Panorama : LETTRES D�ESPOIR
La cinqui�me saison
Par Ma�mar FARAH
farahmaamar@yahoo.fr


Nous faisons partie de ces peuples fiers et farouches, entiers, qui ne connaissent pas la demi-mesure. C�est-�-dire qui ne savent pas calculer, pr�voir, relativiser les choses� Chez nous, c�est soit noir, soit blanc. Le gris ? Mais o� voyez-vous du gris ? Pourtant, ses nuances se d�clinent infiniment devant nos yeux, mais nous n�arrivons pas � les apercevoir. C�est bon ou c�est mauvais. C�est bien ou c�est mal. Je t�aime ou je te hais. Nous sommes extr�mistes en tout.
Nous ressemblons � ce climat qui commence � devenir coutumier au-dessus de nos t�tes : de l��t�, on glisse vers l�hiver, pour subir ensuite le retour des chaleurs torrides. Les saisons interm�diaires, ces douces parenth�ses qui, comme les chambres de pressurisation, nous pr�parent � affronter les changements � venir, n�existent plus ! L�automne a donn� sa d�mission. Motif : ne sert plus � rien. Bouff� par l��t� indien qui pousse jusqu�aux portes de d�cembre, il en a simplement marre. Et le printemps ? O� est le printemps ? Au froid de mars, dont quelques giboul�es tra�nent jusqu�� fin avril, succ�dent presque instantan�ment les d�sagr�ables ti�deurs de mai, avec leurs vents de sable et leurs taux d�humidit� �lev�s� Feu le printemps a fait mieux que l�automne. Au lieu de d�missionner, il a pr�f�r� se flinguer sous un olivier, par un matin ind�cis enfant� par la nuit cauchemardesque de la cinqui�me saison. Nous sommes les enfants de cette cinqui�me saison. Nous vivons dans un pays hors normes. Nos existences, notre environnement, nos villes, nos espoirs, nos d�sillusions portent le sceau de cette cinqui�me saison, celle de tous les extr�mes. Et pourtant, nous aspirons � la d�mocratie ; oui, mais laquelle ? Celle qui enfante l�islamisme et ses d�boires, celle qui implose l�Irak ? Est-ce le prix � payer pour acc�der au bonheur d�mocratique ? La d�mocratie, en tant que concept voulant bien dire �gouvernement du peuple�, est irrempla�able. C�est le meilleur syst�me politique, celui qui, en principe, garantit la justice et le droit aux plus faibles. Mais, est-ce r�ellement le cas dans les d�mocraties? A l�origine d�j�, dans cette Gr�ce antique qui a donn� naissance au mot �d�mocratie�, seule une minorit� d�Ath�niens d�cidait r�ellement. Le monde moderne inventera le suffrage universel, mais entre un Noir du Bronx et un riche Texan, lequel a r�ellement la chance de devenir s�nateur ? Et lequel court le plus de risques de passer � la drogue et au banditisme ? La d�mocratie qu�on nous propose est celle des riches. Les pauvres, les travailleurs, les mal log�s, mal nourris, mal soign�s, peuvent toujours attendre la charit� ou des gestes politiques parfois, lorsque la gauche prend le pouvoir ; mais, en r�alit�, les riches ne c�dent en rien sur l�essentiel, c�est-�-dire qu�ils ne con�oivent pas un syst�me o� leur classe ne sera pas dominante. En face, les adeptes de Marx se sont essay�s � la dictature du prol�tariat puisqu�il s�agit de rapports de force, les ouvriers, unis aux paysans, vont exercer leur dictature et instaurer la �d�mocratie populaire�. Tr�s vite, la minorit� agissante, celle qui est aux commandes, se transformera en classe � part qui exercera sa domination sur le peuple. Bureaucratie, corruption, manipulation� Au bout du compte, ce sera pire que sous la d�mocratie occidentale : de vraies dictatures ressurgies des p�riodes les plus sombres de l�histoire. Tel est le syst�me d�mocratique bourgeois. Mais, c�est le moins mauvais et aller jusqu�� le rejeter totalement ou faire comme certains islamistes, le qualifier de �kofr� (h�r�sie), est un pas que nous ne franchirons jamais. Car, ces gens pensent comme on pensait il y a plusieurs si�cles. Ils ne nous proposent pas l�Islam comme une religion, c�est-�-dire un acte de foi sinc�re, une spiritualit� individuelle, qui ne doit pas �tre pollu�e par les choses, souvent sales, de ce bas-monde. L�Islam politique ne r�sout pas les probl�mes ; il les complique. Car, si des �lus ou des responsables quelconques peuvent d�battre d�un texte cr�� par l�homme, ou le changer quand il devient caduc, il leur est difficile, voire impossible de toucher � ce qui est pr�sent� comme