Panorama : LETTRES D�ESPOIR
La Soummam coulera toujours !
Par Ma�mar FARAH
farahmaamar@yahoo.fr


Ce lundi-l�, comme pour marquer davantage le chagrin qui la perce comme une balle assassine, B�ja�a se couvre d�une grisaille insolite en ces temps de cruelle s�cheresse. Le ciel, tragiquement bleu ces derniers jours, est envahi par une vague moutonneuse de nuages, barbouillant les hauteurs imposantes de Gouraya, serrant la ville d�un habit de tristesse et de m�lancolie qui colle comme une seconde peau � la place Gueydon.
Un air �trange parcourt ce haut lieu de la vie bougiote. Face au port imperturbable o� la mer s�est habill�e des couleurs de la lassitude, les remparts semblent fatigu�s de supporter les si�cles et leur lourd fardeau. Un silence accablant �crase cet espace d�habitude si joyeux. Les regards vides de quelques vieillards errent sur les quais d�serts o� v�g�te la masse brun�tre d�un navire s�questr� depuis trois ann�es. D�autres regards, plus jeunes mais v�tus du m�me abattement, r�vent d�amour et de richesse. Et de d�parts aussi. De d�parts toujours. Il ne fait ni chaud, ni froid. Seulement, la sale gueule d�un sale temps qui tra�ne comme un souvenir balafr� sur les cr�tes de Cap Carbon, l� o� le vent, n�oubliant jamais ses origines barbaresques, arrache des sanglots � la mer qu�il fouette impitoyablement, comme pour la ch�tier d�avoir colport� tant de complots et servi tant de trahisons. Manquant de se calmer, le vent s�incruste alors dans la roche, et, de leur tumultueuse union, na�t une concorde qui n�est pas celle des l�ches. Et lorsque le vent assouvit son d�sir brutal, dans un rut sauvage qui fait rugir la montagne, la ville, de l�autre c�t�, ressent comme un apaisement. Yemma Gouraya a calm� le vent. Il ne viendra pas secouer la vie de ses prot�g�s. Elle veille sur eux comme une m�re attentive et vigilante. Triste est B�ja�a ce lundi, aplatie par le rouleau compresseur des souvenirs. Au lointain, une lune blafarde, ronde comme une vulgarit�, s�impose en plein jour au-dessus de Toudja. Pitoyable lune qui essaye de remplacer le soleil absent. La m�moire qui nous convoque aujourd�hui est pourtant suffisante pour inonder de sa lumi�re la petite salle du TRB o� des amis, des confr�res et des admirateurs sont venus dire � Sa�d Mekbel : �Nous n�oublierons pas ! Nous sommes comme le vent de Cap Carbon. Nous continuerons de souffler sur les pierres tombales pour d�raciner les mauvaises herbes, chasser les poussi�res de l�oubli, abattre les carcasses de la trahison et effacer les messages de l�indignit� Nous sommes venus pour rassurer Yemma Gouraya et lui r�p�ter � l�unisson que les braves n�oublient pas, n�oublieront jamais��
Sa�d Mekbel, p�tri dans la noble terre de la Soummam, a v�cu comme un Bougiote. Comme un gars de Sidi A�ch, d�El Kseur ou d�Akbou, entre la fiert� majestueuse des montagnes et la sereine assurance de la rivi�re. Il a v�cu comme ont v�cu les patriotes de la Soummam, femmes et hommes qui ont un contentieux s�culaire avec la bassesse. Des hauteurs d�Ifri aux sommets de Gouraya et des cimes de Yakouren aux pics de Kherrata, il n�y a pas de place pour la petitesse, la veulerie, les duplicit�s, les renoncements, les courbettes� Non, c�est trop haut ! Mais, en m�me temps, de la Soummam, de ses exc�s de col�re et de ses r�pits apaisants, ils ont appris la d�cence, la simplicit�, la convivialit�, le savoir-vivre, autant de valeurs cultiv�es dans les jardins secrets de la ville souveraine, celle qui fut capitale d�un royaume rayonnant par sa culture et sa science ! Nulle part ailleurs, on ne rencontre des montagnards aussi distingu�s, des ruraux qui ont la citadinit� � fleur de peau, des paysans aux belles mani�res� C�est qu�ils sont les fils d�une grande civilisation ! Celle des savants et de l�intelligence, comme en t�moigne ce fait historique, parmi tant d�autres : c�est � B�ja�a qu�un certain L�onardo, venu pour y �tudier les math�matiques, a rencontr� les chiffres arabes et leur inestimable �z�ro� � inconnu dans la num�rotation romaine �. De B�ja�a, cette nouvelle science appel�e math�matiques va voguer vers l�Occident� Il y a mille �v�nements, mille faits et anecdotes qui racontent l�histoire mouvement�e de cette contr�e. Mais l�histoire ne conna�t