Panorama : HALTES ESTIVALES
El Bahdja au c�ur
Par Ma�mar FARAH farahmaamar@yahoo.fr


Durant les vacances, quelques chroniques des ann�es pr�c�dentes pour se replonger dans le feu d�une actualit� qui rel�ve d�sormais de l�histoire. Aujourd�hui, un hommage � Alger.

Alger est rest�e dans ma t�te comme une cicatrice profonde qui ne veut pas se refermer, quelque chose de puissant et de rebelle et en m�me temps de doux et de savoureux� Peut-�tre c�est ainsi que se pr�sente l�amour fou, entier, sans calcul ni arri�re- pens�e. Quand je ferme les yeux en pensant � elle, je la red�couvre toute nue dans sa blafarde innocence, fra�che comme au premier jour, courb�e vers la mer, dans un geste d�offrande qui lui sied si bien. Alger, la folle cascade �clatant sur les flancs de la colline, l�imp�tueux torrent d�amour d�versant ses eaux g�n�reuses dans le ventre de la cit� qui grossit de ruelle en ruelle, de quartier en quartier pour porter loin, jusqu�� la plaine d�v�tue, le cri des sans espoir et les chants langoureux des vieilles dames dignes. Alger, mille Casbah dupliqu�es dans la g�om�trie versatile des pentes, mille mausol�es confin�s dans le secret herbeux des jardins ombrag�s, mille filles aux cheveux d�ange combl�es de jasmin et de r�ves, mille po�mes parant les aurores laiteuses des �t�s radieux, mille chansons cha�bies perdues dans les terrasses parfum�es de lilas, mille sourires, mille youyous, mille au revoir clam�s dans la nuit magique de nos vingt ans, au d�tour d�une somme fabuleuse d�utopies abreuv�es par tant d�illusions. Aujourd�hui et ici, loin de l�unique capitale qui m�ensorcelle encore, j�ai du mal � ordonner les souvenirs qui se bousculent dans ma t�te avec une furieuse confusion. Les jours, les mois et les ann�es d�filent comme dans un film et j�ai de la peine � en saisir les dates. Les images s�entrechoquent, se m�langent, s��pousent ou se repoussent. Elles sont d�une rare beaut� car elles portent le sceau de la jeunesse. Y aura-t-il encore une �poque aussi belle que celle des ann�es soixantedix ? Y aura-t-il encore cette vague insouciance des jours heureux, dans la certitude des combats justes, pour un monde meilleur, fraternel, pacifique, �galitaire ? Y aura-til encore cette flamme r�volutionnaire qui poussait en nous comme un deuxi�me c�ur pour irriguer nos certitudes de v�rit�s chaque jour plus fortes. Y aura-t-il encore une autre g�n�ration qui portera aussi haut l�amour du pays, l�engagement pour la construction nationale et les valeurs communes de notre r�volution, en allant jusqu�au bout de ses convictions ? En quittant la ville pour aller pr�ter main forte aux paysans qui voyaient d�barquer les jeunes �tudiantes en jeans et teeshirts dans leurs douars perdus, les jeunes de ma g�n�ration n�ont pas trich� sur l�autel de l�engagement politique. Ils se sont battus avec les armes du savoir pour faire reculer la mis�re, la maladie, les in�galit�s sociales. Comment oublier ce que fut Alger pour des millions de jeunes dans le monde, comment effacer d�un geste de la main tant d�histoire et tant de r�ves communs b�tis sur les ruines d�un imp�rialisme moribond qui mordait la poussi�re dans le Sud-est asiatique ? Comment oublier cet air venu des tr�fonds de nos entrailles ? �Eh Mamia�� (1) Alger la Blanche n��tait pas une simple capitale g�ographique et administrative. C��tait le c�ur palpitant d�une grandiose r�volution qui faisait r�ver les Noirs am�ricains et les jeunes Palestiniens. Alger �tait comme une d�esse ador�e par les peuples de la plan�te car elle symbolisait tout ce qu�il y a de meilleur dans l�humanit� et portait l�espoir d�un monde moins injuste, plus humain. Que