Actualit�s : LE REGARD DE MOHAMED BENCHICOU
Laissez les cadavres refroidir, Monsieur Ouyahia !
soirmben@yahoo.fr


A quoi bon faire la chronologie du malheur ? Elle ne semble plus interpeller sur la vraisemblance quotidienne de la mort. Ni m�me �mouvoir. A quoi bon s'offusquer de l'assassinat ordinaire de huit mis�rables gardes communaux dans ce hameau tout aussi mis�rable de Beni Allal, douar perdu, livr� aux indiff�rences, inconnu diriez-vous, mais que je connais pourtant bien, Beni Allal, village colonial � l'est de ma Miliana natale, o� j'ai toujours retrouv� les senteurs de l'enfance, conserv�es ici comme une offrande � l'�ternit�, le parfum de l'aub�pine et l'odeur du lait de vache.
Ici, avant le GSPC, il y avait les cerisaies. Elles offraient ce go�t ind�finissable de la vie et la douce euphorie des fruits sacr�s. D�sormais, Beni Allal, c'est l'oubli et la mort. Alors nous ne ferons pas, cette semaine encore, la chronologie du malheur. Puisqu'il est ni� officiellement, puisque aucun officiel n'a assist� aux fun�railles de huit p�res de famille sacrifi�s sur l'autel de je ne sais quelle cause. Puisque ces corps cribl�s de balles n'emp�chent pas les marauds de toujours revendiquer le Nobel. Ni les n�crophages du RND de les tuer une seconde fois par l'apologie funeste de la r�conciliation nationale. Puisqu'il est trop tard pour les deuils dans un pays gouvern� par son nombril et qui couvre sa souillure d'un voile d'argent, qui se voit d�j� "carrefour de la culture arabe", entre deux r�les, entre deux g�n�rations d'orphelins. Entre deux indignit�s. Quand une patrie s'accommode de ses cercueils, c'est qu'elle doit r�apprendre � vivre. L'homme est n� lorsque pour la premi�re fois, devant un cadavre, il a chuchot� : pourquoi ?" a dit Andr� Malraux. Alors oui, pourquoi ? De gr�ce, ne traitons pas par la d�sinvolture ou le d�sabusement une question dont nous sommes d�j� comptables devant les prochaines g�n�rations. R�fl�chissons. Analysons. La banalisation de la mort est une glissade tragique vers l'inconnu. Vers quoi nous dirigeons-nous et qui orchestre le sordide tambourin fun�raire ? Trouvons les r�ponses par nous-m�mes, de fa�on autonome, sans nous nous en remettre aux politiciens l�ches et fourbes qui, du RND aux d�mocrates d'appoint, finassent pour exploiter la douleur au profit de leurs mis�rables ambitions politiques. N'attendons plus des professionnels d'une certaine duplicit� r�publicaine qu'ils produisent un discours d'�clairage. Pour avoir applaudi � la charte de la paix de Bouteflika, � une capitulation historique, ils ont non seulement trahi la cause de la R�publique mais sont devenus, d�finitivement, otages de leur forfaiture. �coutons d'ailleurs ce que dit le parti de l'ancien chef de gouvernement au lendemain de la tuerie de Beni Allal : "Le regain du terrorisme observ� ces derni�res semaines ne signifie pas l'�chec de la r�conciliation nationale, il nous faut au contraire la consolider." Laissez au moins refroidir les cadavres, M. Ouyahia ! A une occasion au moins, le courage n'aura pas �t� de votre c�t�. Et c'�tait l'occasion de trop. De gr�ce taisez-vous sur Beni Allal, sur les corps d�chiquet�s des soldats, sur ces d�pouilles anonymes dont vous avez absous les assassins et sur celles qui vont garnir les cimeti�res de leurs tombes. Au risque de froisser un peu plus l'humeur des r�publicains f�lons qui ont fait le lit de la strat�gie p�tainiste, je r�p�terai le mot de Julien Benda : "Nous ne demandons pas au chr�tien de ne point violer la loi chr�tienne ; nous lui demandons, s'il la viole, de savoir qu'il la viole." L'auteur de La trahison des clercs savait de quoi il parlait : un acte de parjure, en religion comme en politique, disqualifie pour toujours son auteur de la d�fense de la foi. Le discours qui consiste � s'indigner du terrorisme tout en l�gitimant la charte de Bouteflika accentue, dans la bouche de son concepteur, l'ampleur du d�shonneur. Silence, messieurs, sur un malheur qui porte d�sormais votre empreinte! Mais alors, et puisqu'il nous faut trouver des explications autonomes et �mancip�es � la r�currence des deuils, par quoi commencer ? Peut-�tre par deux observations capitales pour l'avenir imm�diat : la premi�re nous enseigne que la r�conciliation nationale, depuis six mois, a cess� d'�tre une erreur politique pour devenir franchement une faute antinationale ; la seconde nous apprend que la recrudescence des actes terroristes ira en s'amplifiant, forc�ment, car elle est la strat�gie payante par laquelle les islamistes enfoncent le clou plant� le 29 septembre 2005, par laquelle ils mettent en garde le pouvoir contre toute id�e d'abandonner la politique de r�conciliation, la strat�gie par laquelle, on le voit, ils engrangent des b�n�fices politiques et se positionnent dans la guerre de succession. Le premier constat s'appuie sur des faits alarmants : la plupart des attentats terroristes commis ces derniers mois sont l��uvre de terroristes fra�chement lib�r�s de prison par la gr�ce de la roublardise et de l'imb�cillit�. La charte du pr�sident Bouteflika a reconstitu� les maquis. Ce qu'on craignait s'est finalement produit : dix ann�es de traque et de guerre ont �t� gomm�es d'un seul coup de plume. Dans ses grands moments de lucidit� gaulliste, le pr�sident fran�ais Jacques Chirac a eu cette phrase terrible de simplicit� : "Les grandes d�cisions ne peuvent �tre prises contre un peuple." Bouteflika devrait m�diter la pens�e. Tout est � refaire ? Pas seulement. Eliminer les islamistes arm�s ne servira � rien tant que subsistera la doctrine qui les ressuscite syst�matiquement. Le pays est mis en demeure d'un profond salut r�publicain. Les op�rations militaires resteront inefficaces tant qu'elles ne seront pas soustendues par un authentique projet politique r�publicain. C'est le nouveau d�fi de la soci�t�. En revanche, et c'est le second constat qui s'impose, le terrorisme para�t, lui, bel et bien assis sur un projet politique : le retour des islamistes � la politique d'abord, au pouvoir ensuite. C'est sa cause sacr�e. Celle qui l'entra�nera, pour un temps ou pour longtemps, � endeuiller le pays. En multipliant les attentats meurtriers il ne fait pas que r�affirmer sa pr�sence. Il consolide surtout la politique capitularde de Bouteflika en signifiant � l'opinion qu'elle demeure la seule solution pour arr�ter l'effusion de sang. Continuer � combattre le terrorisme islamiste mais en exigeant une autre politique pour l'Alg�rie : voil� ce qui nous attend.
M. B.

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