pas de r�pit. Elle est faite d�une succession d��tapes qu�il est difficile de s�parer l�une de l�autre, m�me si, en apparence, on ne trouve pas toujours le lien logique qui les unit. Je suis parti pour participer � un hommage au martyr Sa�d Mekbel. J�ai d�couvert une Kabylie debout, fi�re de ses acquis, pos�e mais pas r�sign�e. J�ai parl� avec des fr�res qui partagent une vision commune : �difier un pays moderne, construire une soci�t� de justice et de fraternit�, �liminer les in�galit�s, les d�passements et toutes les formes d�oppression, instaurer une v�ritable d�mocratie, garantir les libert�s fondamentales, satisfaire les revendications identitaires, raviver le feu du patriotisme par une lutte sans merci contre les usurpateurs, r�inventer l�espoir pour que cesse l�h�morragie des cadres, des investisseurs et de toute l�intelligence du pays, pour que les jeunes croient � nouveau dans leur pays. J�ai rencontr� les membres du mouvement citoyen, ces hommes qui ont b�ti une l�gende et ils m�ont parl� d�un langage o� la responsabilit� n�est pas une abdication ! Bien au contraire, j�ai senti une volont� in�branlable, comme au premier jour, peut-�tre mieux, de continuer � se battre pacifiquement pour faire aboutir leurs revendications. Ils m�ont expliqu� pourquoi ils ont dialogu� avec le pouvoir � �viter le pourrissement et toutes ses cons�quences � et comment ils se sentent trahis par ce m�me pouvoir. J�ai senti alors que cette manifestation pour la m�moire de Sa�d Mekbel �tait �galement une occasion de rappeler que les id�es de libert� et de progr�s pour lesquelles est tomb� notre confr�re ne sont pas mortes. Elles vivent toujours gr�ce aux id�es du mouvement citoyen. Profitant de l�occasion, j�ai expliqu� � mes amis que leur combat est une noble cause. Face � des r�gimes anti-d�mocratiques, de tels mouvements �manant des citoyens et esquivant une vie politicienne o� les partis s�ankylosent et s�embourbent dans des �d�mocraties� de fa�ade ; face � de tels r�gimes, il n�y a pas d�autre alternative que de s�organiser pour faire aboutir pacifiquement les revendications essentielles des masses populaires. J�ai abord� la question de la d�mocratie et de son contenu : il ne sert � rien de faire voter le peuple si c�est pour d�signer des repr�sentants qui vont fabriquer des lois pr�nant l�ultralib�ralisme et son lot de malheurs. Certains m�ont rappel� le c�t� social de la plate-forme d�El Kseur (smig et allocation-ch�mage, entre autres), reprochant aux journalistes de n�insister que sur un ou deux aspects. Bref, en allant � B�ja�a, j�ai appris une le�on extraordinaire : le monde d�aujourd�hui n�est plus celui du d�but de ce si�cle : une nouvelle race de meneurs est en train de donner une orientation salutaire au cours de l�histoire. Les exp�riences �d�mocratiques � ayant souvent failli, c�est du peuple, de ses entrailles, de ses luttes, que na�t l�espoir. Le souffle salvateur qui nous vient d�Am�rique latine, les r�sistances populaires, les r�veils des mouvements citoyens en Europe, les revers de l�imp�rialisme et les �checs de ses plans �conomiques et sociaux un peu partout, dessinent une nouvelle toile mondiale de la contestation. Jos� Bov� ou Bela�d Abrika ont ceci de commun : ils sont en dehors de l�ordre politique �tabli. Ils posent une probl�matique nouvelle qui puise sa force dans les pulsations de la soci�t�. Nous devons les aider si nous sommes pour la libert� et la vraie d�mocratie. A ces braves patriotes, j�ai rappel� ce qu�avait dit Boumediene aux Palestiniens, mais en ces termes : �Nous sommes avec le mouvement citoyen, qu�il soit agresseur ou agress� !�. Chez nous, la fid�lit� n�a pas de limite et ne peut �tre saucissonn�e. Dans vos col�res, nous avons �t� � vos c�t�s. Quand il y a eu m�me exc�s de votre part, nous avons �t� � vos c�t�s. Quand vous avez d�cid� de dialoguer, nous avons �t� � vos c�t�s. Vous �tes l�histoire. Nous en sommes les t�moins. Ce n�est pas � nous de jouer votre r�le, mais vous pouvez compter sur nous ! Voil� notre engagement en ce lundi 4 d�cembre et voil� notre mani�re d�honorer la m�moire de �ce voleur�, en rappelant simplement notre soutien ind�fectible aux �nouveaux r�volutionnaires � !
M. F.

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