Panorama : LETTRE DE PROVINCE
Benhadj et Layada : � au nom des fils
Par Boubakeur Hamidechi hamidechiboubakeur@yahoo.fr


Adeux semaines d�intervalle, ils sont venus, tour � tour, t�moigner devant la presse de certains faits dont ils seraient les victimes. Et ceux-l� sont gravissimes, puisqu�il s�agit de disparitions inexpliqu�es de leurs proches. Des ex-parrains du rapt et du crime politiques rattrap�s par une terreur identique � celle qu�ils avaient, durant une d�cennie, sem�e, cela n�est pas courant m�me dans les meilleurs romans policiers.
D�sormais respectables citoyens quittes de tout reproche, ils exigent des pouvoirs publics que l�on fasse ce qu�il faut pour d�nouer l��nigme des disparus. Leurs rejetons s��tant volatilis�s sans laisser d�adresse, ils soup�onnent � demi-mot les �services� de l�Etat d��tre � l�origine de ces cabales. En la circonstance, il est difficile de leur donner tort en sachant qu�autant dans leurs �familles�, au sens maffieux du vocable, qu�en dehors de celles-ci, ils n�ont pas que des amis. Rien de bien original donc en ce qui concerne la notori�t� qu�ils suscitent sauf que l�on d�couvre, � travers les propos rapport�s par la presse (1), qu�ils sont encore capables de parler avec tendresse et �motion de leur prog�niture. Humains, trop humains ces monstres amnisti�s ! Ils nourrissent les m�mes angoisses que tous les p�res dans une pareille �preuve. Car tout enl�vement est un choc dramatique qui brise les familles. Il affecte le moral bien plus que la perte d�finitive parfois. Eux qui en parlent aujourd�hui eurent pourtant � le pratiquer de sang froid. L�un, nous dit-on, fut escamot� aux aurores � la sortie d�une mosqu�e et l�autre � mi-journ�e d�s son arriv�e � Alger venant de Baraki. A priori, Benhadj et Layada sont bien dans leur r�le de protecteurs paternels qui se font du mouron pour leur prog�niture. Apr�s tout, l�on demeure toujours un g�niteur au c�ur battant m�me si l�on fut un bourreau odieux et sans charit� pour la vie des autres. De m�me que ces jeunes gens, � peine sortis de l�adolescence (18 et 21 ans), ne sont en aucun cas comptables du pass� des p�res. Cependant, il y a dans cette double annonce trop de finasseries dans les propos pour ne pas s�attarder d�abord sur les itin�raires des �victimes� en question. Le trop jeune Abdelkahar Benhadj (18 ans), immerg� dans une religiosit� h�rit�e d�un p�re au statut de commandeur, pouvait bien �fuguer� en direction des maquis afin de se faire valoir de quelques hauts faits d�armes qui le grandiraient dans l�estime du clan. Quant � Adlene Layada, plus m�ture (21ans) et d�j� rompu aux activit�s clandestines � ne fut-il pas la bo�te aux lettres de son p�re alors incarc�r� � Serkadji ? �, sa �d�fection� familiale a peu de r�alit�s d�s lors que l�on apprend qu�il continue � jouer aupr�s de son p�re le r�le de coursier en tous genres. C�est quand m�me son pater Abdelhak qui, de son propre aveu, a admis qu�il l�avait charg� ce jour-l� d�acheminer vers le minist�re de l�Int�rieur une missive confidentielle. Layada, ex-chef des GIA, en relation �pistolaire avec le premier flic de la R�publique : voil� qui pourrait r�jouir tous les amateurs de romans policiers si seulement l�auteur de la lettre ne s��tait pas vite r�tract� en minimisant le contenu de celle-ci. Il s�agirait, selon lui, d�une modeste requ�te le concernant et relative � un diff�rend qui l�opposerait au maire de Baraki au sujet d�une parcelle de terre ! Dommage que les reporters de journaux n�aient pas cru utile de v�rifier