Culture : EXCLUSIF
LUCA RADAELLI, DIRECTEUR DU TEATRO-INVITO (MILAN-ITALIE)
Th��tre et imaginaire de l'enfant


Rencontr� lors d�un colloque sur �Le th��tre dans l�imaginaire chez l�enfant�, qui s�est tenu � Boumerd�s, Luca Radaelli, directeur du teatro-Invito de Milan, nous a aimablement accord� cet entretien.

Le Soir d�Alg�rie : Tout d�abord, quelle est la situation de l�enfance en Italie ?
Luca Radaelli :
Dans les pays les plus d�velopp�s, l�enfance est surtout un probl�me d�mographique. L�Italie a le plus bas taux de natalit� en Europe et constitue avec le Japon le plus vieux pays du monde. Je pr�cise que l�Italie est huit fois plus petite que l�Alg�rie mais a le double d�habitants. La d�mographie est un probl�me tr�s s�rieux. Nous sommes six milliards et on n�a pas de ressources pour une croissance continue, comme il n�y a pas beaucoup d�enfants, il faut les g�ter.
Quelle est l�attitude des parents ? Ont-ils le temps de les suivre ?
Il y a une double attitude. Les enfants sont des petits princes mais, ils sont ennuyeux. On remplit leur temps par l��cole, les cours de natation... et personne ne supporte d�avoir du temps libre, qui est le temps de la cr�ativit�. En Italie, il y a presque une voiture pour un habitant. Les rues sont un danger r�el. Il faut un adulte pour accompagner l�enfant. Mais, l�enfant passe beaucoup de temps seul. Il n�a pas souvent des fr�res ou s�urs, des amis avec qui jouer. La meilleure amie de l�enfant est la t�l�vision devant laquelle il passe plus de quatre heures chaque jour. Ceci est, � mon avis, la premi�re source de l�imaginaire enfantin, cette fen�tre sur le monde, c�est de la globalisation !
Aujourd�hui, presque tous les enfants du monde regardent les m�mes programmes...
Assur�ment ! Et ils connaissent les m�mes personnages. Deux gar�ons ou deux filles qui viennent de deux continents peuvent parler de Mickey Mouse ou Bugs Bunny. Ils se comprendront car il ont des r�f�rences culturelles communes. C�est pour cela que la t�l� ne doit aucunement �tre la seule source de formation de nos enfants. Il faut la pr�sence des adultes, le partage des exp�riences, jouer ensemble. D�autre part, les enfants croissent parmi les moyens technologiques. Le t�l�phone portable et l��laborateur �lectronique n�ont pas de secret pour eux ! Play Stations, Computer Games, Game Boy... Au contraire, ils ont de moins en moins de contacts avec la nature, ils connaissent les marques des automobiles mais, ils ne connaissent pas les noms des arbres. Ils savent distinguer les pr�sentateurs des journaux t�l�vis�s mais ils sont incapables de distinguer une ch�vre d�une brebis. Dans cet environnement d�images et de technologie nous avons surtout besoin de quelque chose qui nous rappelle nos origines. Les enfants n�cessitent une attention physique, il faut leur parler, les embrasser.
Est-ce � partir de l� qu�on fait du th��tre ?
Au th��tre, il n�y a pas de filtres technologiques comme au cin�ma ou devant la t�l�. Au th��tre, les enfants vivent une exp�rience collective. Les �motions se propagent, grandissent. Les acteurs sont de vraies personnes vivantes qui partagent leur capacit� de jouer avec le public. L��nergie du conteur se propage, elle est contagieuse. On peut la percevoir sans comprendre parfois les mots. Il y a de l�universel dans l�expression corporelle. La deuxi�me particularit� du th��tre est qu�on ne doit pas �tre r�aliste. Les spectateurs savent que ce qui se passe sur sc�ne n�est pas vrai, mais ils sont l� pour croire. Il faut leur conter une histoire qui leur fasse perdre la notion du temps et de l�espace. C�est de la magie, du r�ve.
Bien avant le jeu d�acteurs, il y avait le conte...
Aujourd�hui, il y a de moins en moins d�adultes qui racontent des histoires aux enfants. Les contes de f�es ont �t� chang�s, oubli�s mais, ils sont toujours fascinants pour les enfants. Le conte a une fonction �ducative irrempla�able. Il faut �tre violent, cruel, effrayant mais tout �a est n�cessaire � l��quilibre psychologique des enfants. Voil� pourquoi le conte de f�e est toujours populaire. En Italie, beaucoup de compagnies de th��tre travaillent sur les classiques tels le Petit Chaperon Rouge, Cendrillon, Hansel et Gretel, le Chat aux bois... La majorit� de ces contes sont de tradition orale. Il n�y a pas de texte fixe, d�finitif. On peut le modifier. Un jeu alors se d�veloppe entre le vieux et le nouveau, la tradition et le changement. La fonction de la tradition orale est de transmettre la m�moire et le conteur est un t�moin.
Faut-il donc n�cessairement une politique culturelle ?

