Actualit�s : LE REGARD DE MOHAMED BENCHICOU
Et vous messieurs, qui vous pardonnera ?
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Les �mes chauvines sont ulc�r�es, les islamistes sont r�volt�es et les patriotes de la 25e heure repartent en guerre : en refusant, � Alger m�me, de s'excuser pour les crimes de la colonisation, Nicolas Sarkozy a install� une pol�mique de diversion fort commode pour les gouvernants alg�riens et r�veill� ce qu'il y a sans doute de plus profond�ment hypocrite dans la classe politique alg�rienne.

Nos dirigeants adorent les indignations qui masquent leurs p�ch�s. Aussi, est-il sans doute l'heure de leur retourner, au cours de cette controverse surfaite, la question qui choque : le peuple alg�rien n'a-t-il pas autant besoin d'une repentance pour les crimes commis avant 1962 que pour les injustices qu'il endure depuis 1962 ? Car vous, messieurs, qui vous pardonnera ? C'est que la notion de pardon est d'une manipulation d�licate et Abdelaziz Belkhadem devrait se garder d'en abuser. Elle survit au temps et aux hommes et ne se reconna�t aucune exception ni aucune date de p�remption. Le m�rite de M. Sarkozy est d'avoir rappel�, involontairement, qu'elle �tait surtout une affaire de g�n�rations. En d�clarant � Alger que "l'on ne peut pas demander aux fils de s'excuser des fautes de leurs p�res", le ministre fran�ais commet certes une erreur de bon sens - on exige toujours des fils, et on l'a vu lors du d�bat sur le g�nocide arm�nien, qu'ils se repentent des crimes de leurs p�res, parce que, pr�cis�ment, ils en sont d�li�s - mais, dans la foul�e, il restitue une lourde v�rit� : les fils exigent autant le pardon pour les crimes commis sur leurs p�res que la repentance pour les infamies perp�tr�es sur eux-m�mes. Parce que, tout de m�me, pour reprendre la formule de Jules Renard, on se repent toujours des torts irr�parables, des torts qu'on a eus envers des gens qui sont morts. Et � quoi ouvre donc droit le statut des vivants ? Eux, en Alg�rie en tout cas, souffrent de la m�me plaie depuis 1830. Il y a comme une lin�arit� historique de l'humiliation qui frappe notre peuple. L'Alg�rien, M. Sarkozy, a subi des outrages dans sa chair et dans sa m�moire de la part de la France coloniale et il �tait attendu des autorit�s fran�aises qu'elles le reconnaissent et s'en excusent publiquement afin que les cicatrices se referment enfin. Mais l'Alg�rien, M. Belkhadem, a tout aussi souffert, apr�s l'ind�pendance, du totalitarisme, du d�ni de droit, des pillages des richesses nationales, de l'�crasement de son identit�, des exactions et des assassinats commis, contre lui, par ceux qui se sont proclam�s ses anciens lib�rateurs et par les fanatiques qui ont tu� au nom de Dieu. Et vous, messieurs, qui vous pardonnera ? A quoi devons-nous cette continuit� dans l'avilissement ? A une certaine prog�niture du colonialisme qui nous gouverne depuis 44 ans. Au risque de heurter encore plus les foules cocardi�res, je crois que l'occupant fran�ais n'a pas laiss� en Alg�rie que les blessures, les deuils et l'�crasement de la personnalit� alg�rienne. Il a surtout pondu les oufs de la future dictature alg�rienne. Les pouvoirs totalitaires qui se sont succ�d� � la t�te du pays depuis 1962 ne sont rien d'autre que la descendance hybride d'un occupant qui a compl�tement destructur� nos soci�t�s et dont ils ont h�rit� de l'art du m�pris et de la science de l'abaissement. Il faudra bien qu'un jour on se penche sur la relation filiale entre colonialisme et dictature. Aussi, rester fid�les au combat de Novembre, n'est pas seulement revendiquer la repentance de la France coloniale, c'est aussi obtenir celle des r�gimes alg�riens qui ont humili� la population avec les m�mes techniques oppressives. Novembre c'est la repentance plus la d�mocratie. La cl� du futur. "Possible ou impossible, le pardon nous tourne vers le pass�. Il y a aussi de l'�-venir dans le pardon" a dit Jacques Derrida, le philosophe disparu, l'enfant d'Alger qui deviendra par la suite l'un des plus c�l�bres penseurs contemporains. Derrida qui revendique de parler "comme Alg�rien devenu fran�ais un moment donn�" a