l�explication aupr�s de l��dile de cette commune. Car, dans tous les cas de figure, le sieur Layada se pr�sente comme homme d�influence aussi bien pour faire valoir ses int�r�ts personnels que pour faire passer des messages politiques. Passe-droit quand il s�agit d�acqu�rir des biens d�s l�instant o� il ignore les arbitrages de l�administration locale ou les d�lib�rations des tribunaux, il a �galement de l�entregent pour se faire �lire� dans le sacro-saint du pouvoir. Trop de bizarreries entourent l�accusation de kidnapping et elles sont nombreuses celles-l�. Les dates rapproch�es des disparitions ne sont pas les moins suspectes de raisons. A cela s�ajoute la dramatisation de la �disparition � de Layada junior par le p�re qui affirmait � une agence de presse que son �fils �tait retenu quelque part mais vivant� (2). Le sc�nario semble �crit � �quatre mains� et par avance. De la politique-fiction avec des enl�vements en s�rie afin de susciter l��motion dans l�opinion et s�offrir des tribunes pour s�exprimer. Pari r�ussi pour Benhadj et son lieutenant Layada qui occupent les �unes� de quelques journaux depuis plusieurs jours. Des vraies-fausses disparitions qui sont autant de �vacances� secr�tes destin�es � fomenter un coup m�diatique au moment o� les tractations politiques se nouent sans eux. Une mani�re de contourner l�embargo en se drapant dans la dignit� des victimes d�un harc�lement ignoble. Le retour de Rabah Kebir pr�c�d� par de subtils signaux de cr�dibilit� leur a fait de l�ombre. Quand bien m�me ils se sont battus pour la m�me cause du FIS, ils l�ont cependant fait de mani�re diff�rente et leur d�saccord ancien est moins formel que fonci�rement strat�gique. L��mergence, � l�int�rieur du �Front�, de l�aile �djazariste� en ao�t 1991 (congr�s de Batna ), avait permis � la mouvance de se remettre en selle apr�s sa d�capitation au mois de juin pr�c�dent. Et c�est ce capital de l�gitimit� que Kebir entend aujourd�hui fructifier. Lui seul peut se pr�valoir d�avoir conduit le FIS aux �lections de d�cembre 1991 qui, jusqu�� ce jour, constitue la r�f�rence centrale dans les n�gociations avec le r�gime de Bouteflika. Benhadj et accessoirement Layada ne peuvent par contre avancer d�autres arguments pour s�inviter � la table du pouvoir, sinon celui de r�-activer la violence. Dans l�iceberg qu�est le projet islamiste, Kebir incarne d�sormais la partie visible la mieux dispos�e aux compromis, � l�oppos� du messianisme d�un Benhadj dont on craint en permanence qu�il ne torpille � tout moment n�importe quel accord. Habitu� aux coups de canifs � Abassi Madani lui-m�me en avait fait les frais �, il serait le moins habile, du point de vue islamiste, � arracher des assurances et le moins consensuel, aux yeux du pouvoir cette fois, pour en faire un compagnon de route. En somme, toutes les parties s�accordent qu�il n�est qu�un �has-been� dont il faut neutraliser progressivement l�influence. Or, malgr� les quinze ann�es qui le s�parent de son leadership, il n�a pas encore renonc� � la primaut� de son magist�re en d�pit des �checs historiques qu�il partage avec Abassi Madani. Quant � Layada, le co-auteur de la fiction des enl�vements, il n�est en r�alit� que l�argument dissuasif. Celui qui peut se pr�valoir de quelques cr�dits aupr�s des bandes arm�es et des r�seaux dormants de militants radicaux. Qu�il ait pris ou pas � temps la v�ritable mesure des changements intervenus en son absence dans la base sociale de l�islamisme ne semble l�avoir finalement convaincu qu�avec le retour du