Le cerveau d�un enfant est pareil � une �ponge, il absorbe tout ce que nous lui pr�sentons. De ce fait, nous avons une haute responsabilit�. Les spectacles qu�on produit par le biais de sujets didactiques ne sont pas directement pour les enfants. Il y a toujours un filtre : les parents, les ma�tres, les politiques qui donnent les subventions des festivals. Tous veulent choisir. Et ils choisissent pour les enfants. Je ne veux pas nier la fonction didactique du th��tre mais on semble oublier souvent que le premier but didactique est le th��tre en soi. L�enfant doit apprendre le langage th��tral qui est assez particulier puis les images et les connections fantastiques. Ceci est tr�s diff�rent de l��cole.
Une �uvre suppose toujours plusieurs lectures, quelle est celle qu�en feraient les enfants ?

Habitu�s � la t�l�, les enfants d�cryptent les images beaucoup plus vite que les adultes. Ils donnent un signifi� imm�diat � des personnage symboliques. Par exemple, la belle-m�re d�un conte de f�e est une projection des conflits qu��prouve chaque enfant avec sa m�re. En plus, ils sont animistes, et ils donnent une �me � tout objet. Une mani�re de faire du th��tre pour les enfants, tr�s populaire en Italie, est le jeu avec les objets quotidiens. Une transformation cr�ative qui m�lange les techniques d�acteurs et les techniques de marionnettistes. Enfin, d�munis des pr�jug�s raciaux, sexuels ou religieux, ils r�agissent de mani�re diff�rente � certains stimulis. Pour eux, la relation dramaturgique entre les personnages et la sc�ne est telle que la pauvre berg�re va devenir princesse m�me si elle a l�opposition des soldats, des ministres, du roi et de toute la part masculine du royaume. Ainsi, le spectacle est un prolongement du jeu. Un b�ton man�uvr� sur sc�ne devient un fusil, une toile est devenue une voile, un rameau est une for�t enti�re...
Quelle attitude favorisez-vous pour �ce public de demain� ?

Les enfants ne sont pas seulement le public de demain, ils sont tout � fait le public d�aujourd'hui. C�est pour �a qu�il faut �tre tr�s exigeant du c�t� artistique et ne pas leur pr�senter n�importe quoi. Les com�diens ne s�y int�ressent pas parce qu�ils n�auront pas de critiques dans les journaux et les politiques n�y vont pas s�investir parce que les enfants ne votent pas. Le th��tre pour enfants est un travail difficile, car les enfants n�ont pas les conditionnements des adultes. Ils r�agissent, ils veulent participer, ils montrent tr�s clairement s�ils ont aim� la pi�ce ou pas, ils ont une libre r�action. Leur rire est une expression de leur libert�. Des jeux peuvent exciter leur �nergie cr�ative, ils cr�ent alors un nouveau monde. Les hommes du th��tre doivent �tre leur complice. Il y a des pays o� les enfants vont � la guerre, o� les enfants meurent de faim, o� des enfants absorbent toute sorte de pilules... mais quand un enfant est libre de jouer, de r�ver, de cr�er avec fantaisie, alors nous nous devons tous d��tre plus simples, plus heureux.
Entretien r�alis� par Tayeb Bouamar

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