sacr�. Aller vers la modernit�, c�est interdire que la noble religion � qui appartient � tous les musulmans de ce pays � soit exploit�e dans les joutes politiques. Une fois pour toutes. Ceci �tant, l�id�e de la�cit�, telle qu�elle est connue dans les d�mocraties occidentales, est totalement inadapt�e � nos soci�t�s musulmanes. Aller vers la modernit� ne veut pas dire rompre avec ses valeurs authentiques, se d�tacher de ce socle civilisationnel qui est notre h�ritage le plus pr�cieux. On ne se d�barrasse pas de la religion comme on le ferait de l�habit traditionnel. S�opposer � l�islamisme ne signifie pas abandonner l�Islam et c�est l� l�erreur fondamentale de certains modernistes qui n�h�sitent pas � jeter le b�b� avec l�eau du bain ! Aujourd�hui, plus que jamais, nous sommes interpell�s par ces questions gravissimes qui fondent notre avenir commun en tant que peuple et nation. Notre aspiration � la modernit�, frein�e par les pratiques et des croyances m�di�vales, ne peut se r�aliser totalement que si nous savons rester nous-m�mes. C�est cela qui a fait la force des Japonais, des Cor�ens et de tant d�autres peuples. Lorsque j�apprends qu�une langue vieillotte comme le cor�en est aujourd�hui une langue de connaissance et de savoir, je me dis que nous faisons, souvent, des proc�s d�intention � l�arabe ou � l�amazigh ! Nos langues nationales peuvent �tre des outils de communication modernes ou des idiomes d�arri�ration sociale : tout d�pend du sens que nous donnons � notre enseignement. Quant � l�Islam, il a besoin de sortir du carcan politique pour revenir � ses sources : une religion de paix, de tol�rance, de fraternit� et de justice sociale. Monopolis� par les milieux r�actionnaires, la fausse religion qu�on nous propose occupe les gens sur des questions secondaires et sombre dans les d�bats st�riles sur le �hallal� et le �haram�. Elle s�immisce dans les tendances vestimentaires, alimente les souks et la contrebande� Non, �a, c�est autre chose. Ces pratiques surgies des si�cles obscurs, sous la houlette des nouveaux marabouts, ne sont pas l�Islam. Pour l�avoir compris, � une p�riode o� les espoirs d�une renaissance �taient vivaces, cheikh Abdelhamid Ben Badis a propos� au peuple alg�rien des r�formes salutaires dont l�esprit, moderne et rationnel, a guid� les pas de toute une jeunesse. Entre les champions de l�arri�ration et les partisans de l�int�gration, l�illustre savant trouvera la voie m�diane, celle qui se nourrit d�efforts intellectuels quotidiens pour vivre sa spiritualit� dans un monde o� le probl�me n�est pas que le manteau remplace le burnous ou la jupe le ha�k, mais l�avenir de tout un peuple. Ben Badis ne s�est pas fourvoy� dans les questions secondaires comme les tendances alimentaires ou vestimentaires des gens. Il ne s�est pas propos� de les amener au paradis � travers un bulletin de vote. Mais il les a sensibilis�s sur les pratiques en vigueur dans nos douars et mechtas, afin que l�Alg�rien se d�tourne de l�archa�sme social pour p�n�trer, par effraction, dans son si�cle. Il a plant�, chez toute une g�n�ration, des id�es de progr�s et de justice qui feront leur chemin� Il s�est attaqu� � tous les fl�aux sociaux, a combattu le mal partout, s�est �rig� en d�fenseur des opprim�s et s�est fait un chaud partisan de r�formes agraires permettant aux paysans de vivre dignement. Dans la triste confusion qui r�gne aujourd�hui dans nos rangs, nous avons plus besoin d�un Ben Badis que d�un Ataturk : il nous faut replonger dans la modernit�, mais sans fracture avec notre soci�t�, sans aventurisme, ni reproduction de mod�les �trangers. C�est ainsi que nous trouverons notre voie entre l�Orient et l�Occident pour cesser d��tre des appendices du Kaboul ou de Paris. Etre nous-m�mes ne nous emp�che pas d�aspirer au progr�s, au bonheur mat�riel, � notre si�cle. Loin des id�es obscurantistes, mais d�barrass�s �galement des complexes n�ocoloniaux, nous sommes capables de r�inventer l�espoir dans notre pays. Il y a un prix � payer : faire notre autocritique, nous rapprocher les uns des autres, d�couvrir enfin toutes les nuances du gris� Que chacun de nous arr�te de penser qu�il d�tient la v�rit� absolue !
M. F.

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