Les crises politiques sont presque toujours pr�c�d�es d'une p�riode empoisonn�e : la certitude, r�pandue au c�ur m�me du peuple, que le syst�me est corrompu et ses dirigeants �pourris�.
Est-ce le cas de la France d'aujourd'hui ? L'�mergence,
depuis la fin des ann�es 1980, des �affaires� et de scandales politiques
impliquant la droite comme la gauche a renforc� une partie grandissante des
citoyens dans leur d�fiance � l'�gard du personnel et des institutions
politiques. Cela para�t une �vidence. Mais jamais, pourtant, on avait mesur�
cette �sape� qu'exerce sur la d�mocratie le sentiment que ses
repr�sentants sont plus ou moins corrompus. Le Centre d'�tudes de la vie
politique fran�aise (Cevipof) s'y est attel� et a r�alis�, sous la direction
de Pierre Lascoumes, une enqu�te, qu'il a choisi de rendre publique jeudi 19 et
vendredi 20 octobre lors d'un colloque intitul� �D�mocratie et corruption.
Tous corruptibles ?�. Men� sur un �chantillon repr�sentatif de 2 000
personnes et accompagn� d'une enqu�te monographique dans la commune de
B�thune (Pas-de- Calais) � dont le maire, Jacques Mellick, condamn� pour
faux t�moignage dans l'affaire VA-OM a �t� ensuite r��lu �, ce travail
tente de �mettre en relation le syst�me de valeurs des personnes enqu�t�es
et leur conception de la politique avec leurs opinions sur la corruption et les
atteintes � la probit� publique�. Ce qui frappe, tout d'abord, c'est
l'ampleur de la d�fiance. 60% des personnes interrog�es estiment en effet que
�les �lus et les dirigeants politiques sont plut�t corrompus�, alors
qu'elles n'�taient que 38% en 1977 et 55% en 1990. Les avis sont aussi plus
tranch�s qu'il y a trente ans. 30% des sond�s restaient �sans r�ponse� �
cette question, en 1977, ils ne sont que 5% aujourd'hui. Un tiers estiment aussi
qu'il y a plus de corruption qu'auparavant. Plus de deux tiers consid�rent que
le niveau de corruption est �lev� dans les principales institutions politiques
: 77,9% au gouvernement, 69,1% � la pr�sidence de la R�publique et 68% chez
les d�put�s. Le reste de l'enqu�te montre cependant une relation bien plus
ambivalente qu'il n'y para�t sur la d�finition m�me de la corruption. Ainsi,
les jugements diff�rent largement selon que l'on est bien ins�r� ou pas dans
la soci�t�. �Un niveau de dipl�me �lev� et une insertion professionnelle
qualifi�e se traduisent souvent par une moindre perception de la gravit� des
atteintes � la probit�, constatent les chercheurs, et parfois par un niveau de
tol�rance plus �lev�, et cela ind�pendamment de l'orientation politique
gauche-droite.� En somme, plus on est ins�r� dans le syst�me, plus on a
confiance en lui, et plus on est tol�rant � l'�gard de ses d�rapages, les
attribuant � des accidents de parcours qui ne remettent pas en cause l'ensemble
de la repr�sentation d�mocratique. �Se retrouvent plus volontiers dans cette
cat�gorie des �lecteurs de partis de gouvernement, souligne Pierre Lascoumes,
quand les plus �d�fiants� ont tendance � choisir des partis protestataires
ou � rester � distance de la politique.�
La "balance des interets"
Pourtant, d'une fa�on plus g�n�rale, les sond�s ne
r�agissent pas en fonction d'une �chelle de valeurs strictement morale. Ainsi,
elles sont s�v�res sur les �lus en g�n�ral et les comportements de
corruption publique (un ministre faisant payer des frais de campagne par une
entreprise). Mais elles montrent une grande tol�rance pour ce qui rel�ve du
passe-droit utilis� par le citoyen lui-m�me. Deux tiers des sond�s jugent peu
grave d'obtenir d'un �lu une place en cr�che ou d'utiliser ses relations
politiques pour trouver du travail ou un logement � un ami, l'acc�s � un bien
rare (emploi, logement) constituant une justification forte. Il existe par
ailleurs des cas o� la corruption est mieux tol�r�e : si le citoyen a le
sentiment qu'elle r�pond aussi � un int�r�t g�n�ral. Une grande entreprise
qui, pour obtenir le march� de construction d'un tramway, offre au maire une
somme importante est ainsi r�prouv�e � 87,1%. Mais si, en �change du
march�, l'entreprise propose de r�nover le stade municipal, alors la
d�sapprobation baisse � 62,2%. D�s lors, la r��lection de maires pourtant
impliqu�s dans des �affaires� prend tout son sens. L'�tude de cas men�e
� B�thune par Emmanuel Pierru, de l'universit� Lille-II, souligne ainsi ce
que les sociologues am�ricains ont appel� une �balance des int�r�ts�
op�r�e par les citoyens. Ainsi, Jacques Mellick, pourtant condamn� en 1997,
a-t-il pu �tre r��lu au premier tour, lors d'une municipale partielle en
2002. Car les citoyens distinguent � la fois ce qui rel�ve d'une �affaire�
nationale et ce qui rel�ve de leurs int�r�ts locaux. Dans le cas de M.
Mellick, �l'accumulation de loyaut�s h�t�rog�nes�, selon M. Pierru, son
client�lisme seraiton tent� d'ajouter, l'a ainsi prot�g� �lectoralement,
contrebalan�ant les jugements s�v�res de ses concitoyens sur la corruption en
g�n�ral.