un regard charnel et �mouvant sur l'Alg�rie dont il reconna�t � l'h�ritage qu'il en a re�u "quelque chose qui a probablement inspir� mon travail philosophique". Alors je retiens pr�cieusement de cet �minent intellectuel, qui a beaucoup r�fl�chi sur la cause alg�rienne mais qui a toujours invit� aux grandes remises en question, cette intervention lors d'une comm�moration de la journ�e du 17 octobre 1961 : "Nous aurions, me semble-t-il " contre l'oubli ", un premier devoir : pensons d'abord aux victimes, rendons-leur la voix qu'elles ont perdue. Mais un autre devoir, je le crois, est indissociable du premier : en r�parant l'injustice et en sauvant la m�moire, ! il nous revient de faire �uvre critique, analytique et politique. Citoyens de l'Etat dans lesquels nous vivons ou citoyens du monde, au-del� m�me de la citoyennet� et de l'Etat-nation, nous devons tout faire pour mettre fin � l'inadmissible. Il ne s'agit plus seulement alors du pass�, de m�moire et d'oubli. Nous n'accepterons plus de vivre dans un monde qui non seulement tol�re les violences ill�gales mais, viole la m�moire et organise l'amn�sie de ses forfaits. Notre t�moignage critique doit transformer l'espace public, le droit, la police, la politique de l'archive, des m�dias et de la m�moire vive." Nous en sommes encore loin. Nos dirigeants s'oublient dans les outrages qu'ils font subir � leur peuple, qui prolongent l'injustice coloniale et qui, regardez bien, sont quasiment du m�me ordre que celles que lui infligea, de Bugeaud � Massu, l'occupant fran�ais. Leurs exasp�rations tartuffiennes, apr�s les propos de Sarkozy, ont quelque chose de sordidement factice et trahissent, en tout cas, la volont� d'un pouvoir " qui non seulement tol�re les violences ill�gales mais viole la m�moire et organise l'amn�sie de ses forfaits", pour citer Derrida. Entendez-les crier au scandale apr�s les propos de Sarkozy ! Amour du pays ? Attachement � Novembre ? Pensez donc ! Leur col�re est fourbe et s�lective. Car enfin, M. Belkhadem, comment exiger, avec v�h�mence, que la France s'excuse pour ses meurtres en Alg�rie entre 1830 et 1962 et, dans le m�me temps, avec une splendide magnanimit�, dispenser les assassins terroristes, alg�riens ceux-l�, de cette m�me repentance pour des meurtres plus r�cents ? C'est pourtant dans la m�me chair que fut plant� le couteau. Et o� �taient pass�s ces exub�rants gardiens de la m�moire qu'on entend aujourd'hui appeler � d�fendre l'honneur du drapeau, o� �taient-ils quand Rabah K�bir, annon�ant que le FIS entend changer de sigle comme le fit nagu�re le PPA qui devint MTLD apr�s son interdiction, s'amusa � l'odieux parall�le entre le parti de la haine et celui du sacrifice, entre Madani Mezrag et Rabah Bitat, entre le fils de Hassan El Banna et le p�re du FLN ? Entre l'assassin et le lib�rateur. Je n'ai entendu aucune de ces voix mortellement nationalistes, ni m�me d'ailleurs celle des anciens maquisards qui semblent toutes converties � l'art du possible, je n'ai entendu aucune d'elles protester de ce que Boudiaf soit assimil� � Naegellen. Le premier a interdit le FIS pour sauver une id�e de la R�publique. Le second a interdit le PPA pour sauver l'occupation coloniale. Pour toutes ces raisons, c'est-�dire pour sa duplicit� et son impopularit�, le pouvoir alg�rien est disqualifi� pour d�fendre la m�moire collective et exiger la repentance de la France. D�sormais, et il s'agit de le r�aliser, la protection de notre m�moire est aussi une affaire des jeunes g�n�rations. C'est un combat pour se r�approprier, d'un seul souffle, le pass� et le futur. Vous ne prot�gerez pas Novembre � notre place, parce que, d�sormais, d�fendre Novembre c'est aussi se battre pour une soci�t� d�barrass�e de ses obscurantismes et de ses tuteurs, pour la justice sociale, pour l'alternance, pour les libert�s, pour les droits de la femme, pour le pluralisme politique et m�diatique, pour le droit de penser et de parler librement. Novembre ne vous appartient plus. Vous l'avez trahi. Et, r�gents grabataires ou courtisans fourbes, pensez d�s maintenant � la fatalit� de l'histoire. Et vous messieurs, qui vous pardonnera ?

