Panorama : KIOSQUE ARABE
Sous le voile, la s�curit� nationale
Par Ahmed HALLI
halliahmed@hotmail.com


Signe des temps, des �tudiantes d'Assiout, en Haute- Egypte, ont manifest� vendredi dernier pour la d�fense du voile. L'objectif de cette manifestation, aux slogans inspir�s, n'�tait pas tant d'affirmer la primaut� du voile que de protester contre les d�clarations de Farouk Hosni. Ce dernier avait d�fray� la chronique, il y a une dizaine de jours, en se pronon�ant contre le port du hidjab.
Si c'�tait l� un ballon d'essai pour tester les r�actions des Egyptiens, le r�sultat est concluant : le parti du hidjab est majoritaire sinon en voix du moins en d�cibels. Farouk Hosni, le s�millant ministre �gyptien de la Culture, se courbe sous la temp�te mais ne rompt pas pour l'instant. Son sort para�t �tre suspendu � une d�cision du pr�sident Moubarak. Lui seul a le pouvoir de maintenir ou de d�mettre un ministre. En attendant, le Parti national au pouvoir s'est retrouv� en phase avec le mouvement des Fr�res musulmans. Ce n'est pas seulement au palais Zirout-Youcef que les barb�f�l�nes" (1) prennent d'assaut les trav�es islamistes. Farouk Hosni a vu se d�tourner de lui ou se retourner contre lui la plupart des barons du r�gime. S'il y avait un prix du meilleur coup de poignard dans le dos, il irait sans conteste au pr�sident de la commission des affaires religieuses et sociales du Parlement. Le Dr Omar Hachem, c'est son nom, est membre du parti au pouvoir et ancien pr�sident de la mosqu�e-universit� Al-Azhar. Cette question (du hidjab) ne regarde pas seulement les femmes ou les institutions religieuses mais elle touche � la s�curit� nationale" (!!!). Ainsi donc, en s'attaquant au hidjab, farouk Hosni a mis � nu une pi�ce ma�tresse du syst�me de s�curit� �gyptien. Au rythme de ces d�rives vers l'absurde, ce morceau de tissu rel�vera bient�t du secret d�fense. Ces propos ont fait r�agir notre confr�re Sammy Buhairi, d�put� au Parlement de Bahre�n (2) et n�anmoins chroniqueur au magazine Elaph. Dans un �lan sarcastique, il �num�re tous les probl�mes graves que conna�t l'Egypte et qui sont rel�gu�s � l'arri�re-plan par le hidjab, "probl�me de s�curit� nationale num�ro un". Citons quelques-uns : - Des millions de jeunes ch�meurs en Egypte, ce n'est pas une question de s�curit� nationale, le hidjab est plus important. - La menace isra�lienne d'attaquer l'Egypte pour stopper l'acheminement d'armes vers Ghaza ne rel�ve pas de la s�curit� nationale, le hidjab est plus important. - L'existence de cellules terroristes dans le d�sert du Sina� n'est pas un probl�me de s�curit� nationale, le hidjab c'est plus important. - La disparition des r�serves de p�trole dans 15 ans sans autres �nergies de substitution est une question qui ne touche pas � la s�curit� nationale. Le hidjab est plus important. "Aucune voix ne doit surpasser celle du hidjab", note Sammy Buhairi � l'issue de cette longue �num�ration des plaies de l'Egypte. S'adressant � Farouk Hosni, il lui exprime son admiration pour son courage. "Malheureusement, lui dit-il, tu nages contre un courant global et imp�tueux qui consid�re le hidjab comme un probl�me de s�curit� nationale. C'est un courant qui nous invente des religions autres que celles qu'on nous a enseign�es. Il semble qu'ils nous aient menti � l'�cole en nous apprenant que l'Islam �tait bas� sur cinq piliers : la Shahada (profession de foi), la pri�re, la zakat (aum�ne), le je�ne du Ramadhan, le hadj (p�lerinage). Il appara�t que le sixi�me pilier, le hidjab, a saut� par inadvertance � une �poque mais il revient aujourd'hui avec force. Et pourquoi pas ? Puisqu'il "touche � la s�curit� nationale". Dans le m�me sillage, l'Egyptien Khaled Mountassar s'indigne des attaques men�es contre Farouk Hosni et qui rel�vent selon lui du lynchage. "Cette mise � mort morale illustre parfaitement le danger qui plane sur l'Etat moderne dans lequel le climat d'hyst�rie est tel qu'on ne distingue