
Panorama : DECODAGES L’Europe perd des points en Méditerranée Par Abdelmadjid Bouzidi abdelmadjidbouzidi@yahoo.fr
Le 28 novembre 1995, par la déclaration de Barcelone, l’Union
européenne semble vouloir accorder à la Méditerranée toute l’attention que
cet espace exige et veut “faire du Bassin méditerranéen une zone de
dialogue, d’échanges et de coopération qui garantisse la paix, la stabilité
et la prospérité” aux pays des deux rives. Les pays partenaires
méditerranéens (PPM), sont au nombre de dix : Algérie, Egypte, Israël,
Jordanie, Maroc, Syrie, Tunisie, Turquie, Palestine et Liban (Chypre et Malte
ayant adhéré à l’Union europénne en 2004). La réunion de Barcelone et la
déclaration qui s’en est suivie marque incontestablement un tournant dans la
politique méditerranéenne de l’Union européenne. Elle instaure un
partenariat et parle même de “prospérité partagée”.
Ce partenariat
euroméditerranéen, de l’avis de nombreux analystes, s’imposait comme “une
évidence géographique, un impératif économique et un enjeu stratégique”.
Mais dans le même temps, la rive sud de la Méditerranée représente pour l’Europe
à la fois une menace et une opportunité. Une menace à cause des tensions qui
caractérisent les pays de la rive sud, les défis qui les secouent et les
écarts qu’ils enregistrent avec les pays de la rive nord. Sur ce dernier
plan, il faut savoir que le PIB par habitant calculé en parité de pouvoir d’achat
est de 25.015 dollars en Union européenne en 2004 et de 7.650 dollars pour les
pays du Sud. Les flux migratoires et l’exportation du terrorisme du sud vers
le nord, inquiètent très sérieusement les pays de l’Union européenne. Les
PPM représentent aussi pour l’UE, une opportunité car la rive sud de la
Méditerranée offre une prondondeur à l’Europe et lui permet d’élargir
son espace économique et commercial et de développer sa sécurité et sa
défense. Onze ans après, quel bilen peut-on faire de ce partenariat
euroméditerranéen ? Le résultat est bien décevant. Pour ne prendre, à titre
d’exemple que les flux d’Investissements directs étrangers (IDE), entre
1995 et 2003, les Européens ont investi 22,943 milliards d’euros dans la zone
partenaire méditerranéenne (dont 41% pour la Turquie et 4% pour Israël),
84,587 milliards d’euros dans les futurs pays membres de l’Europe centrale
et orientale (PECO), 177,06 milliards d’euros en Amérique latine et 39,50
milliards d’euros en Asie du Sud-Est (à l’exclusion de la Chine). Aussi, la
part des dix pays méditerranéens dans le flux global d’investissements
européens dans le monde ne représente que 0,54% et si l’on ne retient que
les huit pays arabes, il n’est que de 0,3% !
IDE européens dans le monde (TABLEAU)
D’autre part, le programme Meda conçu dans le cadre du
partenariat euroméditerranéen pour réduire l’écart de richesses entre les
deux rives se caractérise par deux faiblesses. L’insuffisance des moyens
financiers qui y sont consacrés et son inefficacité opératoire à cause des
lourdeurs bureaucratiques européennes. Rappelons que le programme Meda alloue
des aides financières et apporte une assistance technique aux PPM (pays
partenaires méditerranéens). Entre 1995 et 2004, Meda disposait d’une
enveloppe financière d’engagements de 6,14 milliards d’euros. Mais les
fonds effectivement payés, c’est-à-dire les décaissments, n’ont atteint
que 53% de l’enveloppe globale. La déception des PPM est bien évidemment à
la mesure de l’espoir qui avait suscité ce programme. Il faut en effet,
souligner que de 1995 à 2003 l’Europe de l’Est a perçu chaque année en
moyenne 27 par habitant, les PPM 2 par habitant. Enfin sur le plan de la
circulation des personnes, le partenariat euroméditerranéen fonctionne à un
régime à double vitesse : “Au Nord, les Européens ont tout loisir de se
rendre sur les littoraux des pays voisins du Sud ou d’y séjourner de plus en
plus nombreux pour profiter d’une retraite ensoleillée. Au Sud, la mobilité
des personnes vers l’Europe est conditionnée par l’obtention — très
difficile — d’un visa ou le choix d’une immigration clandestine” (S.