rescap� des djazaristes. Un vague courant qui, � l�origine, militait pour une renationalisation du djihadisme, et dans la foul�e, reprochait � Benhadj d�ignorer la sp�cificit� alg�rienne avec ses r�f�rences historiques. Par ce distinguo, Kebir et feu Hachani, les deux animateurs du FIS entre ao�t et d�cembre 1991, �taient doctrinalement en phase avec les objectifs concrets � atteindre. Aujourd�hui, c�est cette m�me tendance qui s�appr�te intelligemment � se muer en creuset actif afin d�agr�ger autour de quelques id�es simples et anciennes les principales sensibilit�s pr�sentes dans la soci�t� et les faire agir dans le m�me sens. Islamistes politiques, islamisants culturels, voire musulmans de simple pi�t�, seraient alors invit�s � se rassembler autour d�une volont� de �r�conciliation et de tol�rance� mais dans les strictes limites d�finies par la religion. Et seulement elle� Face � ce syncr�tisme politico-spirituel qui vise � fusionner par exemple le salafisme des oul�mas et le s�cularisme islamique de Malek Bennabi, il reste peu de place au fondamentalisme primaire dont Benhadj avait fait son fonds id�ologique par le pass�. Cela lui sera, � terme, pr�judiciable � sa carri�re d�s l�instant o� il ne sera plus consid�r� comme un acteur de la �paix� n�goci�e. Dans la singuli�re adversit� qu�il traverse, il a plus � perdre de l�ascension de Kebir que de l�affaiblissement du r�gime de Bouteflika. Le premier arrive opportun�ment et sans lourd passif au moment o� le second �prouve les pires difficult�s � justifier les mauvais bilans de ses mandats. A court terme m�me la charte, dont le chef de l�Etat en a fait la pierre angulaire de sa magistrature, risque de lui �chapper au profit des n�oislamistes. Car si celle-ci doit b�n�ficier d�une nouvelle vigueur et d�un nouveau ch�que en blanc, il lui faudrait solliciter pr�cis�ment le cartel des ex-djazaristes. Mais peut-on exclure sans �d�g�ts� un Benhadj de tous les enjeux futurs ? Pour autant que ses d�clarations l�attestent, il n�est pas pr�s de renoncer � un r�le qu�il estime avoir �t� toujours le sien. Il y travaille dans cette perspective proche, en s�effor�ant de gommer les formulations abruptes dans les propos jusqu�� faire sienne la rh�torique du fr�re-ennemi. Le Benhadj nouveau est arriv� dans les colonnes d� El Khabar Hebdo(�dition du 21 au 27 octobre) o� il parle d�sormais des libert�s publiques comme il ne l�a jamais fait auparavant. Malgr� cela, Kebir demeure aux avant-postes avec quelques longueurs d�avance sur lui et suffisamment de r�alisme pour lui prendre d�finitivement sa place. Les contacts publics dont il a b�n�fici� contrastant avec le cordon sanitaire qui le maintient hors du jeu l�auraient-ils pouss� � tenter quelques �coups� m�diatiques qui se veulent autant de mises en garde � ceux qui se compromettent avec le r�gime ? Hant� par ces rabibochages entre un pouvoir cr�pusculaire et une tendance trop calculatrice, il veut toujours croire que cela finira par un baiser de Judas. Par exp�rience il sait que ni le syst�me, ni l�islamisme ne sont solubles dans le compromis et la cohabitation. Forc�ment que l�un ou l�autre soit phagocyt�. Sur ce sujet-l�, l�on peut faire confiance � sa perspicacit�.
B. H.
(1) Consulter El Khabar du lundi 23 octobre et El Khabar Hebdo du 21 octobre qui publient des interviews de Layada et Benhadj.
(2) Selon les journaux, Layada aurait d�clar� � l�AFP que son fils serait entr� en contact t�l�phonique avec son oncle paternel.

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