plus le nationaliste du fr�re musulman. Tout le monde a l�ch� le ministre (de la Culture), m�me le journal Al-Kahira, r�put� proche de Son Excellence (le pr�sident Moubarak) n'a pas �crit une seule ligne sur l'affaire. Comme si le ministre �tait un simple commis au centre culturel de Micron�sie". D'entr�e, Khaled Mountassar porte le fer dans la plaie : il se demande s'il ne faut pas juger le khalife Omar comme on est en train de juger Farouk Hosni et il argumente : "Si, comme vous le dites, le hidjab a �t� impos� comme devoir religieux pour propager la vertu et proscrire la discorde (fitna), et si son objectif est de prot�ger la pudeur, pourquoi le khalife Omar Ibn Al-Khattab a-t-il interdit aux esclaves et aux servantes de porter le hidjab? " Pour �tayer son propos, Khaled Mountassar cite un fait rapport� par plusieurs chroniqueurs : lorsqu'il se promenait dans la ville et qu'il rencontrait une esclave portant le hidjab, le khalife Omar l'obligeait � le retirer en s'aidant de son c�l�bre nerf de boeuf. Il leur interdisait de vouloir ressembler ainsi aux femmes libres. On raconte aussi que les servantes du khalife Omar vaquaient � leurs occupations la t�te nue. "Si le hidjab a �t� impos� par respect pour la pudeur, pourquoi en priver une pauvre servante ? interroge notre confr�re. Manque-t-elle � ce point de dignit� et peut-on tout se permettre avec elle ? Vous dites que le hidjab est un �l�ment de pudeur et de pi�t� et qu'il emp�che les d�bauch�s de s'attaquer aux femmes ; pourquoi en privez-vous alors les esclaves et les servantes, m�me lorsqu'elles sont pudiques et pieuses ? Ou bien consid�rez-vous que tout est permis avec elles, qu'elles n'ont pas d'honneur et qu'elles sont infra-humaines ?" Comme pour nous faire �chapper � ce d�bat d'un autre �ge, Khaled Mountassar nous propose la lecture d'un livre qui vient de para�tre en Egypte et qui traite des 100 plus c�l�bres rumeurs propag�es dans le pays. Ce livre est l'�uvre d'un jeune journaliste qui consid�re appartenir � une g�n�ration qui voue � la fois de l'amour et de la haine pour son propre pays. On apprend donc que l'Egypte est le seul pays o� ce sont les morts qui font vivre les vivants (ce sont les pharaons, bien entendu). C'est seulement en Egypte que vous trouvez un quartier entier qui s'alimente de fa�on frauduleuse � l'�lectricit� (3). Un ministre qui "canc�rise" le peuple puis se pr�sente aux �lections sous l'�tiquette du parti au pouvoir, c'est en Egypte aussi. On ne colle les affiches que l� o� il y a un panneau "d�fense d'afficher ". L'Egypte est le seul pays au monde o� vous verrez un homme grand et fort s'arr�ter sous un pont, tournant le dos � la rue et faisant ce que font les autres (4). Quant aux rumeurs, elles vont du r�alisme au surnaturel. Parmi les plus courues, on trouve celle de l'acteur Salah Kabil retrouv� hors de son tombeau. Il y a aussi l'histoire de cette jeune fille "impudique" (qui ne porte pas le hidjab) et qui est morte carbonis�e dans un microbus parce qu'elle raillait la tenue "engag�e". Comme on le voit, nous n'avons pas trop � envier � l'Egypte. Except� Farouk Hosni, de grands �crivains et intellectuels et des capacit�s de r�sistance que nous n'avons plus.
A. H.
(1) Je dois rappeler sans doute que l'expression est de notre excellent confr�re et ami Mohamed Hamdi, que Dieu lui prodigue sant� et long�vit�.
(2) J'esp�re, au passage, qu'il a �t� r��lu aux l�gislatives qui se sont d�roul�es samedi dernier dans l'�mirat.
(3) C'est aussi l'argument qu'utilise Sonelgaz pour justifier les pannes fr�quentes dans mon quartier. Il y a des gens qui volent de l'�lectricit�. J'ai essay� de v�rifier : impossible de voler le moindre kilowatt dans cet �lot. A moins que mes voisins du cimeti�re�
(4) Chez nous, ils sont petits, maigres, vindicatifs et ils font �a dans les cages d'escalier.

Nombre de lectures :

Format imprimable  Format imprimable

  Options

Format imprimable  Format imprimable