Abis dans “Futuribles” n°321 - Juillet 2006). Le processus de Barcelone est
un échec et les désillusions sont grandes chez les partenaires
méditerranéens de l’Union européenne. Comme réponse à ces désillusions,
l’UE décide, en 2003, de rénover “le cadre général de ses relations avec
les PPM”. C’est la naissance de la politique européenne de voisinage : PEM.
Le lancement de cette politique est prévu pour 2007. Avec l’élargissement de
l’UE, les voisins de celle-ci touchent à présent trois ensembles régionaux
: la Méditerranée, le Caucase et l’Europe extrême orientale. Qu’est-ce
que la PEM ? Il s’agit d’une coopération bilatérale, sélective, l’UE
signant des accords de voisinage avec chacun des pays concernés, accords qui
tiennent compte des demandes particulières de chaque cosignataire. Le
partenariat est ainsi dilué dans le voisinage et les analystes y voient une
tentative de sortie de l’Union européenne du traitement uniforme accordé aux
pays tiersméditerranéens par le processus de Barcelone et les accords d’association
qui en découlent. La politique européenne de voisinage apparaît déjà comme
“l’expression d’une Europe qui se ferme … Elle constitue en réalité le
cordon sécuritaire d’une Europe qui cherche à se protéger des turbulences
moyen-orientales et des malheurs africains tout en délimitant les frontières
de l’Union au sein de cet espace intermédiaire”. Avec l’introduction de
la politique européenne de voisinage, on passe d’une ambition d’intégration
régionale contenue dans la politique de partenariat à des relations
bilatérales avec des “voisins” qui pensaient être des “partenaires” de
l’Europe. Le 28 novembre 2005, le Sommet euroméditerranéen de Barcelone (10e
anniversaire) a été un échec. Le constat a été établi dans les coulisses
que la Méditerranée n’était pas prête à être cet espace de coopération
politique à prospérité partagée. Le partenariat est dilué dans le voisinage
et c’est vers une “Euroméditerranée à la carte” que l’on semble se
diriger. L’intensité des relations de l’Union européenne avec chacun de
ses voisins dépendra d’intérêts réellement partagés et encore ! C’est
certainement les standards européens qui s’imposeront, les voisins ne
réussissant à obtenir que ce qui ne dérange pas l’Europe. Les deux rives de
la Méditerranée vont se tourner le dos. Les pays du Sud sont alors poussés à
rechercher d’autres partenaires plus “compréhensifs”, plus intéressants.
Les Etats-Unis, la Chine, la Russie et peut-être aussi le Brésil et l’Inde
sont les grandes puissances qui peuvent “remplacer” l’Europe. Rappelons qu’en
juin 2004 Washington propose un “partenariat pour le progrès et pour un
avenir commun avec la région Moyen-Orient/Afrique du Nord (Mena)”. Les USA
envisagent aussi d’établir d’ici à 2013 des zones de libre-échange avec
tous les pays de la région (ils l’ont déjà fait avec le Maroc en 2005) on
voit bien que le “vide” laissé par l’Union européenne est aussitôt
comblé par les USA qui ont restructuré leurs alliances militaires et
commerciales autour de quelques Etats pivots (Maroc, Algérie, Jordanie, Egypte,
Israël) et amélioré la position de l’Otan dans la zone. Sur un espace plus
réduit, le Sud de l’Europe et le Maghreb, pourront-ils faire face à cette
convoitise américaine et celle qui se dessine de la part de la Chine ? Le 5+5
(Espagne, France, Italie, Portugal et Malte d’un côté et Algérie, Libye,
Maroc, Mauritanie, Tunisie de l’autre) se présente en effet, comme une
enceinte de dialogue plus efficace et un espace de coopération plus pertinent
qui permettra d’élargir progressivement le partenariat euroméditerranéen et
de préserver le projet initial de Barcelone. Mais là aussi, rien n’est
encore définitivement acquis : lancé en 1990, le 5+5 a été interrompu en
1991 pour ne reprendre que dix ans plus tard, en 2001. Sera-t-il consolidé,
mieux institutionnalisé, et mieux doté en moyens financiers ? Il y a
peut-être là une possibilité réelle d’ancrage euroméditerranéen plus
prometteur. A. B.
IDE EUROPEENS DANS LE MONDE |
Zones géographiques |
Milliards d’euros |
Amérique latine |
177,06 |
Asie du Sud (Sauf Chine) |
39,05 |
Pays d’Europe centrale et orientale (10) |
84,58 |
Pays partenaires méditerranéens (PPM) |
22,94 |
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