
Panorama : CHRONIQUES D’UN TERRIEN On peut vaincre les Etats, mais jamais les peuples ! Par Maâmar FARAH farahmaamar@yahoo.fr
Au premier jour de la guerre néocoloniale d’Irak, le 20 mars 2003, je
concluais ainsi ma chronique intitulée «SVP, ne les appelez pas
terroristes !» : «Alors, si certains jeunes passent à l’action, sous
des formes où la violence ne sera pas absente, s’il vous plaît, ne les
appelez pas «terroristes » ! Ils ne défendront pas le tyran Saddam, ils
ne feront que perpétuer le noble combat mené par vos valeureux aïeuls,
du temps de la révolution américaine contre l’occupant britannique !»
Reconnaissons à Bush et à son staff la clarté du langage lorsqu’il
s’agit de désigner leurs ennemis, qu’ils définissent par «terroristes»,—
of course !—, mais aussi par «insurgés».
Autrement dit, et au moment où
certains «plus royalistes que le roi» de chez nous, ultras du
démocratisme exportable made in USA, mettent tout le monde dans le sac
du terrorisme, l’administration américaine admet qu’il y a des
résistants, des militants armés qui refusent l’occupation et qui se
battent contre elle. L’Algérie, pays de la glorieuse révolution du 1er
Novembre, aurait dû être le premier pays du monde arabe à saisir le sens
du combat des résistants irakiens ; le saisir, mais l’aider également
par tous les moyens. D’abord, par fidélité à nos principes
révolutionnaires et à la ligne diplomatique traditionnelle de soutien
aux causes justes. On voit bien que ces principes et cette ligne sont
toujours d’actualité lorsqu’il s’agit du Sahara occidental. Pourquoi
sont-ils mis en veilleuse dans le cas de l’Irak ? Ensuite, par devoir de
solidarité avec un peuple qui a tant donné pour la Révolution
algérienne. On ne le dit pas toujours, mais l’Irak a été parmi les
principaux pays arabes qui se sont mobilisés, d’une manière franche et
loyale, pour l’Algérie combattante. Au moment où les Algériens en
avaient le plus besoin, les Irakiens étaient là. De même que les
Egyptiens, les Syriens, les Tunisiens, les Libyens, les Marocains, etc.
Nos deux voisins, par exemple, n’avaient pas peur de la France coloniale
: ils ont traduit dans les faits, et parfois dans la douleur du
sacrifice commun, les nobles sentiments de solidarité et d’entraide
entre les peuples frères. D’où nous vient-il aujourd’hui de considérer
que les affaires de tous ces peuples, dans la paix, comme dans la
souffrance de l’occupation, ne «nous concernent pas». Sommes-nous
devenus si lâches, si corrompus, que nous nous cachons derrière des
motifs fallacieux pour justifier notre égoïsme et notre alignement sur
les positions de l’Oncle Sam ? Certains nous sortent les pneus crevés du
style : «Les frères arabes se sont détournés de nous au moment où nous
en avions tant besoin, durant la décennie noire. Certains ont même
alimenté le feu qui nous dévorait.» Il est vrai que des régimes
réactionnaires ont apporté une aide politique et financière aux courants
extrémistes ; ils sont connus. Curieusement d’ailleurs, ce sont les
meilleurs alliés du pouvoir actuel. Mais peut-on en dire autant des
peuples ? Et puis, soyons honnêtes, si certains s’en sont tenus à une
réserve très diplomatique, c’est à cause de notre position officielle.
Ne considérait-on pas, à l’époque, que tout acte, voire toute
déclaration par rapport à ce sujet était une «ingérence dans nos
affaires intérieures» ? J’avais d’ailleurs commis plusieurs billets
(petit format) sur cette drôle de manière de considérer notre rapport à
l’autre. Je crois sincèrement qu’en dressant un mur entre nous et le
monde extérieur, nous avions empêché nos frères et nos amis de
comprendre ce qui se passait chez nous, et a fortiori de nous aider.
Aujourd’hui, il s’agit de bien comprendre les enjeux. Ce qui se joue en
Irak, n’est pas seulement l’avenir de ce pays. Le nôtre aussi est
concerné. Celui de tous les pays arabes, confrontés au plus grand péril
de leur jeune existence. L’Irak devait être le modèle démocratique de ce
nouveau Moyen-Orient qui s’étend jusqu’au Maghreb. Mais avant de
l’offrir comme exemple, il fallait détruire les éléments constitutifs de
cette nation, installer la terreur et la guerre civile, le chaos même,
afin de détourner le peuple du pillage de son pétrole et préparer sa
division en plusieurs petits Etats ethniques et confessionnels. La même
chose nous attend et c’est pourquoi nous devons savoir de quel côté nous
sommes. Dans le cas de l’Irak, tous les autres discours sont superflus.
