrouth a admirablement illustr� l'inf�riorit� de la puissance militaire face � l'�nergie d'une population qui s'identifie � sa ville. Trahie par les chefs et devenue objet de tractations et de marchandages, Beyrouth fut livr�e � l'ennemi. Quelques semaines plus tard, la paix isra�lienne s'abattait sur Beyrouth. Les 1400 victimes de Sabra et Chatila acc�daient � la c�l�brit�, ensevelies avec tous les honneurs m�diatiques dus � leur nombre, prodigu�s h�tivement par un monde � la m�moire courte. � Sans doute, subodorent-ils, cet article a-t-il �t� refus� �parce qu'il d�non�ait la complicit� objective des Etats arabes et d'Isra�l dans le projet de destruction de l'exemple libanais�. Que dire ?
A. M.

P. S. de l�-bas : Les signataires de cette lettre sont Roger Assaf, Issam Bou Khaled, Kamal Chayya , Rawya El Chab, Zeina Saab De Melero, Said Serhan, Fadi el Far, Tarek Atoui, Hagop Der Ghougassian, Abdo Nawar, Hanane Hajj Ali, Abder Rahman Awad, Zeinab Assaf.
P. S. d'ici : Les citations sont longues certes, mais je tiens � ce que les choses soient dites avec les mots de ces intellectuels.

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