
Panorama : LETTRE DE PROVINCE Kebir, le cheval de Troie Par Boubakeur Hamidechi hamidechiboubakeur@yahoo.fr
Sans nul doute que l’exceptionnel recyclage politique d’un Kebir n’est pas fortuit. Il est porteur d’un signal fort destiné aux cercles influents qui, jusque-là, se croyaient indéboulonnables ou du moins incontournables. Il consiste, dans un premier temps, à leur rappeler une vérité première du pouvoir : celle qui postule, par réalisme, qu’à un moment ou à un autre il faut renouveler le compagnonnage afin de se perpétuer. Et, comme seconde leçon, à les mettre en garde contre la tentation d’afficher un quelconque mécontentement et surtout de s’y opposer par la parole ou l’activité. Ainsi, même les fidélités les mieux éprouvées ne sont pas dispensées de la disgrâce quand par «nécessité» l’on se croit autorisé de placarder des allégeances et de promouvoir d’autres réseaux. Le dialogue informel entamé avec l’ex FIS est justement le prélude à un réaménagement des alliances. Il est même envisagé, non pas sous la forme classique des chaises musicales impliquant les appareils en charge de la gouvernance, mais se veut comme une révolution de palais, dès lors que la perspective du régime doit changer de bout en bout. Un radical déplacement des lignes de convergences sur lesquelles s’appuiera le pouvoir à l’avenir. Les deux référendums (concorde et réconciliation), ayant légitimé l’option la plus lourde de ces quinze dernières années, donnent par conséquent des motifs explicites à leur auteur pour recentrer sa stratégie personnelle. Et ce n’est certainement pas cet interlocuteur, revenu de son exil d’Allemagne, qui n’approuvera pas ce souhait encore inavoué. Son adhésion claire au processus bénéficiant à sa famille politique ne l’a-t-il pas rendu également éligible à tous les contacts ? Se rapprochant, en un laps de temps très court, de personnalités susceptibles de jouer aux bons offices, il parvint à sonder la sympathie d’une association des Ulémas en la personne du professeur Chibane, puis à décrypter la perspicacité politicienne d’un Mehri partisan impénitent d’une solution négociée depuis Sant’Egidio. Lundi dernier, il réussira même à conférer avec le chef du gouvernement et à examiner de la manière la plus officielle la possibilité de participer aux futurs scrutins ! Devant une telle habileté à se faire valoir et se faire recevoir, il est naïf de croire qu’El Mouradia n’y soit pour rien. Autrement dit, il est difficile de ne pas voir dans cet activisme la bénédiction du chef de l’Etat qui trouve dans ce travail exploratoire, selon la formule diplomatique, les prémices d’un deal prochain. Judicieusement, tous les épouvantails du FIS que sont les Abassi, Benhadj ou Mezrag furent exclus du casting au profit d’un Kebir qui semble réunir les qualités requises pour opérer la jonction historique entre la base militante de cette mouvance et le pouvoir en place. L’intérêt d’un tel pacte en gestation résiderait alors dans une double légitimation. Pour le pouvoir, celui d’accéder à une assise populaire et pour l’ex-Fis celui de renouer enfin avec le champ politique. Une réciprocité d’intérêts sordides encore inimaginables il y a à peine un an. C’est-à-dire l’ébauche d’un concordat en terre d’Islam qui mettrait en phase un lobby théocratique actif et un Etat aux institutions délabrées. Imagine-t-on par avance les rapports qui s’instaureront et qui sera l’otage de l’autre ? Même si le pire n’est pas certain, rien en tout cas n’indique qu’il n’en sera pas ainsi d’ici à 2007. L’enthousiasme de Belkhadem, quand il confirmait quelques mois auparavant qu’il avait pris personnellement contact avec Kebir, recoupe parfaitement sa promptitude des jours derniers à converser du destin de la République avec un amnistié sans droits politiques attestés. Autant admettre que les conditions actuelles se prêtent idéalement aux tractations, sauf que le marché que conclura en définitive son mentor risque d’être moins avantageux qu’il ne l’espère. Et pour cause, l’on ne domestique pas une mouvance menaçante et armée avec les mêmes injonctions que des appareils de propagande qui ressemblent au Hamas ou au RND. Mieux que quiconque, il sait qu’il joue, avec les «débris fumants» du FIS, une carte dangereuse. Celle-ci constituera son second deal majeur après celui passé avec la hiérarchie militaire en 1999 et reconduit en 2004. Pour mémoire, lorsque le choix se porta sur lui pour succéder à un Zeroual débarqué à «l’insu de son plein gré», on laissa entendre qu’il était le seul à avoir la capacité de fournir le bon emballage politique et plaider la justesse du combat mené ici, auprès des instances internationales. A contrario, lui apparaîtra en total décalage avec les effets d’annonce de sa candidature. En