Ils servent la diversion ! Il ne s’agit pas de savoir si nous sommes
pour la démocratie ou la dictature — c’est tellement évident !—, si nous
sommes pour le modernisme ou l’archaïsme, ou encore si nous sommes pour
ou contre l’islamisme politique. Il s’agit de nous préparer à défendre
l’unité de notre nation, la sauvegarde de nos cultures millénaires ; il
s’agit de savoir si nous sommes capables de nous assumer en tant que
nation libre, ayant la pleine souveraineté sur ses richesses et les
leviers de son économie, capable d’affronter les défis du futur, dans la
fierté et la dignité, ou si notre sort est d’être des sous-Américains !
Et c’est pour cette raison fondamentale que nous devons bien expliquer
aux jeunes générations que les «Rambos» de leurs films préférés, tous
ces agents spéciaux bien baraqués et tous ces Marines intrépides et
habiles ne sont rien à côté des jeunes résistants de Falloudjah ! Les
premiers, ces héros positivés à l’extrême, ne sont que des figurants
jouant dans les films hollywoodiens de propagande. Ce sont des «tigres
en papier» ! Les seconds sont de vrais combattants, agissant pour une
noble cause ! Viktor Litovkine, commentateur militaire de l’Agence RIA
Novosti, résume en ces termes la faillite de l’impérialisme en 2006 :
«L’administration Bush et les Etats membres de sa coalition ont oublié à
leurs dépens une vérité d’évidence : on peut vaincre des Etats, pas des
peuples.» Oui, pourquoi ce scepticisme et même ce pessimisme chez
certains de nos observateurs ? L’année qui vient de s’écouler a sonné le
glas des impérialistes qui, après avoir été arrogants et méprisants,
rasent désormais les murs. Où est ce Tony Blair à la suffisance
maladive, élève d’un maître qui doit impérativement retourner à l’école
des peuples ! Voyez la tête de Bush. Il a perdu son assurance et son air
triomphal d’il y a quatre années ! Et grâce à qui ? Grâce à ces jeunes
révolutionnaires qui ont mis à genoux les armées les mieux équipées du
monde. Pourquoi nos penseurs défaitistes ne se posent pas la question de
savoir s’il est normal, logique, rationnel, sensé, admis que des
«gueux», armés tout au plus de kalachnikovs, remportent la bataille
contre les avions, les hélicoptères, les blindés et des troupes
surentraînées, bénéficiant de la meilleure formation et d’un équipement
sophistiqué ? Est-il normal que ces gavroches du XXIe siècle, armés de
leur seul courage et de la foi en la victoire inéluctable de leur
peuple, mettent en déroute cette puissante armée qui bénéficie d’une
couverture digne des films de science-fiction. Sur terre, dans les airs
et même dans le cosmos, grâce à des satellites de la dernière
génération, fonctionnant avec des programmes informatiques sophistiqués
ultrasecrets, capables de déceler une présence humaine à quelques
centimètres près ! Et que dire de tous ces systèmes complexes de radars
pointés sur les zones où s’activent les résistants, ces missiles de
croisière aux performances reconnues et appréciées et toutes ces
trouvailles sorties des laboratoires du Pentagone ! Bush peut envoyer
des troupes par centaines de milliers et les scientifiques de la mort se
creuser les méninges pour inventer d’autres joujoux de destruction
massive, rien ne changera l’issue de ce conflit et aucune force ne fera
tourner la roue de l’histoire dans le sens contraire à la volonté des
peuples. A défaut de les aider, reconnaissons leurs grandes réalisations
à la limite du miracle et adressons- leur un message de solidarité et
d’espoir. Nous pouvons en être fiers. Non, il faut chercher ailleurs les
lâches ! Ils ne sont pas des nôtres…
M. F.
P. S. : J’ai bien aimé cette réaction d’un lecteur français à
l’un de mes derniers articles : «Eux n’ont pas besoin de se faire
exploser en kamikaze: ils ont les moyens de tuer en masse tout en
donnant des leçons de démocratie.»
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