s�est-il donc pass� pour que nous soyons � ce point sur la d�fensive et quelle temp�te a souffl� sur ma capitale pour que les vents du doute y s�ment le d�sespoir ? O� sont donc pass�s nos vrais leaders politiques et quelle est cette mal�diction qui s�est abattue sur nous en installant des individus ordinaires et sans g�nie aux postes de commande ? O� sont pass�s nos �conomistes, nos planificateurs, nos cadres comp�tents, nos vrais ministres, nos sp�cialistes, nos po�tes, nos cin�astes, ces femmes et ces hommes qui portaient tr�s haut le g�nie national ? Alger, c��tait cela et plus encore� Mais il n�en reste presque plus rien. Nous sommes devenus l�arri�re-boutique poussi�reuse et crasseuse du monde occidental. Nous ne sommes m�me plus capables de d�noncer l�occupation d�un pays fr�re comme l�Irak, ni la guerre injuste qui y est men�e par les nouveaux imp�rialistes ! Nous ne pouvons plus rien faire, ni rien dire parce que nous avons perdu notre �me ! Nous avons brad� Alger pour quelques dollars, Alger des maquisards et des poseuses de bombes, Alger de Hassiba Ben Bouali et du Petit Omar, Alger des moudjahidine ! Nous avons vendu notre honneur pour quelques gadgets de pacotille ! Notre dignit� a �t� monnay�e au march� des ench�res politiques. J�ai pleur� l�autre fois en revoyant mon Alger. Ce n�est plus la Blanche rebelle que j�avais connue, la ville o� j�ai v�cu plus d�une vingtaine d�ann�es. Tout a chang�, tout a bascul� dans le monde horrible des affaires et des affairistes. La beaut� des jardins, l�irr�elle luminosit� des parcs et des espaces verts ont �t� bouff�es par le b�ton gris�tre et laid, la salet� a �lu domicile partout et il n�y a plus de po�tes, ni de visionnaires pour raconter le temps qui passe aux Alg�rois. Entre le dollar et l�euro, il n�y a plus de place pour le r�ve des gens qui pensent� Triste Alger marqu�e par la m�diocrit� et les abandons� On vous a abandonn�s monuments d�Alger, on vous a abandonn�s honorables vieillards de La Casbah, on vous a abandonn�s sur les marches crasseuses d�une mosqu�e et il ne vous reste que vos mains d�charn�es � tendre pour ramasser l�aum�ne� Bateaux blancs de notre jeunesse, on vous a abandonn�s sur les quais d�sert�s par nos braves dockers et livr�s aux mafias de l�import-export� Salles de cin�ma cach�es dans les ruelles pittoresques, on vous a abandonn�es � votre sort, on vous a livr�es aux rats et aux vents du souvenir� Caf�s de Soustara, Bab Azzoun et El Aquiba, on vous a abandonn�s sans prendre la peine de garder quelques images pour nous rem�morer les temps heureux des petits �noss noss� qu�on sirotait en �coutant El Hadj El Anka, un m�got de Cirta entre les l�vres� Si loin des yeux, si pr�s du c�ur� Alger n�est plus la ville o� j�habite mais elle reste pr�sente chaque jour, chaque nuit dans mes r�ves. Elle vit en moi comme une terrible maladie qui ne gu�rira jamais. A tous ceux qui l�ont aim�e et qui souffrent de cet amour aux quatre coins du monde, je d�die ces quelques vers sortis des tripes :

Alger marine Au fond de la m�moire dans le puits Sans fond de tes yeux humides Dans la mer mouill�e de larmes et Irrigu�e de tant de souvenirs na�t Impr�cise et irr�elle l�id�e de la ville Sous la terre sur la terre dans le c�ur De la verdoyante colline verticale horizontale Belle comme la pudeur riante comme L�Amiraut� sous le soleil de nos vingt Ans de nos esp�rances nos errances Nos croyances v�tues de l�opaline Luminescence de ta Casbah.

Chronique publi�e le 6 novembre 2003
(1) : chant d�di� � la R�volution agraire.

Nombre de lectures :

Format imprimable  Format imprimable

  Options

Format imprimable  Format imprimable