effet n’a-t-il pas évoqué, dès ses premières apparitions en campagne, la «violence d’Etat» ! Sa certitude était établie dès cette époque et se résumait en une critique implacable des armes. Il estimait que même une victoire militaire sur le terrorisme islamiste ne constituait pas en soi une condition nécessaire et suffisante pour aboutir à la paix. Il importe peu, a posteriori, de savoir combien de hiérarques galonnés il chagrina en dévaluant leurs hauts faits d’armes, mais le fait tangible est qu’il parviendra par la suite à imposer sa démarche en se bricolant deux sauf-conduits sortis des urnes. Cinq années après les préliminaires de la concorde et six mois après la promulgation de la charte amnistiante, il a fini par se retrouver en tête-àtête avec un FIS, recomposé certes, mais dont les nouveaux leaders n’ont pas amendé la moindre ligne de leur idéologie. Au mieux, ils s’adaptent tactiquement en faisant de «l’arme de la critique» une «critique des armes». Une nouvelle profession de foi est née qui, disent-ils, réfute la violence et prône la légalité ! Tout un art pour se rendre «fréquentable» politiquement et aider le pouvoir qui les dédouana de la responsabilité unilatérale dans la «guerre civile». De fait, il ne pourra pas se dérober plus longtemps à leurs exigences, dont celle de l’amnistie politique qu’ils revendiquent avec une dialectique imparable parce qu’elle puise ses arguments dans le discours officiel. En tout cas, pas pour plusieurs années, car le temps lui est compté dans la perspective de 2009 et au moment où la «Réconciliation», ellemême, s’essouffle faute de prédicateurs patentés. Mieux qu’un simple éclaireur de sa mouvance, Kebir est désormais le porteur de la bonne parole et à ce titre on le prépare à jouer le rôle catalyseur. Censeur des factions extrémistes qui risquent de faire capoter le travail d’entrisme, il est en train de capitaliser un crédit d’estime suffisant pour qu’il soit encore possible de l’éconduire sans ménagement au premier retournement de situation. Indispensable à son clocher politique, il est désormais craint par le pouvoir qui s’oblige à le préserver avant d’en faire un allié sûr. Car enfin, si l’on n’explique pas tout par le seul entregent du personnage, c’est qu’il y a sûrement la discrète bienveillance qui agit à des fins précises. Celle d’en finir avec le tabou du FIS incarnant le populisme religieux et infâme et dont des pans entiers de la société eurent à souffrir de son agressivité. Mais qui justement stigmatisera aujourd’hui le pouvoir pour sa connivence avec ces représentants du sectarisme et de l’intolérance ? Plus personne sauf cette voix solitaire du CCDR qui diffuse des communiqués comme on jette aléatoirement une bouteille à la mer. Sait-on jamais peutêtre que ces messages de détresse parviendront à des esprits attentifs. Petites initiatives mais néanmoins respectables résistances d’un comité né en opposition à Bouteflika dès septembre 1998 et qui entretient à ce jour cet entêtement vertueux de ne rien céder sur l’essentiel. Le défunt Saout El Arab, son porte flambeau, rêvait d’un déclic identique à celui qui permit à un autre «comité» de se mettre en place dans l’urgence de décembre 1991 afin de conjurer la peste anti-démocratique qui allait confisquer le pays. Il ne souhaitait pas se substituer à la vocation des partis mais s’imaginait seulement jouer un rôle d’observatoire d’alerte. Hélas, peu d’entre eux avaient saisi son utilité dans le champ politique alors qu’il aurait pu acquérir, grâce à leur concours, l’autorité d’un «sismographe » mesurant ponctuellement les atteintes aux libertés et qui viendrait contredire les instruments officiels et la propagande de service. Seule, donc, cette fragile voix s’est émue de la réhabilitation d’un dirigeant du FIS et des desseins du régime. Inquiétant silence au moment où se joue une partie de poker menteur autour de l’interprétation extensive de l’amnistie. Pas une instance morale et pas un parti n’ont daigné pousser leur «holà» face à un marchandage destiné à faire coucher la république avec ses violeurs d’hier. «L’histoire ne repasse jamais les plats», car si en décembre 1991 l’Etat, traîné dans la boue, a pu, miraculeusement, être sauvé il le devait alors à l’existence d’un consensus républicain très fort. Il en est autrement de nos jours après la disparition des pôles structurés et la compromission de certaines chapelles. L’effondrement de la République est déjà dans les esprits avant de passer dans les faits. Alors il ne restera à ce pays qu’à refaire la «révolution ou qu’il aille au diable», comme le proposait avec amertume et colère Karl Marx à nos ancêtres rongés par le sentiment de l’échec. B. H.
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