Derri�re les petites phrases

On oublie souvent que cette implacable comp�tition alg�rienne entre la vie et le destin noir, entre la libert� et les obscurantismes, entre l'Alg�rie et l'islamisme, rythme aujourd'hui toute la vie politique dans notre pays. Mais nous lui pr�f�rons le confort de nous en tenir � ses aspects les plus croustillants et donc les plus insignifiants. Il y a, certes, la part du d�sabusement dans cette d�mission de la vigilance. Il y a sans doute aussi un peu de candeur et m�me, pourquoi le cacher, l'influence d'une certaine perspicacit� surfaite. Mais j'y vois surtout de la fascination pour la com�die du pouvoir qui se joue sous nos yeux et qui, � bien des �gards, parce qu'interpr�t�e par de parfaits Scapins, ne manque pas de virtuosit�. Entre un pr�sident de la R�publique qui se dit ressuscit� au point de d�livrer lui-m�me son propre bulletin de sant�, un chef de gouvernement qui s'oppose, sur tout et sur rien, � son pr�d�cesseur lequel retrouve, contre toute attente, son app�tit pour l'intrigue et les petites phrases, il y a, en effet, mati�re � s'amuser et � �piloguer st�rilement. Et des observateurs, pourtant fort avertis, se laissent s�duire par cette guerre des mots qu'ils interpr�tent, h�tivement, comme l'expression d'une rivalit� entre des clans ou entre des personnes quand elle n'est, avant tout, que l'�cho d'un affrontement majeur entre le pays et le projet de soci�t� int�griste. Les islamistes veulent le pouvoir et comptent l'obtenir par la strat�gie de l'escargot. Ils tiennent, plus que toute autre mouvance, � la r�vision constitutionnelle et au 3e mandat de Bouteflika parce qu'avec ce dernier, ils ont la possibilit� non seulement de conserver le rapport de forces qui leur est favorable, mais de le renforcer � leur avantage. Ils redoutent un changement � la t�te du pays qui les fasse retourner � la case d�part. Alors ils entreprennent, par la recrudescence du terrorisme, de peser sur la succession de Bouteflika, de d�livrer un message sanglant � ceux qui comptent revenir sur la providentielle Charte de la paix. L'homme qui exprime le mieux la strat�gie des islamistes est, vous l'avez devin�, Abdelaziz Belkhadem. Son credo recoupe, en tous points, celui des int�gristes : r�vision de la Constitution, 3e mandat pour Bouteflika et prolongation des d�lais de la Charte, c'est-�-dire, plus que l'impunit� pour les terroristes qui assassinent aujourd'hui, donner le temps au chantage qu'exercent les islamistes sur la R�publique de d�boucher sur un succ�s. En clair, Belkhadem signifie aux uns et aux autres que les terroristes ne quitteront les maquis qu'� la garantie que les acquis conc�d�s par Bouteflika ne soient pas remis en question. Nous sommes loin des opinions personnelles et des humeurs politiciennes. Chaque phrase recouvre un sens cach� � propos d'une bellig�rance capitale qui se joue � notre insu. Et l� aussi, le pouvoir en place porte une responsabilit� historique dans ce degr� de vuln�rabilit� auquel s'est abaiss�e la R�publique. Ayons la lucidit� de ne plus confier aux hommes qui ont failli, la mission de nous �manciper. Comptons sur nous-m�mes et sur la g�n�ration qui r�ve de crever l'�cran du d�sespoir.
M. B.

P.S. : Le 23 novembre prochain sera c�l�br�e la 17e Journ�e de soutien aux journalistes emprisonn�s. Selon Reporters sans fronti�res, il y aurait aujourd'hui 130 journalistes incarc�r�s dans diff�rents pays de la plan�te. Une infamie � laquelle le pouvoir alg�rien s'est pr�t� un moment. A cette occasion, RSF mettra en vente un nouvel album de photographies intitul� " 100 photos de Stars pour la libert� de la presse" et r�alis� avec le prestigieux Studio Harcourt. Achetez-le si vous en avez la possibilit�. Ce serait une d�licate pens�e pour chacune des plumes qui croupissent en prison.

Jean Daniel r�agit � la chronique de Benchicou

R�agissant � la chronique de Mohamed Benchicou intitul�e " Pour tout vous dire, Jean Daniel" parue dans le Soir du 21 octobre 2006, le directeur du Nouvel Observateur a adress� la r�ponse suivante. Vous imaginez bien j'esp�re que la chronique de Mohamed Benchicou que vous m'avez adress�e ne m'a pas laiss� indiff�rent. Il est vrai que je fais une diff�rence entre le pr�sident Bouteflika et Vladimir Poutine. Dans le pass�, le premier faisait partie des �mancipateurs de son peuple, tandis que le second faisait partie des oppresseurs. Il est vrai aussi que ce qui reste en moi d'alg�rien et qui est tr�s intense a souffert mille morts pendant la guerre civile qui a fait deux cent mille victimes dans la derni�re d�cennie du XXe si�cle. Pour moi (comme pour bien d'autres !) c'�tait l'�chec sanglant de la r�volution dans laquelle j'avais mis comme vous-m�mes tant d'esp�rance. Vous citez des noms que je connais, et qui ont �t� mes amis. Mais je crois savoir que tous ceux du r�seau Janson ont r�agi comme moi. Dans ces conditions et apr�s avoir vu fuir vers le pouvoir tous les leaders alg�riens qui nous avaient mobilis�s contre les fondamentalistes, j'ai consid�r� que l'homme qui tentait une r�conciliation �tait un recours supr�me et qu'en souvenir de tous les �crivains, enseignants, artistes et fonctionnaires assassin�s, si j'avais �t� alg�rien je crois que j'aurais �t� favorable � la tentative de r�concilier des fr�res si tragiquement ennemis. Quand les effusions de sang augmentent, on ne s'interroge plus sur ce qui l'a provoqu�. On voit qu'il est rouge et qu'il ne s'arr�te pas de couler. Cette r�conciliation n'a -t-elle pas r�ussi ? Je n'en sais rien. Mais c'est au nom de cette attitude que je n'ai pas cru devoir refuser ce p�lerinage aux sources dans ma terre natale que le pr�sident de la R�publique alg�rienne a organis� et dont j'ai profit�. J'ai rencontr� au cours de mon voyage des hommes et des femmes admirables et qui ont amplement justifi� les combats que j'avais livr�s pr�s d'eux. J'ajoute ceci qui est le plus important. A chacun de mes voyages (il y en a eu deux), lors de chacun de mes entretiens avec le pr�sident ou ses ministres, j'ai appel� l'attention sur le sort r�serv� � mon confr�re Mohamed Benchicou. De cela, son avocat, Ma�tre Miloud Brahimi peut t�moigner de mani�re plus pr�cise que je ne suis autoris� � le faire. Croyez, chers amis du collectif, � ma solidarit�.
Jean Daniel

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